S’il était si facile de trouver de l’or, nous serions tous millionnaires mais manque de chance, ce métal n’aurait plus la même valeur… Toute cette fable pour illustrer que si cet album est une pépite, elle n’a pas étincelé aux toutes premières écoutes.
Sans aller jusqu’à parler de déception, il faut reconnaître qu’après les mixtapes pleines d’insolence et d’énergie (Thirst 48, The Reach et Thirst 48 Part 2), on attendait un grand œuvre de ce premier projet de Boogie. Les planètes de talents semblaient s’aligner harmonieusement, il n’y avait plus qu’à se laisser transporter et, peut être, charmer par la dernière étoile en puissance que ses premiers pas semblaient désigner. Dans un projet dont la durée est en phase avec l’époque, le MC de Compton déploie un univers qu’on ne peut que placer sur la côte Ouest. Basses et snares rebondissantes, la rue inondée de soleil et des turpitudes qui font son aura et la désigne comme un purgatoire, une pincée d’amour : voici le sel de cet opus.
Si les productions font bien entendu le background de cet univers, elles portent surtout une ambivalence entre les teintes riches et colorées qu’elles inspireraient à un synesthète et la mélancolie qui transpire de ce projet. L’introspection a en effet sa place (et de choix !) dans cet opus. Dès son entame d’ailleurs, Boogie fait part de ses états d’âme et de ses interrogations quant à sa place dans la société et comment il évolue dans son environnement. S’il n’est pas rare qu’un premier track donne son ton à tout un album, « Tired/Reflections » s’inscrit pleinement dans cette veine-là. Au moins du point de vue des thèmes abordés.
D’ailleurs, le morceau suivant « Silent Ride » (qui a été choisi comme dernier single avant la release du projet) plonge notre observation dans cette tendance avec sa mélodie traînante qui donne au propos de Boogie la profondeur et le vertige qu’il y décrit.
Il est d’ailleurs assez remarquable qu’un opus qui fait part de tant d’états d’âmes évoque rarement explicitement la solitude. Pourtant, sa présence est indiscutable et facilement déductible des facéties amoureuses décrites dans « Skydive » et « Skydive 2 » :
I heard your commitment can turn to a sickness that I never seen, mmh
And for sure ain’t no cure, shit, I hope ain’t no cure, uh
La solitude, l’amour. Les thèmes déployés par Boogie sont forts. Comme pour expliquer combien son esprit est, sinon confus, au moins accaparé par ces sujets, il propose une narration intéressante parce qu’imbriquant des dialogues sur plusieurs morceaux. Notamment dans les situations amoureuses justement. Citons l’exemple de la conversation que Boogie engage avec sa nana dans « Tired/Reflection » et la suite de leur propos dans l’interlude « Lolsmh ».
Everything’s For Sale est, comme toute chose, une affaire d’équilibre. Si Boogie a du mal à trouver le sien dans sa psyché et dans les relations qu’il construit, il l’explique par sa difficulté à composer avec l’incertitude. Cette approche, en plus d’être explicite dans ses lyrics, se retrouve également bien dans les productions qui font cet opus. N’allez pas croire que celles-ci soient mal mixées ou que le mastering soit à revoir (loin s’en faut), disons juste que l’auditeur sensible à l’atmosphère d’un morceau peut, par exemple, facilement sentir un gap entre son propos et l’ambiance qui s’en dégage.
Un bon exemple est le morceau « SoHo » sur lequel Boogie convie JID et dont la prod est bondissante, énergique et entraînante quand le propos parle du manque de légèreté de leur vie d’artiste et des gens qui gravitent autour d’eux, uniquement attirés par la lumière de leur succès.
Dans le morceau « Live 95 », il se place au contraire dans la position du gars lambda qui flâne sur Insta de profils de nymphettes aux formes rebondies en rêves de plages désertes. Le tout sur une production où les notes sautillantes d’un riff de guitare créent une ambiance onirique.
En jonglant d’un thème et d’un état d’esprit différents d’un morceau à l’autre, Boogie se décrit et use de sa prose pour apaiser son esprit. « Sef Destruction », premier single de l’affaire, ne parle pas d’autre chose quand il s’épanche sur les excès qu’il commet et cherche un exutoire en assumant ses erreurs :
Like that night I drunk text SZA then got hot she ain’t reply
Même l’artwork de cet opus manifeste une fatalité face à l’indécision avec ce cercueil et en backcover, un personnage qu’on imagine être Boogie en train de prier et donc se soumettre à Dieu.
Au final, l’équilibre occupe une place centrale dans cet album. Si l’ambiance et le flow nonchalant de Boogie positionnent ce projet sous le soleil de Californie, il a aussi le mérite de rappeler à un Parisien en plein hiver que le soleil n’a pas que des vertus : il éclaire sans fard les turpitudes du vécu. Sans laisser un mauvais goût à l’oreille, Everything’s For Sale laisse un peu l’auditeur sur sa faim, ou sur un sentiment étrange. Techniquement, le boulot est bien fait : les prods sont propres et réussies, le flow est celui qui a fait son succès et les thèmes abordés ne sont plus des nouveautés depuis des années. Pourtant, et c’est peut être à dessein, nous aussi nous sommes dans l’incertitude quant à savoir la trace que laissera cet opus dans notre esprit (et avouons que l’intervention d’Eminem sur « Rainy Days » n’aide pas à prendre une décision positive). Le talent est là de toute façon, indubitablement : une écoute dans quelques semaines révélera peut être un chef d’oeuvre qui nous aurait échappé. C’est déjà arrivé.
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