Après plusieurs années de présence sur les radars des amateurs du genre, des EP et morceaux très prometteurs distillés à l’envie, voici enfin Elevators: Act I & II, le premier album studio de Bishop Nehru avec Kaytranada et MF DOOM à la baguette. Excusez du peu.
Deux salles, deux ambiances. Si l’annonce ne fait pas référence à la dernière boîte branchée du coin, cet aphorisme résume bien le parti pris par Bishop sur ce premier LP. En laissant la main à Kaytranada sur la première partie de cet opus puis en laissant MF DOOM clôturer le projet, il décide de livrer son projet musical à deux artistes au savoir-faire différent. Nul besoin d’avoir une oreille de musicologue patente pour s’en apercevoir dès les premières secondes des morceaux caractéristiques de ce parti pris (les meilleurs exemples étant « No Idea » pour la side A et « Again & Again » en side B).
Si la première partie d’Elevators est composée de beats taillés par Kaytranada et son groove auquel il n’hésite pas à adjoindre des nappes electro, la descente est assurée par l’inspiration jazzy et un peu moins dansante d’un MF DOOM malgré tout en grande forme et capable d’offrir au profane des beats plus accessibles qu’à l’accoutumée. Une montée très dansante et euphorique dans la musicalité et dans les lyrics. Une descente sans concession musicale et tournée vers ce qui décrit la part sombre de la personnalité de l’artiste.
En choisissant de donner deux faces à son projet et de distinctement associer une face à chaque producteur, Bishop Nehru prouve s’il est nécessaire qu’il est un rappeur de son temps. Un temps où les producteurs sont de plus en plus mis en avant et ont tendance, comme les DJ qui invitaient des MC aux premières lueurs du hip hop, à signer la direction artistique d’un opus. De ce point de vue, c’est le sans faute.
Il y a cependant quelques hics dans ce projet qu’on ne peut passer sous silence. Le premier d’entre eux est la dichotomie trop franchement marquée par les différentes productions et ce contraste justement pas assez présent dans les textes. Si le jeu de la dualité est une bonne astuce souvent éprouvée, et même s’il la décline de bien des manières (ascension puis descente, 2 beatmakers, 2 facettes de sa personnalité), le truc ne prend pas et on assiste peut être à l’invention musicale de l’ascenseur horizontal. En gros, le projet bien que porteur de quelques sons vraiment très réussis, est un peu plat.
On ne parle pas de technique bien entendu, les protagonistes sont au-dessus de tout soupçon, mais bien d’arriver à créer une accroche qui rendrait l’opus vraiment excitant. Il y a une part d’ombre dans cet opus dont on ne sait pas si elle est préméditée ou si c’est un effet de bord de cette composition au final un peu chaotique.
Il est pourtant difficile de rester sur cette impression négative tant les forces en présence sont prometteuses et dominent leur sujet. Disons qu’individuellement, ou si le projet avait été séparé en deux EP distincts, il aurait surement conservé une authenticité et une fraîcheur qui auraient surement justifié une ou plusieurs chroniques et l’analyse de ce projet. En l’occurrence, nous ne pouvions passer à côté parce que les talents sont là mais l’impression qui reste est en demi-teinte. « No Idea », « The Game of Life », « Get Away » et « Rollercoasting » sont par exemple des tracks de très bonne facture (avec toute la subjectivité de notre avis) mais l’ensemble n’y est pas. Tant pis, si le jeune Bishy parvient à solliciter de telles pointures, c’est sûrement qu’il pourra réitérer son exploit et certainement davantage équilibrer un prochain projet. La suite donc.
Mars 2018