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Bushwick Bill s’en est allé rejoindre les plus grands

Richard Stephen Shaw le 8 décembre 1966 à Kingston en Jamaïque, Bushwick Bill se fera connaître dans les années 80 en tant que danseur et graffeur à New York, dans le quartier de Bushwick à Brooklyn, avant de déménager dans le Sud à Houston. C’est dans le Texas en 1986 que sa carrière artistique prendra un tournant qui changera à jamais sa vie. Atteint de nanisme, c’est sous son premier pseudo Little Billy qu’il intégrera le groupe Ghetto Boys aux côtés de DJ Ready Red, Sire Jukebox et Prince Johnny C. Signé sur le label Rap-A-Lot Records, il entamera donc une carrière où le danseur se transformera petit à petit en rappeur.

Sur leur premier album Making Trouble (1988), ses apparitions au micro sont très très furtives et il faudra attendre le projet suivant Grip It! On That Other Level (1989) pour que débute réellement l’histoire fantastique de Bushwick Bill. Sur ce second projet, le groupe Ghetto Boys (devenu Geto Boys) évoluera avec les remplacements de Sire Jukebox et Prince Johnny C par Scarface et Willie D. Un renouvellement de line up important qui aboutira à l’un des premiers classics du South et lancera par la même occasion les carrières solo de ces 3 MC’s.


Avec le recul, qui aurait pu imaginer qu’une personne de petite taille s’imposerait à ce point dans l’industrie musicale et deviendrait l’un des rappeurs les plus marquants des années 90 ? Une différence qui, au final, lui a permis d’en tirer une volonté sans faille l’aidant à franchir toutes les différentes étapes tourmentées de sa vie.

« A lotta people didn’t think that it could happen / They all started laughin when I told em I’d be rappin / But now I’m cashin in big checks from the Rap-A-Lot / Bill’s gettin paid, now it’s my turn to laugh a lot »  (« Copper to Cash » / Album : Little Big Man)

« Ever since birth I’ve been givin’ the short hand / It didn’t hurt but it made me a smart man » (« Already Dead » / Album : Phantom of the Rapra)

Dans une publication Instagram sous forme d’hommage, le toujours très inspiré Talib Kweli souligne la force de caractère du personnage : « Bushwick Bill n’était pas censé devenir une star selon les critères de notre société. Il a surmonté tous ces défis et est devenu l’une des voix les plus importantes de notre génération aux côtés de Scarface et Willie D. Bien avant tout le monde, les Geto Boys nous ont jeté à la face cette violence extrême qui gangrène nos quartiers avec ensuite tous les problèmes mentaux qui en découlent ».

La vie de Bushwick Bill aurait pu s’arrêter bien plus tôt, et notamment le 19 juin 1991. Ce jour-là, lors d’une dispute avec sa petite amie de l’époque où les deux étaient sous l’emprise de drogue, un coup de feu part et une balle traverse son œil droit… Ce grave accident qui changera sa vision de la vie, il le racontera en détail sur le morceau « Ever So Clear » tiré de son premier album solo Little Big Man (1992).

« And I’m glad that I’m here, G / But it’s fucked up I had to lose an eye to see shit clearly »

En soin intensif à l’hôpital et à quelques semaines de la sortie du nouvel album We Can’t Be Stopped (9 juillet 1991) des Geto Boys, l’entourage du groupe arrivera à convaincre Bill de poser dans son état pour la pochette de ce projet. Le résultat : Bushwick Bill sur un brancard entouré de Scarface et Willie D avec le pansement retiré de son œil meurtri et une perfusion enlevée à la hâte. Une pochette que regretteront les 3 membres du groupe quelques années plus tard, et notamment Bushwick.

« J’éprouve toujours de la peine quand je regarde cette pochette. Je traversais une épreuve vraiment personnelle qui a été exposée au monde entier. Regarder cette photo me rappelle tous ces mauvais souvenirs et au final ce n’était vraiment pas une bonne idée d’accepter de poser comme cela. Il suffit de voir nos têtes, et notamment celle de Scarface sur cette pochette, pour se rendre compte qu’on n’était pas forcément très convaincus de la pertinence de cette photo, même si à l’époque on a tous accepté de le faire ».

Qui dit Bushwick Bill, dit rap horrorcore, et cette fascination qu’il avait pour les films d’horreur avec comme référence Child’s Play et sa poupée maléfique Chucky. Un personnage auquel Bill s’identifie et qu’il prendra comme ‘mentor’ pour raconter les pires horreurs de meurtres dans ses morceaux, avec comme nouveau alias Chuckwick. Il fait donc parti de ces pionniers du genre horrorcore avec comme morceau référence « Chuckie » ou encore « Chuckwick » et « Skitso », pour ne citer qu’eux.

« My name is Chuckie, some say I’m insane / You give me some gin, and I might eat a dog’s brain / […] A murder contest, you know I’ll win it / Cause in every mailbox, there be a head with a knife in it » (« Chuckie » / Album : We Can’t Be Stopped)

« I woke up on the wrong side of bed today / Lookin for some homo sapiens to slay » (« Skitso » / Album : Little Big Man)

Lors de l’année 1992, il sortira son premier album solo intitulé Little Big Man et fera une apparition remarquée sur le projet The Chronic de Dr. Dre en introduction et conclusion du titre « Stranded on Death Row ». On l’apercevra aussi dans le clip « Dre Day » de Dre et Snoop, dans lequel ces deux derniers répondent aux attaques d’Eazy-E.

Bushwick Bill, c’est aussi l’un des premiers à avoir abordé sans complexe les problèmes de santé mentale et les différentes phases de dépressions qu’il a pu traverser dans sa vie. Dans son second album solo Phantom of the Rapra (1995), il fera preuve d’une clairvoyance à toute épreuve sur le morceau « Only God Knows » :

« It’s like I’m trapped inside this world of mines and just can’t win / I’m overcomed by suicidal thoughts but damned that’s sin / I need my mama cause she’d be always there by my side / To help me out when I ain’t strong enough to make the right »

La carrière de Little Big Man peut aussi se résumer avec quelques punchlines que lui seul pouvait sortir et qui resteront à jamais dans les mémoires de tous. Si je devais n’en retenir qu’une seule, ce serait peut-être cette rime très imagée et salace qu’il nous décrit sur son titre « Size Ain’t Shit » :

« I’ll show your girl how a real man feels / Large things come in very small packages / And while you’re gettin on your knees to fuck / A nigga like me’s still standin up »

Si le meilleur de Bushwick Bill est pour moi contenu dans ses deux premiers albums solo, par la suite il sortira quatre autres projets dont les No Surrender…No Retreat (1998), Universal Small Souljah (2001) et Gutta Mixx (2005). En 2006, il deviendra un ‘born-again Christian’ et signera en 2009 son dernier opus avec My Testimony of Redemption. Un LP complètement aux antipodes de ses débuts violents avec les Geto Boys qui lui apportera une régénération spirituelle nécessaire avant de refermer sa discographie en paix avec lui-même.

Pour conclure, la vie de Bushwick Bill aura été une sorte de conte de fées horrorcore et aurait même pu ne jamais commencer puisque sa mise au monde fut plus que compliquée, avec un accouchement qui durera plus de 30 heures. Au bout de cette attente interminable et douloureuse pour sa mère avec une hémorragie qui aurait pu lui coûter la vie, un premier miracle se produira dans la vie de Bill, qui arrivera à survivre à une sortie non-naturelle après le placenta. Les bases d’une vie tumultueuse étaient posées. Cette anecdote, il la racontera notamment dans l’émission Tracks d’ARTE, qui lui consacra un très bon portrait il y a quelques années.

Bien avant Game of Thrones, Bushwick Bill a montré au monde entier qu’il n’existait rien de plus ‘bad ass’ qu’un nain. Au final, un handicap qui n’en aura jamais été un pour lui, et c’est peut-être là son héritage le plus important avec ses quelques classics en solo ou avec les Geto Boys dans les années 90. Suite à son décès le 9 juin dernier, les Geto Boys perdent malheureusement un second membre en moins d’un an après la disparition de DJ Ready Red survenue le 24 août 2018.

« Bushwick, aka Chuck, four foot eight and straight don’t give a fuck / I got the strength of six men, with the heart to run up on a muthafucka six ten » (« Who’s the Biggest? » / Album : Phantom of the Rapra)

matic

A placé le Hip Hop sur écoute de façon illégale. Souhaite être enterré dans une boîte à rythme avec sa collection de K7 audio et un recueil des meilleurs couplets de Rakim. Fondateur du blog LE HIP HOP SUR ECOUTE.

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