Black Milk dépose avec FEVER son septième album studio que nous avons eu la chance de pouvoir découvrir depuis quelques jours. Malgré sa relative jeunesse, le MC et producteur de Detroit a déjà un CV des plus respectables puisqu’il a notamment commencé sa carrière comme beatmaker de Slum Village. Depuis, il a pris son envol et proposé des opus toujours aussi bien construits avec une recherche de samples riche et patiente qui fait sa signature. FEVER parle de fièvre(s). De celle(s) qu’on ressent ou de celle(s) dont on est témoins. Pour cette release, nous vous proposons de nous arrêter sur trois points marquants du projet.
Producteur passionné et MC de talent, Black Milk laisse souvent la musique s’exprimer : il n’est pas de ces rappeurs qui ont besoin de cracher leur prose au MIC pour occuper l’espace et surtout la mesure. Pour lui, il s’agit de dosage : la recherche musicale a été une part importante de son processus créatif et il entend lui laisser droit de cité. Les 12 tracks de ce projet sont en fait marquées par ce constat. D’ailleurs, à quelques exceptions près où il va d’ailleurs plutôt privilégier les lyrics, c’est vraiment sa marque de fabrique. Notons en effet qu’il intègre dans cet opus 2 tracks purement instrumentales avec « EVE » et « DiVe ». Ces tracks sont positionnées comme des interludes qui décrivent une pause dans le tableau qu’il dépeint. Comme s’il laissait les yeux du spectateur embrasse la scène qu’il décrit au fil des notes.
Malgré un certain classicisme dans sa composition et le fait qu’il soit allé piocher son inspiration dans des styles profondément ancrés dans la musique noire américaine (jazz et soul), on retrouve quelques inceptions de phrases électroniques qui rappellent son ouverture d’esprit et son appétence pour la chose musicale et son époque. On pense notamment au single « Laugh Now Cry Later » ou au morceau qui va clôturer cet opus « You Like To Risk It All / Things Will Never Be » dont les nappes de synthé et le côté vaporeux apportent une touche contemporaine à l’opus (qui n’en manque d’ailleurs pas).
La démarche qu’a choisie Black Milk lui permet de composer sa trame narrative autour de douze morceaux qui sont autant de thèmes qu’il décline dans son projet. Chacun de ces thèmes permet d’explorer un aspect de la fièvre qui caractérise notre époque. Il y explore ainsi l’instabilité émotionnelle que peuvent engendrer les réseaux sociaux (« Laugh Now Cry Later »), la politique (« True Lies »), les différents points de rupture dans la vie (« You Like To Risk It All / Things Will Never Be »), la défaite du bonheur (« UnVEIL »), la solitude de la dépression (« Drown ») ou encore la beauté de l’amour (« 2 Would Try »).
Même si l’approche ne présente pas une originalité extraordinaire, Black Milk a clairement le mérite de s’attaquer à un thème (la fièvre) qui présente une forte subjectivité dans son appréciation et permet donc d’en livrer un récit intime. C’est clairement ce qui fait la force de ce projet : l’apport très personnel que réalise l’artiste en déployant son talent de producteur et de lyricist.
Quitte à parler de fièvre(s), autant convoquer également quelques remèdes. C’est ce qu’entreprend Black Milk en conviant Dwele, Aaron « Ab » Abernathy (qui est également son directeur musical) ou Sudie. Tous trois jouent de leur voix délicate et doucereuse pour apaiser cette fièvre qui s’empare de Black Milk et du monde. Si Sudie est encore une artiste peu connue dans nos contrées et développant plutôt une discographie house voire parfois dance, les amateurs de R’n’B n’ont pas pu manquer la présence de Dwele sur « 2 Would Try », hymne au cocon amoureux.
Notons également la présence voire l’omniprésence de son « mentor » et partner-in-crime Ab. Celui qui déroule une carrière honnête de musicien est surtout un des piliers de la création musicale de Black Milk qu’il accompagne en featuring sur « But I Can Be ». En tous les cas, ces trois contributeurs apportent une touche résolument soulful à un opus qui n’en manque déjà pas.
Au final, notons la grande cohérence musicale de l’opus, assez condensé (douze tracks dont deux instrumentaux) et qui présente quelques sons qui installeront cet opus comme une belle pièce dans la discothèque de l’amateur d’un hip-hop faisant le lien entre ses origines et son devenir. Cependant, nul besoin d’être un fin connaisseur pour constater que Black Milk propose un projet à l’accessibilité plus complexe que d’autres artistes. La richesse musicale qui en ressort, la recherche d’accompagnement du storytelling et la forte empreinte de jazz qui teinte cet opus en font un disque de grande qualité. On pourrait regretter une certaine homogénéité dans les propositions de morceaux dont la rythmique et l’accroche mélodique varient peu d’un track à l’autre. L’effet c’est que l’opus peut parfois manquer un peu de relief. Effet compensé par cette linéarité à l’oreille qui le rend reposant et très agréable à écouter surtout quand des morceaux plus pêchus balancent leur premières notes. Un joli projet. De toute évidence.
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