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Le baile funk peut-il réussir à s’imposer dans le rap français ?

Depuis deux ans, une rythmique brésilienne minimaliste sur des basses poussées à l’extrême a envahi progressivement les DJ sets des clubs français, tentant une percée dans certaines prods de rap. Ce style sulfureux, c’est ce qu’on appelle le baile funk (connu aussi sous le nom de funk carioca). Au-delà de leurs nombreux points communs, le baile funk peut-il s’imposer dans le rap français et plus globalement dans notre paysage musical hexagonal, comme a pu le faire l’afrobeat et plus spécifiquement l’afrotrap ? Répondre à cette question en un seul article relève presque du défi tant le genre regroupe une multitude de problématiques touchant aussi bien au courant musical en lui-même qu’à ses codes. Plusieurs experts se sont penchés avec moi sur ce vaste sujet : les DJs et beatmakers Cheetah et Sizix, le rappeur Abou Tall et Robin Vincent (aka Bel’Oka), animateur de l’émission JetLag sur OKLM Radio.

De la funk US au gangsta rap des favelas

Si le baile funk a connu ses prémices dans les années 70 via les compilations des DJs Ademir Lemos et Big Boy remixant les hits de funk américains, il a connu son essor au Brésil dans les années 80 avec l’arrivée de Floride du Miami Bass, courant musical hybride à mi-chemin entre hip-hop et electro. Le Brésil sous l’emprise d’une dictature militaire imposant une censure de toute production culturelle voit apparaitre dans les favelas des soirées qu’on appelle « baile funk » : la jeunesse s’amuse sur les tubes US mixés sur une rythmique afro-brésilienne. Après un bref essoufflement, c’est d’ailleurs Afrika Bambaataa qui va relancer la machine avec le morceau « Planet Rock » sortie en décembre 1981. La langue portugaise s’est immiscée peu à peu, et c’est en 1989 que sort le premier disque de baile funk en portugais produit par DJ Marlboro. Le baile funk s’éloigne ainsi progressivement du funk américain dont elle ne garde aujourd’hui que le nom.

Pur produit de la rue, le funk carioca emprunte ses codes au gangsta rap, le côté fantaisiste en moins. Ce qui le caractérise, c’est son authenticité et sa capacité à décrire de façon hyper réaliste le quotidien des habitants des favelas, sur fond de pauvreté, guerre de gangs, trafic de drogue et… de sexe, comme en témoignent les danses suggestives à la limite de la pornographie. Ce style s’inscrit dans une volonté de transgression et permet à une jeunesse désœuvrée de s’exprimer et de lâcher prise sur une musique dénonçant agressivement tant par le beat que par les lyrics leurs conditions de vie difficiles.

Comme le rap, le baile funk souffre encore aujourd’hui du mépris de la part de l’intelligentsia, la population issue des classes sociales brésiliennes plus aisées, se retrouvant quasi effacé de la culture musicale brésilienne. Une véritable hypocrisie lorsqu’on sait que la samba, autre genre musical brésilien né dans les favelas, originellement transgressif et victime de censure à ses débuts, est désormais érigée en digne représentante des musiques brésiliennes.

Un rayonnement international qui reste limité

En France, si certains ont commencé à s’intéresser au baile funk, c’est surtout pour l’imagerie qu’il y a autour. Pour Abou Tall : « Il y a une imagerie qui rend le funk carioca hype parce qu’il y a des éléments qui fascinent les rappeurs : les milieux de gangsters, la mafia… Le Brésil et ses favelas, c’est un haut lieu du banditisme, ça crée une certaine fascination auprès des jeunes. Cette imagerie violente est aussi caractéristique du baile, le genre étant né dans les favelas. ». Nombreux sont ceux ayant tourné leurs clips dans les favelas : Booba déjà en 2012 pour « Tombé pour elle », Niro pour « Le ciel est ma limite », Youssoupha pour « Smile » et plus récemment Sadek qui a d’ailleurs sorti cette année « Johnny De Janeiro » un album aux influences funk carioca. Hormis quelques artistes comme Sadek, Damso ou PLK, la plupart des rappeurs français se limitent à cet emprunt d’image sans s’intéresser davantage au patrimoine musical inhérent à ces quartiers pauvres de Rio : « L’imagerie compte plus que la musique : certains rappeurs reprennent un peu les codes, ils vont jouer avec sans aller plus loin. » d’après Robin.

Selon Cheetah, le genre est aussi difficilement accessible pour le grand public : « il faut vraiment être un mélomane passionné pour se plonger dans des registres avec lesquels on n’a pas forcément grandi. Prenons l’exemple du grime, mis à part Skepta et son « Shutdown », le public n’a pas forcément cherché à creuser ce genre qui est pourtant très riche. » Sizix quant à lui pense que ce sont les thèmes abordés dans certains morceaux qui empêchent ce courant musical d’être pris au sérieux : « ça ne va pas particulièrement donner envie à un public mainstream de se pencher sur ce style et pousser à la curiosité, alors que t’as des MC carioca qui kickent de ouf et n’ont absolument rien à envier à nos rappeurs français. »

Outre par l’imagerie, si le baile funk parvient à rayonner un minimum à l’international et à atteindre l’Hexagone, c’est aussi grâce à l’appropriation qui en est faites par certains artistes américains bénéficiant d’un écho beaucoup plus impactant. Selon Robin, « Au cours de ces deux dernières années, hormis le tube « Bum Bum Tam Tam » remixé avec Future, J Balvin et Stefflon Don, il n’y a pas d’autres morceaux de baile qui a eu cette résonance au niveau international ». A titre de comparaison, là où le reggaeton a su développer sa résonance internationale au-delà du tube « Despacito » (rappelons que J Balvin est l’artiste le plus streamé cette année), le baile funk en 2018 cherche encore à consolider son rayonnement en dehors de la collaboration tubesque « Bum Bum Tam Tam ».

Sango, porte-drapeau du baile funk

Chez les beatmakers, c’est aussi grâce à un américain que l’on doit un intérêt grandissant pour ce genre : Sango, le producteur issu du label Soulection, emblématique de la Beat Music. C’est en 2012 que l’artiste de Seattle lance le premier EP de la trilogie Da Rocinha et impose ainsi sa signature rythmique inspirée des nombreuses archives de samples de funk carioca dénichés sur le web brésilien. Lorsque l’on demande aux DJs et beatmakers leurs artistes de références en terme de baile funk, c’est toujours son nom qui est cité en premier, preuve que son exposition a dépassé l’influence du collectif Soulection. Pour Cheetah, « J’ai commencé à m’intéresser au baile funk en diggant sur SoundCloud et aussi par le biais de connaissances qui avaient voyagé au Brésil et m’avaient listé des titres que je devais écouter. Mais le vrai déclic a été par le biais des projets du producteur Sango qui a fait du baile funk un de ses styles de prédilections». Idem pour Abou Tall qui me confie : « Le baile funk, quand tu essaies de l’appréhender brut, c’est compliqué pour quelqu’un comme moi qui est plutôt focus sur la mélodie. Sango m’a permis de réellement apprécier le genre lorsqu’il a sorti la série Da Rocinha. »

La communauté lusophone, potentiel vecteur de diffusion

En plus d’un développement international relativement limité, le baile souffre-t-il d’un manque de representation sur le territoire français ? Pour Sizix, l’aspect communautaire est évidemment à prendre en compte : « La diaspora africaine en France étant largement majoritaire contrairement à la communauté Brésilienne et plus généralement lusophone est un élément non négligeable.». Abou Tall confirme : « Le baile funk ne peut pas s’imposer totalement en France comme l’afro trap ou d’autres styles plus courants. Déjà si l’on considère l’aspect communautaire, les Français se reconnaissent davantage dans l’afro car ça leur parle. Le public ne se sent pas forcément représenté par le baile contrairement à l’afro.  Et au-delà de ça, il n’y a pas de digne représentant du baile reconnu en France comme on peut en avoir pour les genres musicaux afro ». Pour Bel’Oka, il y a selon lui au contraire un phénomène de rebond propre à la communauté lusophone présente aussi bien en France qu’en Afrique. En effet, cinq pays d’Afrique utilisent le portugais comme langue officielle, anciennes colonies portugaises qui n’ont connu leur indépendance qu’après 1974. En 2015, la démographe Michèle Tribalat estimait à environ 1 million et demi de personnes d’origine portugaise en France. La théorie de Robin est la suivante : « Les habitants des pays d’Afrique francophones ont souvent une connexion avec des pays d’Afrique lusophones comme l’Angola, la Guinée-Bissau ou les îles du Cap-Vert. On peut donc retrouver l’influence brésilienne par conséquent dans les pays africains francophones mais aussi dans la communauté portugaise présente en France. Ce contexte à la fois géographique et migratoire va faire que les musiques lusophones dont le baile funk vont continuer à se diffuser.»

Considérer la musique comme créateur de lien dans un contexte de globalisation qui n’est plus à démontrer semble évident, et le baile funk en est le parfait exemple. En évoquant des thèmes en lien avec le quotidien souvent compliqué des populations, le funk carioca réussit à atteindre celles des pays en développement. Un parallèle intéressant pourrait être fait avec le succès des telenovelas à travers l’Afrique lusophone, et par proximité géographique, en Afrique francophone. Repris par de nombreuses chaines de télévision, le genre a également permis la mise en avant de l’identité noire du Brésil, qui possède la deuxième population noire au monde après le Nigeria. Les telenovelas ont diversifié leur casting en y intégrant advantage d’acteurs noirs ainsi que des références culturelles africaines. Pourrait-on assister au même effet pour le baile funk, étant donné la présence importante des communautés africaines et portugaises en France ? Rien n’est moins sûr, car malgré cette influence culturelle brésilienne considérable dans les pays africains lusophones, son effet sur la scène internationale s’étend difficilement. Cheetah reste quant à elle optimiste : « Le baile funk est une musique afro diasporique car elle tire ses racines de l’Afrique. Aujourd’hui, tu peux même voir des morceaux qualifiés d’Afrobaile tant les registre afrobeat et baile funk se mélangent parfaitement. Donc je pense plus qu’on va assister à une espèce de formule hybride Afrobeat/Baile Funk tout en espérant que le genre ne demeure pas marginal ou très peu exploité. »

Baile Funk et Rap français, la playlist

La Rédac

BACKPACKERZ, c’est une grande mif de NERDZ réunis par l’amour du son et le goût du partage. Une équipe d’explorateurs passionnés, qui sillonnent la galaxie rap et les nébuleuses voisines, à la recherche de ses futures étoiles.

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