Il est difficile d’admettre que le premier projet soliste de Black Tought ne sorte qu’en 2018. Après près de vingt cinq ans de carrière, le MC de The Roots n’a guère perdu de sa verve microphonique. Bien au contraire, il est devenu avec le temps un des freestylers les plus redoutés de sa catégorie. On aurait pu douter de ses capacités à s’adapter à un format classique en solo. Les doutes s’envolent après l’écoute des cinq titres, qui composent ce premier volume des Streams Of Thought.
Black Thought se ballade avec une aisance insolente sur les cinq productions concoctées par les producteurs surdoués de Jamla, 9th Wonder et Khrysis. Il arrive à garder sa spontanéité d’improvisation et maintenir la rigueur d’un lyriciste réfléchi. L’auditeur retrouvera dans cet EP le Black Thought inspiré des freestyles radio de Funkmaster Flex, et celui plus inquisiteur des textes tranchants de The Roots. Habilement, 9th Wonder, qui assure les trois quart des musiques, a su s’adapter à la langue aiguisée de BT. Des drums corrosives et des ambiances en demi-teinte, tout est calculé pour mettre ses performances vocales au premier plan. Le MC alterne en cinq chapitres le calme et la tempête avec une constance impressionnante.
Le morceau de bravoure de ce mini opus reste la « confrontation » virtuelle « 9th vs Black Thought ». L’auteur de ce Streams… malmène avec un acharnement non dissimulé la musique la plus limpide du projet. Les amateurs retrouveront sans peine la patte léchée du producteur de The Wonder Years ou de Tutankhamen. Le côté brut de décoffrage en plus. Difficile de l’identifier par contre dans « Dostoyevski », référence délirante à l’écrivain russe, où Thought pousse dans ses retranchements la pourtant très avisée, Rapsody. Tout au long du morceau, il redouble d’ingéniosité pour faire briller des rimes antinomiques sorties de nulle part. Enregistré il y a deux ans, « Making A Murderer » semble légèrement en deçà. Tant la voix de l’ancien The Lox, Styles P, paraît à des années lumière du niveau de son acolyte de 46 ans. Les amateurs apprécieront sûrement la capacité d’adaptation du rappeur de Philly sur les ambiances plus mélodieuses de « Twofiften » et « Thank You », basé sur un sample de D’Angelo.
En cinq temps, cinq mouvements, Black Thought donne une leçon de MCing aux rappeurs, qui dissimulent leurs lacunes derrière les filtres trompeurs de l’auto-tune. Une piqûre de rappel, qui ne laisse aucun goût d’inachevé malgré sa courte durée. Ce Streams of Thought ferait même oublier la nostalgie aux admirateurs des Roots. Black Thought y apparaît tellement libéré et au sommet de son art. Un art indémodable, qui assure encore pour de longues années la pérennité du rap boombap. Dans un exercice concis mais difficile, il réussit à convaincre qu’il domine son sujet comme personne. La parution d’un second volume devrait confirmer cette suprématie mature.
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