Le pianiste Robert Glasper et ses deux volumes de Black Radio, ou encore le saxophoniste Kamasi Washington sur To Pimp A Butterfly ont prouvé leur intérêt grandissant pour ce genre musical. Mais s’il existe un musicien de Jazz passionné par les beats Hip-Hop, c’est bien le trompettiste Christian Scott. Jusqu’alors pas vraiment authentifié dans sa discographie, celui que beaucoup compare au grand Miles Davis revendique de plus en plus la paternité de son œuvre avec le Hip-Hop.
Marcus Miller ne s’était pas trompé en invitant sur scène Christian Scott pour interpréter son Tutu Revisited en 2009. Le trompettiste devait endosser le costume inconfortable de Miles Davis. Miller, compositeur de l’originel Tutu, avait su détecter avec finesse des similitudes entre les deux artistes. Les deux trompettistes ont acquis avec le temps cette facilité déconcertante à passer d’un registre classique à un autre plus moderne. La comparaison ne s’arrête pas là, puisque les deux personnages possèdent en commun une capacité à intégrer des jeunes talents en devenir au sein de leurs orchestres respectifs. Dotés tous les deux d’un fort caractère, ces deux génies prennent aussi un malin plaisir à prendre à contre-pied les critiques, en réalisant des expérimentations musicales surprenantes.
Autre coïncidence, les deux hommes cultivent un goût prononcé pour les tenues vestimentaires excentriques. Ces excès pour la mode ont valu à Scott des critiques cyniques de la part de ses détracteurs. Ceux-ci le qualifient de « Prince de Bel Air » du Jazz. Sa réponse est tout autant cinglante. Il leur reproche de plus se pencher sur ses vêtements que sur sa véritable personnalité. Une arrogance, qui n’est pas sans rappeler les envolées médiatiques de l’auteur de Kind of Blue.
Les deux artistes aiment également s’aventurer sur des sentiers musicaux jusqu’alors inexplorés. Miles Davis avait poussé les frontières de son art aux portes du Hip Hop à la fin de son existence. Le producteur Easy Mo Bee et lui avaient collaboré pour les besoins de son ultime album Doo-Bop en 1991. Scott n’a par contre pas découvert le Hip-Hop sur le tas. Il a grandi avec.
Neveu du saxophoniste Donald Harrison, l’enfant Scott a parfait ses gammes dans un quartier les plus délabrés de la Nouvelle-Orléans, le Ninth Warm. La musique occupe une place prépondérante dans le quotidien de ses habitants. Il déambule le jour du Mardi Gras dans le quartier mitoyen et touristique du Vieux Carré Français au son cuivré des fanfares Jazz, et plus spécialement celle dirigée par son Big Chief d’oncle. Une ambiance de fête parfaitement reproduite à l’identique dans la série Treme créée en 2010 par David Simon (The Wire), où le musicien joue son propre rôle.
Conditionné par cette culture, il entre à 14 ans au conservatoire de la ville. Il perfectionnera par la suite ses études musicales au sein du prestigieux Berklee College of Music de Boston. Il en sortira hautement diplômé. Adolescent, il commence à s’encanailler sur les rythmiques endiablés de la Bounce Music émergente dans sa Nouvelle-Orléans. La capitale de la Louisiane voit alors naître les premières productions des labels locaux comme No Limit Records de Master P. ou Cash Money Records de Birdman. Un mouvement qui donnera naissance à des courants tels que le Dirty Rap ou la Trap Music. Des styles musicaux incarnés par les artistes locaux Juvenile ou Lil Wayne. Récemment, il a confié au magazine Rolling Stone ne pas aimer spécialement le son de la trompette. Il lui préfère entre autres les sonorités rap comme la Trap ou le Dirty South.
Si Scott n’affirme pas haut et fort cette identité rap dès ses premiers albums, on perçoit néanmoins quelques touches révélatrices, notamment sur l’album Anthem sorti en 2007 avec l’introduction scratchée du morceau « Re: ». Sur ce même album, il est à noter la présence du rapper Brother J du groupe Afro centriste X-Clan sur l’outro. Anthem marque un tournant dans la carrière du natif de la Nouvelle-Orléans. A cet instant, il décide d’utiliser sa musique à des fins contestataires. Cet album est effectivement l’occasion pour Scott de dénoncer la situation des habitants de la ville. Des milliers de personnes délaissées par l’administration Bush suite au cataclysme provoqué par l’ouragan Katryna en 2005. Faisant fi des critiques, le musicien y gagnera en charisme.
Il devient alors ce trompettiste insolent, indomptable. Mais, dont le talent est reconnu de tous. Il récidive en 2012 sur l’album Introducing To Christian Scott avec le titre « K.P.P.D ». Il fustige dans ce morceau les violences policières, dont sont victimes les jeunes afro-américains. Cette même année, il se rebaptise Christian aTunde Adjiuah en hommage aux musiciens Black Indians des fanfares, qui ont bercé son enfance. Il sort dans la foulée un album éponyme, où il condamne l’esclavage toujours présent chez l’Oncle Sam dans « Dred Scot ». Aujourd’hui encore à 35 ans, il confirme cette Rap attitude en nommant son dernier projet Ruler Rebel.
Déjà sur son précèdent disque en 2015 Stretch Music (Introducing To Elena Pinderhughes), Christian Scott clamait haut et fort la place importante du Hip-Hop dans sa musique. Il définissait sa Stretch Music comme un condensé de ses influences africaines, funk et Rap. Des artistes incontournables comme Mos Def ou X-Clan font appel à ses services pour jouer quelques notes de sa trompette sur leurs albums. Il se dit passionné par la construction de ces Beats. Pour le remix de la chanson « New Orleanian Love Song » sur Ruler Rebel, le trompettiste compose même des Beats saccadés, très proches de sa chère Trap. La parenté est de plus en plus évidente.
Les fans de Hip-Hop seraient curieux de le voir apparaître aux côtés d’un Kendrick Lamar ou d’un Joey Bada$$. Mais l’auteur de Ruler Rebel préfère se concentrer sur ses propres compositions. Celles-ci se rapprochent de plus en plus des saveurs épicées du rap cajun. Serait il proche d’entamer un retour aux sources ?
Dorénavant installé a Harlem, Christian Scott savoure avec un orgueil amusé ceux qui le définissent comme un grand artisan de l’évolution actuelle du Jazz. Un peu comme Miles Davis à son époque, finalement.
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