Brockhampton – Saturation II

Août 2017

Brockhampton

Saturation II

Note :

En un été, Brockhampton, le boy band / collectif de Kevin Abstract, a sorti deux galettes : Saturation et Saturation II. Après toute l’agitation que le groupe a suscitée, focus sur ce dernier projet qui méritait d’être décortiqué. Premier constat : Brockhampton redéfinit le Boy Band Rap avec Saturation II.

Vie et ascension d’un collectif transculturel

Brockhampton, c’est l’odyssée d’un collectif de 15 jeunes talents américains établi à Los Angeles, et qui recycle le concept même de « boy band » dans le milieu rap. Chef de file du groupe, et fondateur de Brockhampton, Kevin Abstract, jeune Texan d’origine, peut se targuer d’être un meneur qui a du flair. En plus de réunir sous un même étendard une quinzaine de membres au sein du collectif (de l’interprète, au graphiste en passant par le directeur artistique), ce bataillon autosuffisant, est 100% cross-border, faisant se côtoyer des nationalités plurielles. A y regarder de plus près, Brockhampton tant dans son modèle que dans son organisation présente des similitudes avec le Wu-Tang Clan ou feu le collectif Odd Future, à croire qu’il y a réplique. Mais ce collectif qui s’intronise comme un Boy Band sans rougir, n’a pas peur de l’étiquette ; et à Kevin Abstract de déclarer que ce cercle n’est pas circonscrit uniquement à One Direction ou au Backstreet Boys.

Mais le plus fascinant – et peut-être l’une des raisons pour lesquelles Brockhampton ne parvient pas à se faire oublier facilement pour le moment – c’est sa capacité à produire des albums en un temps record alors que le collectif est encore jeune ! Deux mois après leur premier album Saturation sorti en juin, Brockhampton rempilait avec un second album Saturation II. Enfin, le groupe a déjà annoncé l’arrivée dès octobre d’un petit dernier pour clôturer sa trilogie en bonne et due forme.

Suffisamment rare pour être souligné, Brockhampton est un collectif au sein duquel queer et hétéros rappent dans un même esprit de tolérance, s’occupant à balayer l’effet « no-homo » encore très présent dans le milieu rap comme en témoigne le titre « Queer ». Dans « Junk », Kevin Abstract décrit également sa phase de coming-out sans tabou – un sujet pour lequel il accorde une importance toute particulière – notamment du fait de la double discrimination dont il persiste à être la cible : celle d’être noir et gay.

Brockhampton – « QUEER »

Le pari du style hybride

D’évidence, Saturation II dévoile le côté sombre de Brockhampton. Au croisement de la pop, et du rap, l’album couvre une série d’ambiances autonomes les unes des autres, des plus troublantes. De l’atmosphère parfois sinistre et palpable sur « Chick », angoissante à l’image de « Junky », jusqu’aux accents orientalistes de « Fight » et « Sweet », difficile de s’y retrouver sur le style musical à proprement dit. Et c’est sans doute parce qu’il est d’un genre non identifiable, un peu allumé, et surtout déroutant, que Saturation II fait débat. Là où certains y verront une vraie claque, d’autres se diront déçus, et concluront à une performance qui n’a pas profité de la bonne fenêtre de tir.

A dire vrai, Saturation II peut être perçu comme un rap trop nerveux, trop speed, parfois vibrant aux rythmes de l’acide. En plus d’être difficilement saisissable, d’un titre à l’autre on fait le grand écart. Ainsi du sentiment quasi claustrophobique procuré par certains titres ; de délirium intense, aux morceaux improbables comme « Summer » qui s’apparente à une parodie de slow de fin d’été, remasterisé par feu Georges Michael version rap : on s’y perd complètement ! Pas de doute Saturation II est une commotion, mais à vous de choisir votre camp.

Cependant bien que peu nombreux, certains titres sont brillants et témoignent de la progression musicale réalisée depuis Saturation en un laps de temps très court, comme c’est le cas pour « Gummy », ou « Tokyo » incontestablement l’un des meilleurs morceaux de Saturation II. Entre un style musical perché, et un discours très sérieux, dans lequel Kevin Abstract  aborde son homosexualité, le discours de fond s’en trouve malheureusement un peu ombragé.

Brockhampton – « TOKYO »

Une chose est sûre, Brockhampton peut être critiqué sur son manque de cohérence et son style « trop » hybride, mais il serait mauvais esprit de ne pas lui reconnaître une originalité sans borne, et une profusion d’énergie créatrice. Le collectif arrive à dresser une multitude d’ambiances sonores aussi impressionnantes que déroutantes, appelant définitivement à l’exploration. On attend patiemment Saturation III et la fin de cette trilogie pour affiner notre avis. Mais pour l’instant, « Ne se prononce pas », ou pas trop.

Brockhampton – Saturation II