Celui qu’on a découvert il y a quelques années, alors qu’il n’était encore qu’un gamin, a aujourd’hui bien grandi. Avec son nouvel album, Bishop Nehru a décidé de surprendre en affichant une évolution qui, au premier abord, pourra en déstabiliser certains.
A seulement 23 ans, voilà maintenant déjà plus de 8 ans que Markel Scott a commencé sa carrière artistique. Des débuts prometteurs tout d’abord instrumentaux, avec le projet J.A.Z.Z. en 2011, avant de prendre le micro l’année suivante sur Kanvas. Deux sorties sous des pseudonymes différents, avec respectivement Kelz Scott puis Kile Kanvas, pour ensuite adopter définitivement celui de Bishop Nehru sur sa mixtape Nehruvia. Un projet qui sera le véritable point de départ pour ce jeune rappeur et l’inauguration d’une longue série de sorties portant ce titre.
En seulement quelques années, Bishop est passé d’un adolescent qui essaye de faire sa propre pub sur des forums (il reste quelques traces amusantes sur le net) à celui qui a été adoubé par Nas, MF DOOM ou Kendrick Lamar pour ne citer qu’eux. De son projet en commun NehruvianDoom avec DOOM à sa signature sur le label Mass Appeal Records de l’auteur d’Illmatic, le MC précoce a déjà une discographie étoffée pour son âge mais qui reste de valeur très inégale. En ce qui me concerne, je l’avais laissé il y a 2 ans avec son album Elevators (Act I & II) produit par DOOM et KAYTRANADA. Un opus qui avait comme particularité d’être divisé en deux parties distinctes, Act I: Ascension et Act II: Free Falling. Une structure qu’on retrouve également sur cette nouvelle sortie.
Welcome to my disregarded thoughts by Markel Scott
C’est par ces mots que s’ouvre la nouvelle œuvre de Bishop Nehru. Une introduction parlée de quasiment deux minutes dans lequel l’auteur nous raconte l’histoire d’un homme qui, en trouvant une cassette audio, verra sa vie changer à jamais. Ce morceau d’ouverture, « Colder », introduit aussi le concept du projet résumé dans cette première rime et qui répond à la question ‘qui est Bishop Nehru’ : « The guy tryna keep a positive mind / But always gettin’ tested by the devil and God ». Une opposition qu’il déclinera en deux actes sur cet album, passant des abysses à l’évasion : « Dark need light so I’ma bring the light to the darkness ».
Act One: The Abyss
Derrière ce premier morceau « Colder », Bishop enchaine avec un titre dont la production de CuBeatz et Maaly Raw épouse parfaitement les tendances actuelles sous fond d’influence trap. Deux couplets d’egotrip bien ficelés lyricalement contrairement à un refrain très répétitif qui, au final, n’est rien d’autre que ce qui se fait actuellement dans le rap game.
La piste suivante est un changement total d’ambiance sans drums qui se limite à des cordes (de Marcus Machado) et un saxophone dont l’effet est toujours prenant. Ce « Why Does The Night Sky Talk To Me? » est à l’image de son clip, une plongée sombre dans l’esprit de son auteur où le chant occupe une place importante. Un seul couplet rappé sur ce morceau qui, une nouvelle fois, s’ouvre de la meilleure des façons : « My mind’s driving me rapidly, I’m alone and lost / Caught in my thoughts, it’s a cycle, I’m hoping would get tossed ».
Avec « Little Suzy (Be Okay) », Bishop en profite pour faire parler son sens du storytelling en nous racontant les déboires d’une jeune fille suite à un traumatisme. Accompagné par un piano, aussi bien dans son introduction que sur le beat principal, Nehru retrace toutes les pensées négatives d’une enfant qu’il essaye de remotiver pour s’en sortir. Un état mental fragile et torturé qui sert une nouvelle fois de fil rouge à ce début de projet et auquel Markel Scott cherche également à échapper.
It’s hard to find a release when all the demons speak
Dernier morceau de ce premier acte, le single « Too Lost » produit par DJ Premier est exactement ce qu’on est en droit d’attendre d’une collaboration entre ces deux artistes. Un résultat marquant qui va chercher ses inspirations sonores dans le morceau « Mais dans la lumière » de Mike Brant qui a déjà été samplé par Dr. Dre sur le « Crack a Bottle » d’Eminem ou par le duo de producteurs français Get Large (« Live It Up »). Un titre dans lequel Bishop y entend deux voix qui le supplient de se libérer de ses démons avec un deuxième couplet qui referme définitivement cette première partie : « I need the old days when you were the young vandal / Who didn’t give a fuck if they didn’t understand you ».
Act Two: The Escape
Libéré de ses pensées sombres, dans cette seconde partie on retrouve un Bishop Nehru recentré sur l’essentiel avec une envie débordante de nous faire part de son évolution. Dans les 8 titres suivants, il s’efforcera de varier les flows avec toujours en ligne de mire ses impératifs de MC. « 3:50 in LA » fait partie de ces démonstrations de style qui me parlent quand « EMPEROR » se veut, lui, un peu plus moderne, que ce soit dans le flow ou la prod. Deux morceaux efficaces auto-produits qui ne se ressemblent pas, tout comme ce planant « OurEnergyIsAstral » avec Marcus Machado à la guitare une nouvelle fois, et Inphanyte à la production. Ces changements incessants déstabiliseront peut-être plus d’un auditeur à la première écoute, mais trouveront au final un certain écho à la philosophie générale de cet album voulue par son créateur.
I learned to never think miniature just use your heart and your brain
Ceux qui ont apprécié l’année dernière le projet en commun The Real Book, Vol. 1 de Bishop et Braddy Watt seront ravis de retrouver le producteur aux crédits de deux nouveaux morceaux. Tout d’abord sur « All of My Years », mais surtout sur l’excellent titre final « Never Slow ». Une collaboration parfaite, encore portée par une ligne de basse profonde et riche, qui offre au rappeur de l’état de New York une fin en beauté ponctuée par ce passage : « I know we see a problem and we think to avoid it / But true growth comes when we finally destroy it ». Une punchline qui résume tout son album et notamment son nouvel état d’esprit.
Seul véritable guest, son mentor MF DOOM est invité à s’exprimer sur un « meathead » concocté par Madlib qui ravira les fans de l’époque Madvillainy. Un titre, aussi créatif que le clip, sur lequel Bishop est au meilleur de sa forme. L’association de ces deux artistes accouche souvent sur un résultat plus que satisfaisant, c’est une nouvelle fois le cas sur ce morceau qui donne envie de se replonger dans leur projet en commun NehruvianDoom.
Avec « Me & My Thoughts » et « CAREFREE BLACKBOY », on voyage à nouveau sur d’autres terrains. Ce dernier titre, co-produit avec Maaly Raw, est très actuel dans sa construction et trop facile pour un Bishop qui veut absolument se renouveler sur toute la tracklist. Pas forcément une grande réussite, je lui préfère ce premier titre cité, beaucoup plus fourni niveau texte : « Me and my thoughts got me feeling a way / I’m moving different, you know how I play / Swear that I never could care what they say / I’m living life and enjoying the stay / All of the clouds have been switching from grey ».
Nehruvians or Nothin’
Pour conclure sur cet album, celui qu’on a découvert alors qu’il n’était encore qu’un gamin a bien grandi. Il nous révèle aujourd’hui une complexité attachante qu’il a réussi à traduire dans un opus aussi surprenant que bon. A une époque où beaucoup de projets se contentent, dans leurs tracklists, de recycler le même univers avec uniquement quelques variations, Bishop Nehru a pris le risque de nous offrir une œuvre bien différente.
A la fois imparfait mais extrêmement convaincant, ce nouvel album de Markel Scott est une nouvelle étape importante dans sa carrière. Une tentative aussi bien sombre qu’enjouée qu’il explique, et ce sera le mot de la fin, comme : « un album sur le fait d’être seul avec ses songes et d’apprendre à créer ses propres mondes pour se soigner et avancer. »