On l’attendait seulement pour le 15 décembre. Une fuite assez importante sur Internet a obligé Booba à dégainer son Trône plus tôt que prévu sur toutes les toutes les plateformes de streaming. Le format physique suivra finalement à la date initiale. Entre temps, B2O aura déjà affolé les compteurs et Trône se sera déjà imposé comme un événement et un disque indispensable.
Neuvième album de Booba, Trône n’a finalement rien de révolutionnaire. Non pas que le Duc s’essouffle, on est quand même sur un bon cru, mais Booba ne change pas vraiment grand-chose aux ingrédients qui ont fait son succès. Ici, c’est l’attente qui crée l’événement, plus que le disque en lui-même. Pourtant, si B2O est depuis si longtemps sur le trône, c’est qu’il a su, à chaque fois ou presque, se réinventer ou apporter au rap français quelque chose de nouveau. Attention, rendons au Duc ce qui lui appartient, il y a du neuf quand même sur cet opus, les prods afro-trap sur lesquelles Booba s’oblige à changer de flow et à faire parler sa technique comme sur « Ça va aller » ou « A la folie ». Avec ces morceaux, Booba prouve qu’il est parfaitement conscient des grandes tendances actuelles du rap français. Jamais largué, il s’entoure aussi de deux artistes majeurs de la nouvelle génération, Niska et Damso. Ce dernier peut d’ailleurs légitimement être considéré comme son possible (probable ?) successeur, son couplet sur le titre « 113 » est d’une rare intensité sonnant comme un passage de témoin entre le maître et son élève.
Trône est de facture classique, au sens « boobaesque » du terme. Le maniement de l’egotrip violent (et parfois drôle) reste une de ses spécialités et il ne se prive pas de le rappeler comme il assène toujours cette même idée : si tu veux t’asseoir sur le trône, faudra s’asseoir sur ses genoux. Alors certes, ce n’est pas nouveau, mais c’est si bien fait qu’on ne peut pas s’en lasser surtout quand ça débute dès le premier titre, « Centurion ». On se délecte aussi quand il s’en prend à ses meilleurs ennemis, Patrice Quarteron, La Fouine, Sarkozy ou Carla Bruni, non pas qu’on ait foncièrement quelque chose contre eux, mais Booba reste le maître de la punchline de combat, pas de doute à avoir.
Classique aussi, mais moins visible, Booba a une conscience politique et sociale. Elle ne s’exprimera jamais en suivant un thème ou même dans un seul morceau, mais il y a néanmoins plusieurs lyrics qui viennent rappeler qu’il est un observateur averti de la marche du monde et qu’il a bien compris que ce dernier marche sur la tête, soit parce que seuls les plus forts peuvent subsister (« Bouyon »), soit parce que la société glorifie ceux qui sont prêts à tout pour réussir (« Magnifique »), autant de situations qui le pousseraient presque à devenir misanthrope. S’il ne sera jamais un rappeur engagé, il faut savoir décrypter son analyse au détour de chaque morceau ou presque : il y a aura toujours une phrase pour rappeler que Booba peut rapper avec profondeur. Parmi les sujets qui lui tiennent à cœur dans Trône, il y a celui de l’homme noir et de sa place dans le monde. Métis, B2O parle de cette situation avec parcimonie. Il est beaucoup plus loquace lorsqu’il s’agit d’évoquer sa conscience d’homme noir et le traitement qui va avec (« Trône ») et si les références sexuelles sont souvent explicites, c’est pourtant là que sa plume prend le plus de poids.
Car Booba parle de sexe, évidemment, assez crûment d’ailleurs. Il l’a toujours fait et Trône ne déroge pas à la règle. Mais, on sent aussi autre chose poindre derrière ses punchlines connotées, sans doute un homme désabusé, peut-être en proie à un certain spleen. Si Booba du mal à parler de ses relations avec les femmes autrement qu’au travers du prisme sexuel, il le fait pourtant cette fois déchirant une zone d’ombre sur ses sentiments, expliquant notamment qu’il n’arrive pas à s’attacher et qu’il préfère garder sa liberté quoi qu’il en coûte, y compris si c’est pour se séparer de la mère de ses enfants. Il explique respecter les femmes, mais ne veut rien lâcher, présentant même les relations amoureuses comme un fardeau (« Ridin’ »). La seule finalement qui trouve grâce à ses yeux, c’est sa « Petite fille ». Un titre qui sonne comme une confession. Même si le Booba papa se livre peu, on sent quand même que la paternité a changé les choses et dans ce morceau, il apparaît touché montrant presque une faille dans la carapace. Pour éviter qu’on se méprenne trop, il balance aussi un morceau comme Terrain, une suite de punchlines qui giflent, juste histoire de rappeler qui est le patron…
Musicalement, les prods signées Dany Synthé, Heezy Lee ou encore Twinsmatic sont très épurées voire aériennes, dans la droite ligne des dernières livraisons de B2O. Elles sont aussi assez dark, accompagnant parfaitement un opus globalement sombre si on excepte les titres aux rythmes africains. Elles permettent aussi à Booba de bien doser son auto-tune et de rester là aussi fidèle à ce qui fait sa marque de fabrique depuis plusieurs années maintenant. Rien de vraiment incroyable donc, mais tout est tellement bien fait que Trône sort sans peine du lot.
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