Cela faisait deux ans que le dernier album d’A$AP Rocky était sorti. Deux ans durant lesquels le bonhomme s’était fait rare, apparaissant de temps à autre sur des featurings, poursuivant en parallèle son activité dans la mode et débutant même une « carrière » au cinéma. Deux ans au cours desquels il aura fait languir ses nombreux fans, qui attendaient impatiemment le nouveau disque du prodige de Harlem. Dès lors, quel titre plus adapté que At.Long.Last.A$AP (ou A.L.L.A) ? Enfin ! Rocky revenait pour donner finalement ce que les gens attendaient.
Mais le titre de l’album trouvait aussi une autre résonnance: serait-ce enfin l’album de la confirmation pour Pretty Flacko ? En effet, depuis l’explosion du phénomène A$AP à l’été 2011 avec la sortie de la première mixtape de Rocky Live.Love.A$AP et l’énorme succès de clips comme « Purple Swag », le rappeur de Harlem était attendu comme le messie, la relève de la côté Est qui serait capable de mettre tout le monde d’accord. Le type qui pourrait faire le pont entre le hip-hop underground et le mainstream. Problème : son album Long.Live.A$AP sorti en 2013 a été une semi-déception. Un bon album, qui confirmait en partie les promesses entrevues auparavant, mais peut-être pas assez ambitieux et souffrant surtout de morceaux à la limite de l’imbuvable (ce « Fashion Killa »…). Alors que pour un autre artiste un tel album aurait été une réussite, pour A$AP Rocky ce n’était pas suffisant. La faute au statut d’icône qu’il avait rapidement acquis dès le début de sa précoce carrière. Cette hype aussi soudaine qu’importante avait inévitablement créé de très grosses attentes. Et Long.Live.A$AP n’avait pas réussi à y répondre. De l’aveu même de Rocky, l’album n’était de toute façon pas à la hauteur, ne correspondant pas à ses désirs réels d’alors et ayant vu sa sortie précipitée. Alors au moment de sortir son nouvel album, Flacko voulait faire les choses bien. Il avait mûri, sa musique avec. Qu’en est il réellement ?
Un album ambitieux, mais aux travers prévisibles
A première vue, Rocky semble s’être donné les moyens de ses ambitions : 18 titres, une pléthore d’excellents producteurs (Danger Mouse, Mark Ronson, Hudson Mohawke pour ne citer que les plus connus) et une longue liste de featurings aux noms aussi prestigieux que variés, de Kanye West à Lykke Li en passant par Bun B ou Juicy J (et même Rod Stewart !). On tenait peut-être là un de ses albums qui transcendent avec succès les genres. Mais ce pouvait être aussi un disque extrêmement décevant, tant on en avait là tous les poncifs (trop de titres, des featurings dans tous les sens et trop de producteurs).
Avant d’aller plus loin, il est important d’évacuer d’entrée l’une des critiques récurrentes au sujet d’A$AP Rocky : thèmes abordés assez limités tant qualitativement que quantitativement, plume assez pauvre, Rakim Meyers n’est clairement pas l’un des lyricistes les plus géniaux du rap jeu. S’il est inconcevable pour vous d’écouter un artiste uniquement doté d’un bon flow et d’excellents beats, passez votre chemin. Rocky n’a pas changé sur ce nouvel album. Son rapport aux drogues psychédéliques, ses histoires de cul, le tout agrémenté de moments d’egotrips et saupoudré de constantes références à la mode, voilà grosso modo ce qu’il en est pour le fond de l’album. Passons maintenant à ce qu’on attend vraiment de Flacko : la forme.
Le premier morceau de l’album « Holy Ghost » laisse présager du meilleur. Un début efficace, empreint d’une ambiance religieuse dont l’introduction et le refrain rappelle inévitablement le film O’Brothers. Rocky déroule un texte efficace et ambitieux. Il est accompagné avec succès au refrain par l’inconnu Joe Fox, chanteur anonyme que Rocky rencontra un jour dans les rues de Londres et que l’on retrouve sur pas moins de cinq morceaux de l’album. Si ses autres prestations sont à la hauteur de ce refrain, tout cela semble diablement prometteur pour la suite. On enchaine alors avec le très efficace « Canal St. » sur lequel A$AP Rocky clame son succès tout en réaffirmant son appartenance à la rue. Le morceau est très largement inspiré du « Bones » de Dirt (qui vient pour l’occasion faire le même refrain). Tout va pour le mieux, c’est très plaisant et on ne s’ennuie pas.
Puis le premier couac. Sur « Fine Wine », entamé par Rocky et sa désormais si célèbre voix « pitchée », les deux feats de M.I.A. et Future viennent casser la dynamique du morceau et donne à l’ensemble un aspect assez brouillon, et au final peu agréable. Cela est notamment accentué dans mon cas par le fait que j’ai en horreur la voix de Future. Le problème est que le morceau suivant ne va pas venir arranger le tout : « L$D », sorte de ballade psychédélique dont l’ennui provoqué par les couplets n’a d’égal que la laideur du refrain chanté. Rocky vient fort heureusement rehausser le niveau juste après avec un « Excuse Me« , aux sonorités proches de celles de « L$D », mais en version efficace.
Je ne m’étendrais pas en détail sur la suite de l’album, tant elle est à l’image de l’enchaînement des 5 morceaux cités précédemment : de bons passages entrecoupés de longueurs rédhibitoires. Mais cependant, ne vous méprenez pas : si ces lignes pourraient vous laisser penser que l’album n’est pas bon, il n’en est rien. L’ambiance qu’a voulu imprégner Flacko à l’album est vraiment aussi agréable qu’originale. On passe globalement un bon moment et on prend un réel plaisir à l’écoute de certains morceaux. L’intégration d’influences musicales autres que rap est souvent réussie, comme sur « Pharsyde » (dub) ou « Everyday » (pop), et elle ne se fait pas au détriment de ces vrais moments de rap qui ont fait le succès d’A$AP Rocky. Les feats révèlent quant à eux de belles surprises à l’occasion, comme celle de réentendre Kanye sur un beat plus soul avec un couplet assez limité mais vraiment drôle. Ou encore celle de voir Lil’ Wayne nous gratifier d’une très énergique et efficace prestation qu’on attendait plus forcément de lui.
Flacko rate encore la marche, mais est-il capable de la franchir ?
Au final ce qui est vraiment problématique avec A.L.L.A, c’est que l’on retrouve d’une certaine manière les mêmes failles que pour Long.Live.A$AP. Ces mêmes failles qui étaient venus plomber un album pourtant au demeurant très solide. Le problème dans le cas de ce At.Long.Last.A$AP, c’est que les paris tentés (album plus long, influences plus vastes, passages chantés) par Rocky sont bien plus conséquents. S’ils rataient, l’impact négatif qu’ils auraient sur la qualité globale de l’album serait d’autant plus fort. Et c’est ce qui se produit. Que ce soit certains refrains vraiment faiblards (« Electric Body »), des morceaux dispensables (« Max B ») et d’autres carrément mauvais (« Westside Highway »), les points faibles sont vraiment trop nombreux pour que l’on en fasse fi et viennent inévitablement nuire à l’écoute de l’album dans sa globalité.
A.L.L.A est donc indéniablement un album ambitieux et intéressant mais ce n’est pas l’immense succès qu’on aurait pu attendre d’un artiste de l’envergure d’A$AP Rocky. De par son originalité, At.Long.Last.A$AP contentera sans doute des personnes qui apprécieront réellement l’effort effectué par Flacko, et en décevra au moins autant qui attendaient sans doute plus de sa part. La question maintenant est de savoir si Jodye parviendra a réconcilier tout ce beau monde avec sa prochaine galette, où s’il reproduira encore une fois le même schéma. Sans A$AP Yams, le « cerveau » du A$AP Mob disparu en fin d’année dernière, il sera vraiment intéressant de voir si A$AP Rocky est capable de relever ce défi. Parce que même s’il ne nous a toujours pas pleinement convaincu, Flacko a eu le mérite de proposer quelque chose d’original et on reste par conséquent impatient de voir la suite.