“A ce qu’il paraît la trap a fait son temps?” chantait Niska sur « Tuba Life » aux côtés de Booba.
Bien qu’à l’époque il répondait à cette question par la négative, elle avait au moins le mérite de poser une certaine réflexion même quatre ans plus tard. En effet, la trap d’Atlanta connaît une autre dimension en devenant plus mainstream : l’explosion de Young Thug avec Barter 6 ou encore du groupe Migos à l’échelle internationale et de son album Culture (qui porte définitivement bien son nom) propulse ce genre dans le domaine public et fait office de véritable braquage au sein de l’industrie.
La gestuelle, le schéma de rimes, les ad-libs ainsi que l’architecture sonore concoctée par des producteurs tels que Lex Luger, Metro Boomin et Southside, pour ne citer qu’eux, vont définir l’ossature de ce qu’est la musique durant la dernière décennie.
Quand on sait que la musique est cyclique, on peut légitimement se demander si la trap est arrivée à son apogée et si un autre style pourrait revenir sur le devant de la scène : le boom-bap.
On peut naturellement citer Griselda comme faisant partie de ces protagonistes outre-Atlantique. Le sulfureux trio de Buffalo composé de Benny The Butcher, Conway The Machine et Westside Gunn (qui se révèlera important pour Epps) dépoussière le genre en apportant une bouffée d’air frais.
Benjamin Epps veut donc s’inscrire dans cette lignée à sa manière, en nous proposant un projet hors du temps composé de sept titres. Alors qu’il scandait être le meilleur rappeur de France sur son précédent projet, il revient mettre son titre en jeu.
Rien ne pourrait mieux décrire la musique d’Eppsito que le titre de ce morceau d’Alpha Wann présent sur sa Don Dada Mixtape en décembre dernier.
Dans les ambiances ainsi que dans l’esthétique, on file droit vers la East Coast et plus particulièrement à New-York, le royaume de Biggie Smalls. Et quoi de mieux que de lui rendre hommage dès l’introduction de l’album avec « Notorious »?
Cette première mise en bouche est une belle entrée en matière dans ce projet grâce à des punchlines bien senties dont certaines vont rester dans les mémoires.
A l’instar de la pochette, Epps n’hésite pas à véhiculer une certaine arrogance pour mieux cultiver son personnage:
Booba a sorti le dernier album, ça y’est maintenant j’peux prendre le trône
Néanmoins, les “attaques” doivent plutôt être perçues ici comme des hommages et des marques de respect comme il a pu le faire dans « Plié en 5 » sur son précédent projet:
Venu prendre les Nekfeu, les Alpha, les Sneazzy
Avec ce genre de procédé, Benjamin Epps remet en lumière un élément qui s’était fait discret ces dernières années : la compétition. Cette dernière fait indubitablement partie de l’ADN de la culture rap et renforce l’ambition plaisante de son auteur à vouloir croiser le fer et gagner le respect de ses pairs.
Tour à tour, les noms de rappeurs se succèdent (Georgio, Isha, Jay Z, DMX…) au point d’en faire pâlir The Game, pourtant maître incontesté du name-dropping.
Par rapport à son niveau, on peut constater une réelle évolution de la part de l’artiste. Tout d’abord dans son flow qui se veut mieux maîtrisé (en témoigne son aisance technique sur les multi-syllabiques de « Goom ») mais aussi dans ses mélodies, offertes par le Chroniqueur Sale qui a concocté un boom-bap plus moderne et moins poussiéreux qu’à l’accoutumée (illustré sur « Relax Pt. 1 »).
De plus, l’influence imparable de Westside Gunn sur la musique de Epps est mieux digérée qu’auparavant. Leurs voix nasillardes tout comme leurs flows lancinants peuvent être de sérieux points communs entre les deux rappeurs. Cependant, il parvient à s’en détacher en variant ses cadences tout au long du projet tout en réussissant à être moins prévisible pour l’auditeur.
Toutefois, naturellement, l’effet de surprise tend à s’amenuiser. La faute à des thématiques qui peuvent devenir répétitives mais qui vont fort heureusement se renouveler sur la seconde partie du projet.
Les derniers morceaux apportent une facette plus introspective de l’artiste qui sort légèrement de son égotrip pour se concentrer sur l’essentiel.
Sur « Lingots, Pt. 2 », il nous fait part de son envie de s’en sortir et de s’accomplir artistiquement sans oublier de saluer les “débrouillards”, qui à un certain égard, rejoignent Damso et sa chanson du même titre apparu sur Batterie faible :
Longue vie aux débrouillards, longue vie aux hustlers
Et poursuit enfin sur le magnifique « Dieu bénisse les enfants ». Le sample de Bill Withers que l’on retrouve ici, n’est jamais étranger à la construction de grands morceaux puisqu’il avait déjà trouvé un second souffle sur « Sing About Me, I’m Dying Of Thirst » de Kendrick Lamar et « Helsinki » de Dinos.
Il contribue ainsi à la tradition avec une palette intimiste et choisit de s’écarter de ses sujets de prédilection pour nous faire part de ses craintes vis à vis du monde dans lequel évoluent ses neveux et nièces mais aussi les enfants en général, qui n’est pas sans rappeler un certain “I believe in the children, listen to the kids bro” de Kanye West:
Dieu bénisse les enfants, ils sont le futur […] J’suis inquiet pour mes neveux et nièces c’est violent à l’extérieur
Pour conclure, Epps ne réinvente pas le genre en lui-même mais apporte humblement sa pierre à l’édifice de manière impressionnante et convaincante. Les progrès effectués depuis le dernier projet confirment tout son potentiel et légitiment les espoirs placés en lui. Qu’il en soit certain : il a bien notre attention.
Cette chronique est une contribution libre proposée par Steven De Bok.
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