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Blastar : « Je vise de nouveaux horizons »

BACKPACKERZ :  On aimerait d’abord revenir sur tes débuts avec la musique au sens large, ta première rencontre avec le hip hop et ce qui a pu te pousser vers le beatmaking ?

Blastar : Je viens d’une famille de mélomanes, mon père est un grand fan de musique: blues, jazz, reggae… Il m’a offert un synthétiseur le jour de mes 6 ans et j’ai instantanément reproduit une mélodie que j’avais entendu, à l’oreille. Je suis tombé immédiatement amoureux de la musique et j’ai pu affirmer mes goûts en grandissant. Naturellement, j’ai une influence forte venant de la musique caribéenne par mes origines antillaises et le rap est arrivé dans ma vie à sa période dorée (à savoir les années 90). A l’époque, j’avais 14,15 ans et c’est en écoutant les IAM, NTM ou le Wu-Tang que j’ai voulu apprendre à composer cette musique.

A quel moment tu as complètement basculé dans ce milieu ?

Je suis passé à fond dedans quand un ami DJ m’a sollicité pour composer entièrement un projet d’artistes locaux en Martinique et en Guadeloupe. C’est comme ça que je suis passé « professionnel » à mes 19 ans. Les artistes venaient à moi par la suite et j’ai pu réaliser mes premiers titres (notamment avec Admiral T) qui ont rencontré un bon succès. Par la suite, j’ai rencontré Oumar (Samaké) et on a lancé ensemble l’aventure Golden Eye Music Group.

On sent qu’Oumar a vraiment une place centrale dans ta carrière et plus largement dans celle de plein d’artistes. Tu avais déjà une team avant ta rencontre avec lui ?

J’ai débuté avec une team qui s’appelait « ScorBlaz » : Brisco, Scorpus et moi. Ce sont deux DJs/Beatmakers très influents aux Antilles et relativement spécialisés dans les mix afros-caribéens pendant que moi j’étais plutôt la touche hip hop. On a continué à bosser ensemble un peu avant de prendre des chemins différents, puis j’ai rencontré Oumar au Planète Rap de Sefyu à l’époque pour l’album Qui Suis-je (2006). Après discussion, on en est venu au projet GEMG.

Il avait compris très tôt que les beatmakers étaient le lien entre les artistes et qu’il fallait créer un pôle de producteurs pour faire venir les artistes et façonner des albums de toutes pièces. On voulait vraiment inculquer aux médias et artistes cette culture du beatmaking car finalement le rap c’est au moins 50% de production. On a pu sortir de belles choses comme le projet We Made It Vol.1 (2012) qui a fait découvrir notamment Joke (aujourd’hui Ateyaba).

Quelle place a GEMG dans ta carrière aujourd’hui ?

Je pense que la marque GEMG a bien pris dans les années 2010 et nous a finalement accordé une crédibilité suffisante pour gagner le respect des artistes et avoir continuellement des nouvelles demandes en beatmaking. D’autre part, j’arrive à un stade où j’ai besoin de m’exprimer artistiquement, en ayant la liberté suffisante pour le faire. Le numérique a vraiment simplifié les choses à ce sujet.

Tout ce côté international et dépassement des frontières t’as paru plus clair avec l’avènement du streaming ?

Totalement ! J’y pensais déjà car c’était l’ambition qu’on avait avec GEMG mais c’était beaucoup  plus difficile à l’époque. Toute cette musique à portée de main me permet de découvrir d’autres pays qui sont très au fait de la musique urbaine (Allemagne, Pays-Bas, pays scandinaves…) et qui ont un niveau vraiment impressionnant.

@ladegaine_

Depuis quelques années en France on sent qu’il y a un pôle producteur très fort…

Il y a énormément de mecs impressionnants même si je trouve que c’est de plus en plus difficile de reconnaître une couleur chez un beatmaker. Dans les années 2000, tu pouvais facilement différencier un Alchemist d’un Just Blaze ou d’un Timbaland alors qu’aujourd’hui on retrouve un peu les mêmes kits dans toutes les prods et ça donne un peu un résultat global plus difficile à dissocier. Il faut être plus patient pour reconnaître qui a fait la prod.

Comment tu définirais ton univers sonore ? C’est quoi la « patte » Blastar ?

Je pense qu’avoir grandi dans le milieu gospel m’a aidé à forger tout ça. Quand tu dois accompagner les chorales, on ne t’apprend pas la musique mais on laisse place à l’improvisation. Tu développes le groove, l’accompagnement et une fibre sur certains accords. On peut avoir une base d’influences évidemment mais elle évolue forcément au fil du temps et des expériences.

Aujourd’hui je pourrais dire que je n’ai plus de genre par rapport à l’époque Golden Eye où je faisais du son plus marqué « Dr. Dre« . Maintenant, j’explore des sonorités wave, pop avec de l’influence trap (sur mon projet Ex Machina par exemple, sorti en 2017) et je pense que c’est important pour un beatmaker de ne pas s’enfermer dans un seul style pour ne pas brider sa créativité.

Les deux forces de ta longévité sont donc l’écoute et la recherche perpétuelle de nouveautés ?

Quand tu es producteur, tu achètes ton logiciel, tes VST (Virtual Studio Technology) et au final 80% du temps tu utilises la même chose ! Tu dois utiliser 2% du potentiel de ton logiciel et encore… Alors forcément tu t’ouvres et tu vas tester des choses. Aujourd’hui je mélange les genres et ce que je recherche c’est la réaction. Je veux faire ressentir quelque chose, que ce soit en bien ou en mal il faut qu’on se souvienne de toi.

Ton morceau, il doit avoir un bon twist comme dans une bonne série ! Je trouve que c’est triste d’être prévisible, c’est la pire des choses. J’ai d’ailleurs eu cette confirmation sur l’album de Lorelle Howard où j’ai produit les 7 titres. Je dois passer d’un univers à un autre et les gens me disent qu’on a souvent du mal à croire qu’il n’y a qu’un seul producteur derrière tout ça. C’est une vraie expérience musicale, c’est ce que je préfère.

C’est quoi l’histoire derrière cette collaboration ?

Quand je bossais sur l’album Ateyaba pour Joke, on est parti à New York et je l’ai rencontré dans un studio à Manhattan. Elle avait déjà une grosse team niveau production mais elle avait cette problématique de ne pas faire uniquement des sons pour passer en radio et c’est difficile de trouver un producteur dans cette optique là-bas.

J’ai pu lui faire écouter quelques titres sur place puis Joke a explosé et on s’est perdu de vue avant de se retrouver au moment où j’ai lancé mon projet d’EP solo. Elle voulait vraiment un EP disparate et c’est comme ça que notre collaboration a vu le jour. Elle est aujourd’hui à Londres et ça me permet aussi de faire les allers-retours et rencontrer d’autres artistes locaux.

Tu te connectes de plus en plus avec des artistes anglais ?

Oui de plus en plus ! Je trouve que la mentalité est très intéressante là bas. Elle se rapproche de la mentalité américaine, il y a ce côté opportuniste et ambitieux avec la notion familiale qui reste très importante. Je travaille beaucoup avec cette scène en ce moment et je pense que ça va m’apporter pour la suite.

Si tu devais jeter un coup d’œil dans le rétro, qu’est-ce que tu dirais de ta carrière ?

Je dirais que le meilleur est à venir ! Tout ce que j’ai pu faire, j’en suis fier même si j’aurais aimé faire plus. Je pense que j’ai loupé le virage streaming au moment où il fallait le prendre. On avait compris l’importance de ça chez GEMG mais on a dû rebondir après Joke et j’ai finalement peu participé aux projets de Dinos et Dosseh.

Il y a eu un creux dans mes placements et aujourd’hui on m’entend moins dans le paysage du rap français car je pense que mes prods ne correspondent pas vraiment à la tendance actuelle.

C’est aussi pour ça que tu développes ton propre projet ?

Exactement ! Là j’ai mon EP dans les cartons. J’ai sorti le premier extrait avec Gracy Hopkins qui s’appelle « Chill Out » que j’ai pu clipper. J’espère pouvoir sortir le prochain extrait en avril et sortir le projet fin 2019 en organisant une release party avec tous les artistes du projet.

Je vais vraiment essayer de réveiller la curiosité en réunissant des artistes totalement différents. J’ai envie de ramener une nouvelle touche et d’aller chercher l’expérience musicale. Pour moi, l’ambition avec ce projet est d’obtenir une carte de visite à l’international. Le marché européen m’intéresse énormément et j’ai tendance à le trouver plus intéressant que le marché américain. Il y a tellement de sonorités, cultures qui sont encore à découvrir. Quand je vois de la soul suédoise, par exemple, je suis scotché… Je me demande comment ils peuvent avoir cette fibre, c’est fou !

On sent que tu vis vraiment une transition d’homme de l’ombre à producteur qui travaille son image de marque pour se mettre sur le devant de la scène…

Et c’est très difficile ! Il y a ce que les gens pensent de toi et ce que tu restitues via ta musique. Aujourd’hui on me voit comme un homme de l’ombre qui fait des prods sombres alors que je recherche surtout à mélanger les genres et trouver de nouvelles sonorités. Quand tu es producteur de rap – en tout cas en France – les gens de la variété te trouvent extraordinaire car tu es un « hommes orchestre«  et à l’inverse nous on pense qu’eux sont extraordinaires car « ils font de la musique« . Je pense qu’il y a des ponts à trouver et à mettre en avant.

Comment travailles-tu avec l’artiste aujourd’hui ?

La façon dont je fonctionne n’a pas trop changé. J’aime m’imprégner de l’univers de l’artiste en amont et j’essaie de le retranscrire en studio en apportant ma touche. C’est de plus en plus compliqué en France car j’ai du mal à retrouver cette mentalité là. Je trouve qu’il y a un manque de prise de risque flagrant à ce niveau et c’est dommage.

Il n’y a rien à perdre à essayer des choses. Par exemple, j’ai poussé Gracy Hopkins à tenter un morceau de cette couleur avec moi alors qu’il n’était pas forcément emballé au départ. Je trouvais qu’on avait besoin d’avoir un morceau de type festival qui bouge bien et au final je pense qu’on tient quelque chose de bon dans ce registre. Ça valait le coup d’essayer ! J’ai la chance aujourd’hui d’avoir plusieurs connexions en Angleterre et je pense que tout ça va pousser mon travail encore plus loin.

@ladegaine_

Comment opères-tu aujourd’hui pour te connecter aux artistes ?

Je suis obligé d’y aller seul et de contacter directement les artistes. C’est assez difficile car il faut les attraper avant qu’ils soient trop connus. Tout le travail passe par de la veille constante sur les réseaux sociaux, écouter des rookies et des playlists selon les pays… J’ai fait mes études dans le digital alors les statistiques c’est ce qui me parle le plus. Je vais prendre un artiste et regarder ses écoutes, ses followers, son référencement, son accessibilité mais c’est vraiment un travail à part entière!

En ce moment j’aime bien Kojey Radical par exemple. Cette nouvelle école dans la veine Kendrick Lamar, J. Cole m’attire beaucoup. C’est un rap à la fois mainstream mais qualitatif et je trouve que c’est un rap vraiment impactant. J’ai plein de choses sur le feu en tout cas, l’objectif est d’arriver gros et d’impacter directement au niveau international.

Et au niveau de ton matériel de production?

Je bosse toujours sur Reason et je cherche aujourd’hui à ce qu’ils me sponsorisent. J’essaie d’intégrer pas mal de sampling, notamment tout ce qui touche à la voix et côté drums j’essaie de trouver de nouveaux kits pour avoir une marque de fabrique reconnaissable. En terme de composition, j’ai toujours la même mécanique piano/basse pour trouver mes mélodies puis la rythmique vient dans un second temps même si elle est très importante. Je trouve que la musique a moins cet aspect groovy aujourd’hui et ça me manque de faire des prods à la DJ Khalil avec ce son plutôt « chaud ». D’un autre côté, je dois aussi progresser sur le mix car le niveau est aujourd’hui trop haut pour se permettre de ne pas être irréprochable sur ce point.

Dans une interview de 2014, tu disais que les sonorités trap allaient s’essouffler… Qu’en penses tu avec le recul ?

Je pense que le fait que ça passe en club et que ça réponde très bien à la demande actuelle – les gens dansent dessus – fait que cela tient réellement sur la longueur. Au final, le trap c’est de l’electro rap… J’aime beaucoup ce que New York fait sur ce sujet, c’est-à-dire garder du sample avec des sonorités trap.

Après, la musique fonctionne souvent sous forme de cycle et la génération qui a grandi avec le trap sera forcément curieuse et voudra découvrir ce qui se faisait avant. Il nous manque simplement ce gros hit qui va casser les codes et remettre sur les rails une nouvelle tendance. Ce que je reproche au trap, c’est d’être une musique un peu fast food. On la consomme rapidement et on l’oublie dans la foulée la plupart du temps car il y a peu souvent ce soupçon d’originalité qu’on va retenir.

J’attends beaucoup des grosses pointures qui ont la faculté à bousculer les modes (Kanye West par exemple) mais aujourd’hui je n’écoute presque plus de rap américain parce que c’est trop linéaire. A force de me plonger dans le rap anglais, j’ai découvert pas mal de choses intéressantes car ils ont une veine très underground là-bas. Par exemple, Society of Alumni ont beau être très jeunes, ils cherchent à se placer à contre-courant de tout ça en proposant une musique qui reprend les racines du hip hop.

C’est quoi une bonne prod aujourd’hui pour toi ?

C’est une bonne question! Pour moi c’est surtout dans la manière dont tu vas superposer les instruments et les faire interagir entre eux, les nuances que tu vas ajouter et surtout le mix ! Il y a vraiment une différence entre être un bon musicien et être un bon producteur. Trouver l’équilibre entre les deux c’est le plus difficile. Dans mon évolution, je mettais beaucoup d’instruments au début puis j’ai compris qu’il fallait aussi laisser de la place à l’artiste en essayant d’épurer ma manière de produire. Je trouve que « Produit de mon environnement » est un bon exemple de production surchargée où j’aurais effectivement pu laisser un peu plus de place à Mac Tyer pour s’exprimer.

Une anecdote sur une prod à nous donner ?

« Que pour les vrais » de Rohff ! Il m’appelle à 3h du matin et je lui envoie la prod quatre heures après tant bien que mal… Deux heures après il me rappelle et il avait déjà rappé dessus! On a bouclé le truc en dix heures. Sinon, « Code de la rue » de Kennedy. La prod était destinée à la base pour Médine qui, au final, s’est retrouvé avec la prod d' »Arabian Panther » qui ne lui était pas destinée… Cette prod était au départ pour un projet pour la Somalie où il devait y avoir Grand Corps Malade, Aznavour, Kery James, Amel Bent… Le morceau ne s’est pas fait et au final j’ai donné cette prod à Médine car celle de « Code de la rue » lui était passée sous le nez. Pour moi c’est une de mes meilleures prods, j’ai bossé trois jours dessus.

Tu te verrais aller encore plus loin que le rap aujourd’hui ?

Carrément ! Musique de film notamment. J’ai fait une musique pour un film qui s’appelle État Sauvage. J’aime particulièrement cet exercice même si c’est très difficile. Je pense que c’est le plus haut niveau de musique que tu puisses faire. J’ai pu faire quelques musiques de pubs aussi (Citroën, Quai 54…).

Après j’aimerais bien essayer quelque chose de très pop, un peu à la Ariana Grande. Après mon EP, j’aimerais sortir un album et obtenir l’étiquette d’artiste en tant que tel, faire des tournées…

Là par exemple, tu pourrais collaborer avec des artistes très mainstream en France ?

Oui ça ne me dérange pas du tout, il faut juste que ce soit du mainstream avec de la production de « haute qualité ». Si je suis amené à travailler avec un Maître Gims par exemple, je veux viser une production avec une qualité semblable à ce que pourrait faire Major Lazer. A côté de tout ça, je vise vraiment de nouveaux horizons. Par exemple, je suis en train de mettre en place un partenariat avec BeatStars pour leur proposer des prods et développer quelque chose avec eux. J’envisage aussi de monter un workshop pour proposer des sessions de beatmaking, de conseils… Beaucoup de travail qui m’attend si je veux développer la marque Blastar !

Cet entretien a été préparé et mené avec l’aide de Benjamin Boyer et Fayçal De Guerengomba pour les photos. Merci à Blastar pour sa disponibilité.

Antoine Fournier

Gosse des 90's et enfant du boom-bap. Remercie Dieu chaque jour pour Alchemist.

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