Dernière signature rap du label Panenka Music aux côtés de PLK, Georgio ou encore Tsew The Kid, Bekar n’en finit pas de bluffer ses auditeurs. Nous avons voulu échanger avec celui qui nous offrait généreusement durant le confinement un titre inédit pour notre projet Deuxième Souffle en faveur de la Fondation des Hôpitaux de Paris et de France et qui s’apprête à faire grand bruit avec ce projet ambitieux et entier.
C’est l’histoire d’un mec qui est né à Villeneuve d’Ascq et qui a grandi à Roubaix jusqu’à ses 18 ans. Roubaix donc, avec ses maisons à deux faces, aux briques rouges, a vu pousser le petit Bekar, assisté à ses premiers émois au contact de la musique puis avec le rap comme le MC en témoigne : “Mon père adore la musique, il était dans un groupe étant jeune, il écoutait beaucoup de musique, c’est donc par lui que j’ai appris à apprécier la musique. Puis le rap est arrivé dans ma vie autour de mes années collège. C’est avant tout un délire avec des potes, on s’est tous mis à écrire des textes, à freestyler dans la cour, le soir dans des parcs pendant des heures. Beaucoup ont arrêté, moi j’ai pris le truc à coeur, ma passion n’a pas cessé de grandir.”
Un bousillé de rap, donc, qui a su puiser son inspiration dans ce qu’il se faisait de mieux alors : “J’avais un pote inconditionnel de Booba. Mes premiers pas dans la musique ça a été des écoutes de Booba, puis toute la vibe L’Entourage, 1995, j’avais autour de 12-13 ans quand ils commençaient à se faire connaître, aussi bien un Nekfeu qu’un Deen Burbigo… Aussi, à cette même époque, je me prenais beaucoup Hugo TSR ou Georgio, toute cette vague parisienne. Puis enfin est arrivé sur Lille Gradur, qui m’a aussi beaucoup motivé à écrire.”
Signer chez Panenka c’était une évidence pour moi
Rapidement, Bekar se rapproche d’un producteur, Lucci, d’autres MCs, Balao, Salek, ainsi que de Raphaël, qui devient leur manager. À eux cinq, ils forment le label North Face Records, pierre angulaire de cette équipe “liée par la passion du rap” et qui permettra de voir éclore le premier projet de Bekar, Boréal. “Boréal c’était un projet de famille, on est entre nous, une équipe de potes qui fait du son, dans notre studio, on s’attendait à rien. Nous avons tous été surpris par la tournure qu’ont pris les choses. Il y a eu ensuite Grünt, Deezer, OKLM, Mouv’. C’était énorme et ça donne beaucoup de force.”
Grünt justement. Le programme décide de mettre en avant le jeune nordiste. À raison. Le public découvre un rappeur au potentiel énorme au détour du Grünt #38. Le jeune MC vit alors un moment particulier : “Grünt, c’était vraiment un rêve pour moi, c’est quelque chose qui m’a beaucoup marqué quand j’ai commencé le rap, je regardais ça en boucle pendant des heures. J’étais vraiment impressionné alors quand Jean (Morel, fondateur de Grünt, ndr) m’a contacté. C’était avant tout une énorme fierté de pouvoir avoir ma Grünt.”
Durant la même période, Bekar fait une rencontre déterminante en la personne de Fonky Flav’, au détour d’un festival, comme se remémore le lillois : “1995, ça a bercé ma culture rap. Fonky Flav, ça fait dix ans que je le connaissais sans même l’avoir rencontré, tellement je l’ai écouté. Notre rencontre s’est faite à Bourges, grâce à Flo, le tourneur de PLK. À ce moment-là ce, n’était qu’une simple présentation, mais Flav a continué à garder un oeil sur ce que je faisais, je lui envoyais de temps en temps des morceaux et au final, je me suis vu proposé une signature chez Panenka. Je peux le dire maintenant, c’est ce label que je voulais au fond de moi, je n’en avais pas grand chose à faire des propositions des autres labels. Signer chez Panenka c’était une évidence pour moi.”
Il faut alors transformer l’essai, satisfaire les attentes d’un public grandissant, mais exigeant. Bekar prépare dans l’ombre avec son équipe le projet Briques Rouges, qui sort ce jour. Un clin d’oeil à l’architecture typique de ta région, comme le confirme l’intéressé : “Boréal, c’était vraiment une carte de visite, où j’ai voulu apporter une palette de couleurs de ce que je savais faire, de l’égotrip au truc plus mélancolique, j’ai voulu toucher à tout. Je me suis mis la pression sur le deuxième, en essayant d’être plus profond, plus introspectif. Je voulais plus parler de ma jeunesse, de mon parcours. Je suis ni un gars de Paris, ni un gars de Marseille, je voulais mettre Lille sur la carte. C’est intéressant de parler de tout ça. Les briques rouges, ça identifie clairement la région et dans le projet, il y a cette ambiance un peu froide qui ressort, aussi.”
Dès la première écoute du projet, ce qui frappe, c’est le côté très personnel des textes. BE s’y dévoile avec une grande sincérité : sa famille, ses amis et ses amours, mais aussi ses peurs, ses angoisses et ses démons. Un travail d’introspection essentiel selon l’artiste : “Quand j’ai commencé le rap j’étais plus dans la démonstration. Avec Boréal, j’ai capté que j’arrivais à extérioriser certaines choses que j’avais en moi et que pas mal de monde y était réceptif. J’ai toujours pris le rap et la musique comme une sorte d’échappatoire. Tout ce que j’emmagasine en moi, je vais le recracher sur la feuille, sans même penser à ce moment-là au public. Quand j’écris “Destinée” par exemple, je ne cherche pas l’universel, je ne pense qu’à moi et mon envie d’extérioriser ce que j’ai en moi. J’en ai toujours besoin. Cet été, j’ai essayé de mettre tout ça de côté, puisque le projet était finalisé, et j’ai très vite ressenti le besoin d’écrire de nouveau. C’est quelque chose qui ne me quitte pas, j’en ai besoin pour avancer.”
Ce qui marque, ensuite, c’est cet énorme travail du MC sur les toplines, les mélodies. Un travail qui se révèle être assez instinctif, comme le confirme Bekar : “Je suis en studio avec Lucci, j’écoute ses prods. De mon côté, les mélodies sortent assez spontanément. J’ai un dictaphone avec moi, où j’enregistre toutes mes inspirations. Dans Boréal, j’étais encore très faible niveau mélodie, j’ai longtemps écrit des textes sans refrains et je pense qu’en fait, le côté mélodieux, je l’avais en moi depuis toujours, notamment grâce à mes écoutes de tous styles musicaux, et ça sort aujourd’hui. J’ai fait beaucoup de skate, je regardais beaucoup de vidéos, et j’ai été nourri aux bandes sons de ces vidéos, qui étaient très axées rock et pop. C’est peut-être ici que j’ai développé cet aspect mélodieux.” Un travail soigné donc, qui permet de mettre en lumière toute l’étendue de son talent.
Pour ce faire, Bekar a fait le choix de ne convier personne à ses côtés durant 18 tracks. Une attitude en voie de disparition de nos jours et qui traduit une maturité certaine : ”Ce n’était pas voulu au départ, j’avais quelques noms en tête mais au final, ça ne s’est pas fait. Avec du recul, je me suis dit que j’étais toujours en développement, que c’était bien de venir avec un projet personnel, où je suis seul. Comme c’est un projet très intime, le fait d’inviter des gens dessus aurait sans doute froissée la ligne directrice du projet.”
« Ce qui est fou avec Bekar, c’est que nous avons des influences différentes, mais il y a un truc qui fait que la plupart de mon travail se marie très bien à son univers.
Depuis Boréal, on s’était dit qu’on voulait chercher d’autres styles, d’autres influences auprès de différents beatmakers, tout en gardant une cohérence autour de ma vision. Et au final, tout s’est fait comme on avait imaginé le projet initialement, en allant chercher ces influences un peu partout. Mon apport principal est au niveau des mélodies, trouver comment regrouper les différentes influences autour de Bekar et de son univers.
La plus grande difficulté fût peut-être d’aligner nos deux visions qui, par moment, n’étaient pas du tout dans le même mood. Le projet a été enregistré entre la Bretagne, Saint-Jean de Luz, mon appartement et chez Bekar. Par exemple, un son comme « Vagabond » aurait difficilement pu être réalisé autre part qu’en Bretagne. C’est souvent une histoire de contexte et d’état d’esprit. »
Côté prods, sur 18 titres, on retrouve Lucci aux manettes de 13 morceaux. Lui qui a assuré toute la cohérence musicale du projet fait preuve d’une immense complémentarité avec Bekar, comme le confirme ce dernier: “La plupart du temps, tout se passe en studio. Il me fait beaucoup de propositions de mélodies, puis c’est un vrai échange à deux. Il me propose beaucoup de chose, même niveau toplines. À l’inverse, j’interviens aussi sur son travail, je lui propose des modifications sur certains aspects du morceau.”
D’autres producteurs interviennent dans le projet comme Guapo sur le titre “Dinguerie” qui est né “lors d’une session studio avec lui sous l’impulsion de Flav. C’est le morceau le plus spontané, c’est le moins travaillé et ça s’entend. Ça apporte un peu de spontanéité au projet” précise Bekar. Ou encore Six10 sur “Boîte à Gants” ou MKash sur “Anxiolytique”. “Une instru qui n’était pas pour moi à la base. On me l’a envoyée, j’ai proposé mon travail dessus et MKash a sur-validé, donc on est parti là-dessus.”
Bekar kiffe le rap et n’a aucun problème à assumer ses influences, comme avec le titre “Destinée”, qui dès les premières notes, reprend le sample de l’horloge présent dans le titre éponyme de Booba : “C’est une référence totale, on a voulu pousser le clin d’oeil à fond, jusqu’à placer le son en avant dernier comme dans l’album de Booba.”
Un album qui sort inévitablement dans un contexte délicat. Pour autant, Bekar garde là encore la tête froide : “C’est vrai que le contexte est difficile, on commençait à annoncer mon nom sur pas mal de festivals, etc. Il faut relativiser la situation, il y a des choses bien plus graves et on va vivre avec ça, sans live, même si on est en train de réfléchir à des solutions en extérieur. J’ai conscience de la force qu’apporte le live en terme de nouveau public. Il va falloir faire sans, tout le monde est logé à la même enseigne.” La lucidité et une grande maturité comme traits de caractère. Et lorsque l’on demande à quelques jours de la sortie ce que l’artiste attend de ce projet il répond alors sobrement souhaiter “mettre un peu de lumière sur cette belle ville qu’est Lille. J’espère que les gens apprécieront et que ça sonnera le départ d’une belle aventure. On a pas mal de choses qui vont arriver.”
Humainement, Bekar, c’est aussi une personne entière et généreuse qui n’a pas hésité un instant à faire partie de l’aventure Deuxième Souffle, au profit des Hôpitaux de Paris et de France : “Quand le confinement a débuté, j’étais déjà en plein dans la situation par le biais de la mère de ma copine, qui est chef urgentiste à Lille. Chaque jour, j’apprenais des choses de ouf sur la situation en cours et, dans un coin de ma tête, je me demandais comment en tant qu’artiste, je pouvais apporter ma pierre à la lutte contre cette pandémie. Quand vous m’avez contacté pour ce projet solidaire, j’ai trouvé la réponse. Ce morceau, on l’avait depuis un moment, je l’adorais et je ne savais pas comment le sortir. Du coup, ça nous a semblé évident que c’était ce son qu’on devait proposer. C’est une immense fierté pour moi d’avoir pu participer à ce projet !”
Entretien préparé et réalisé par Florian Perraudin-Houssard et JuPi. Remerciement à toute l’équipe de Panenka Music pour avoir rendu cet entretien possible.
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