Pour définir sa musique, Boldy James (James C.Jones III de son vrai nom) n’y va pas par quatre chemins. Si nous entendons parler de lui aujourd’hui c’est en grande partie grâce à son cousin Chuck Inglish (The Cool Kids), qui l’a poussé à se consacrer au rap pour ne pas le voir sombrer davantage vers de turbulents sentiers. Si le cousin s’est fait un nom avec son compère Sir Michael Rocks, grâce à un rap léger et cool, c’est bien les traces d’un vécu sombre et mouvementé qui remontent à la surface dès lors que Boldy s’empare du micro.
Une dizaine d’années dans le circuit pour ce MC dont la carrière fut plusieurs fois marquée du sceau de la collaboration avec The Alchemist. The Price Of Tea In China en est une brillante illustration, un récit de 12 titres à la dimension cinématographique.
« My friends came and went, but most of them was murder victims » (Carruth)
Lorsque le voile se lève, c’est un Boldy engourdi qui place ses premiers mots, répondant à cette lourde voix qui lui lancera deux minutes durant « Why are those people crying ? Is it for something they’ve lost ? ». Intro funeste du projet, « Carruth » semble raconter la fin de l’histoire : un réveil chaotique après la tempête où le MC se sait transformer par son environnement, entre vieux démons et portraits fantômes. Un état des lieux implacable, avant de nous plonger dans sa spirale : au cœur des rides nocturnes de mauvaise augure, du goût morbide pour les armes à feu et de la puanteur des rues. Celle qui donnerait la trique au De Niro de Il Était Une Fois En Amérique. 12 titres, 12 scènes, tirées d’un Détroit violent et glacial, qui semble ne faire que des victimes, directes et collatérales.
« My son think that I don’t love ’em, he don’t know his daddy thuggin' » (Surf & Turf)
Si Boldy s’est essayé à des sonorités plus conventionnelles dans ses escapades solos – Latr (Tabs & Cabs), House Of Blues – il en est ressorti bien plus affûté et polyvalent en tant que rappeur. Capable de faire dans la démonstration technique (« Pinto ») ou de nous tenir en haleine sur des prestations musclées, dans lesquelles chaque phase est envoyée comme une sentence (« Speed Demon Freestyle »). Le regard enfumé, sûr de son jeu, il montre toute son étoffe lorsqu’il partage un bout de l’intrigue avec un Freddie Gibbs survolté (« S.N.O.R.T »), avec un Evidence solennel ou avec un Benny The Butcher pour une belle connexion Détroit/Buffalo crapuleuse. Ahurissant de détachement, le rappeur délivre également un rap à l’écriture détaillée et immédiate dans « Surf & Turf », titre phare avec le caustique Vince Staples.
Moins massif que My First Chemistry Set, The Price Of Tea In China se veut, dans la lignée de Boldface, plus minimaliste, et imprégné du langage d’un Alchemist toujours aussi inspiré dans sa recherche du sample parfait. L’architecte californien compose avec sa touche unique et laisse fréquemment parler les boucles pour concocter des salves hypnotiques (« Surf & Turf »), oppressantes (« Slow Roll ») voire carrément macabre (« Scrape The Bowl »). Différentes teintes dynamisées par un travail de réalisation remarquable. Grâce à des transitions habiles entre chaque titre, Alchemist brode l’écrin idoine pour l’écriture de Boldy. Une authentique plus-value pour donner au récit une narration des plus enlevées.
Inspirés l’un par l’autre, nos deux protagonistes se complètent à merveille, comme deux fuoriclasse se trouvant les yeux fermés sur un terrain de football. On sent, d’ailleurs, qu’à travers Boldy, Alchemist retrouve par instants les voies empruntées autrefois avec un certain Prodigy. Dans sa nonchalance froide, Boldy vient à nous rappeler la voix caverneuse de Bandana P, dont la deuxième partie de carrière fût étroitement liée à l’alchimiste californien. Pour le Motor City résident, comme pour la légendaire moitié de Mobb Deep de son vivant, les maux sont impérissables car trop ancrés dans la peau. C’est ce qu’il laisse transparaitre lorsque souffle « Phone Bill », final brumeux et prolongement au réveil de « Carruth », manifestant en substance que derrière l’ascension, les premières victoires et l’ouverture du champ des possibles il y a un bagage de traumatismes que l’on ne peut laisser derrière soi.
La brume se dissipe, il reste la sensation d’avoir eu droit au meilleur effort d’un véritable duo, à travers lequel une certaine vision du rap fait bien plus que subsister. Exigeant, savamment réalisé, The Price of Tea In China est de ces projets vers lesquels on s’empresse de revenir pour en saisir toutes les subtilités. Si Alchemist est impressionnant de constance, on assiste surtout à un retour au premier plan pour Boldy James qui dans une formule qui lui correspond davantage, donne alors à son art un tout autre cachet.
Cette chronique est une contribution libre de Alfred Dilou que nous avons choisi de publier. Si vous aussi vous voulez tenter d’être publié sur BACKPACKERZ, n’hésitez pas à nous envoyer vos articles via notre page de contact.
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