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Avec ‘Parachute’, Brav repart en quête d’indépendance

Une passage à vide donc, là où pour certains la signature en maison de disque est synonyme de tremplin immédiat avec de nouveaux moyens, une équipe dédiée et un chef de projet impliqué. Malheureusement pour le havrais, le passage en maison de disque ne se déroula pas comme prévu et le voilà aujourd’hui de retour en indépendance totale. Pour autant, ces deux années ne semblent pas perdues aux yeux de l’intéressé qui aura su en tirer des enseignements pour la suite.

Nous avions pu longuement échanger avec Brav et son compère du groupe Bouchées Doubles, Tiers Monde, lors d’une interview il y a 4 ans déjà. Nous évoquions notamment la force de l’équipe en place autour de Brav et des autres artistes du label Din Records. Cette nouvelle étape dans la carrière du rappeur méritait une mise à jour afin de comprendre la nouvelle direction empruntée et revenir avec lui sur cette expérience infructueuse en maison de disque. Rencontre avec un artiste entier et sincère.


Le dernier projet de Brav remonte à 2018 avec le très beau Nous Sommes, financé intégralement grâce à une campagne participative. Dans la foulée de ce nouvel EP, l’artiste annonce alors sa signature en maison de disque via le label de Tefa intitulé « Monarchy Music ». La décision a de quoi surprendre son public, tant le message de Brav peut paraître virulent et a priori peu compatible avec les diktats des maisons de disques: “C’est très perturbant pour quelqu’un qui connaît ma musique et ma défiance envers le système et l’industrie. Mais je suis justement en défiance et non pas en opposition. C’est là où les gens ont encore des choses à découvrir de moi. Je ne suis pas en marge. Mon but premier, c’est que ma musique soit la plus écoutée possible. Un jour Sals’a m’a dit une phrase incroyable en me disant: “Brav, il ne faut pas que tu sois un timide dans le noir”. Je dois faire partie de ce monde. Je suis quelqu’un d’ouvert, j’ai besoin de rencontrer des gens, d’aller vers eux, de me mélanger, même si c’est loin de ma musique. Je dois me nourrir de tout ça pour que ma musique parle à la fois à la tête, au cœur et aux pieds. Le chemin est sans doute plus long mais je prendrai le temps.”

Le havrais embarque donc pour cette aventure censée lui ouvrir de nouvelles portes, tant pour lui-même qu’en tant qu’auteur pour d’autres artistes. Très rapidement, après un concert complet à la Bellevilloise pour fêter le projet Nous Sommes, la machine semble s’activer pour l’artiste avec notamment un duo sur le dernier album de Shy’m ainsi qu’un autre titre écrit pour elle sur le projet (« Absolem »). Lorsque l’on connait un peu la qualité de son écriture, il ne fait alors nul doute qu’un chemin semble tout tracé. Et puis, silence radio. Un silence pesant, qui pousse les auditeurs à s’interroger alors-même qu’on pouvait s’imaginer voir fleurir le nom et la plume de Brav sur plusieurs albums. Et puis, un post énigmatique, où l’artiste exprime le besoin de couper les ponts, de prendre l’air, confessant qu’il ne ressent plus l’envie d’écrire, que l’inspiration n’est plus là.

Aujourd’hui je suis considéré mais non pas reconnu. Je ne suis pas sous coté, je suis sous exposé.

Quelques mois en mode avion qui ne laissaient pas présager de ce que Brav venait de vivre: une expérience avortée en maison de disque et un départ précipité. Il nous raconte cette expérience: “Je me suis rendu compte que même si en maison de disque tout semble plus efficace en termes d’organisation, les choses ne sont pas si faciles et rapides qu’elles n’y paraissent. Déjà, tu as un projet à écrire et enregistrer puis tu le présentes à un chef de projet qui te fera des retours. Une fois qu’il le validera, ton projet passe à l’étape du dessus et ainsi de suite jusqu’au producteur. C’est donc très lent de sortir un projet dans une maison de disques. En réalité, si j’étais plus connu, sûrement que les choses auraient été plus rapides, mais il y avait encore avec moi un truc qui leur plaisait mais ils n’arrivaient pas encore réellement à savoir comment travailler avec moi. Tefa, c’est un type qui est aujourd’hui encore présent dans beaucoup de projets. C’est quelqu’un qu’humainement j’apprécie énormément. Il a eu l’opportunité d’ouvrir un bureau chez Universal qui s’appelait « Monarchy Music ». Tefa c’est le producteur du projet tout en étant soumis à des contraintes au sein d’Universal, avec un chef de projet etc. C’est une personne bienveillante, il comprend la sensibilité de chacun. J’ai eu la chance de faire des résidences avec des artistes comme Chilla, et j’ai réalisé que les mots qu’il employait pour les uns n’étaient pas les mêmes pour les autres.”

Une situation intenable donc pour l’artiste du fait d’une certaine urgence économique liée à cette situation comme il nous l’explique : “Si j’étais un artiste qui n’avait pas connu ce milieu avant, en interne, je me serais laissé porté dans ce système. Aujourd’hui, il y a le facteur temps, le facteur modèle économique notamment quand je fais 300 dates de concerts en appartements, je fais vivre des gens. Les sessions studios, il faut les payer. Salsa a continué à financer les sessions alors qu’il n’avait même pas à le faire.”

Durant cette expérience en maison de disque, Brav n’a pas oublié de s’affirmer pour autant et n’a pas dénaturé sa musique comme il nous le confirme : “Le premier titre que j’ai sorti après ma signature c’est “Olga”, comme pour montrer que je n’allais pas arrêter d’être Brav.” Un titre poignant doublé d’un visuel fort, entre policiers violents, bureaucrates en costume et travailleurs usés par leur charge de travail.

Retour à la case départ donc. Il faut alors reconstruire, repenser sa musique, sa manière de travailler pour repartir du bon pied. Brav travaille donc sur un nouveau projet, marquant le début d’un nouveau cycle pour lui et son entourage : Parachute date à la fois d’avant et de maintenant. “Nuage”, “Ensemble”, “Control Alt Suppr” je les ai faits pendant le confinement mais dans l’ensemble, ce projet est récent.” Pour accompagner ce projet, le havrais imagine un documentaire pensé comme une clé de lecture mais également un éclairage pour ceux qui ne comprennent pas le silence de l’artiste: “Le documentaire s’est pensé au mois d’octobre, durant le deuxième confinement. J’avais des bruits de couloir via Sals’a qui disaient qu’on allait sans doute arrêter l’aventure avec Monarchy. Je savais que j’allais devoir faire quelque chose pour faire un break. Ça fait 15 ans que je n’ai pas arrêté la musique. Derrière les projets de Médine, j’étais derrière la caméra, derrière ceux de Tiers Monde, j’étais à l’infographie et derrière les caméras encore. Du coup, j’ai vécu cette rupture un peu comme une vexation, j’ai essayé de répondre à tout ce qu’on me demandait, d’être créatif, de faire des morceaux, de faire de la musique. Je pensais à ces usines à l’Est et dans le Nord qui se sont faites rachetées par des étrangers, qui se sont vues sauvées alors qu’en fait le mec est juste venu toucher des subventions et se barrer. J’ai fait en quelque sorte le parallèle dans ma tête. J’ai donc voulu souffler. La vie d’un artiste ce n’est pas que le côté artistique. J’ai eu au même moment plusieurs choses à régler à la fois dans l’artistique que dans le perso.”

Le documentaire présente donc un Brav sans filtre. On y voit l’artiste nous exposer ses doutes, ses peurs et les difficultés rencontrées tout au long de ces 3 dernières années : “Je voulais que les gens comprennent qu’il y a plusieurs lectures. Il y a ce qu’on te donne et il y a ce que tu ne verras pas. Et j’avais besoin que les gens comprennent d’où viennent certaines choses comme pourquoi j’ai écrit « Olga ». J’ai une histoire très liée à ma musique. Souvent quand j’écris un thème, c’est que je l’ai vécu ou que je suis en train de le vivre. C’est un peu mon histoire que je raconte aux gens.”

40 minutes durant lequel l’artiste nous plonge dans l’envers du décor, beaucoup moins reluisant que ce qu’on pourrait être amené à imaginer : “Je ne voulais pas embellir le truc, c’est très tentant lorsque tu ne fais pas partie de la fête, mais une fois dedans tu te fais chier. Le problème ne vient pas que d’eux mais aussi de moi. Je suis tellement singulier qu’il est difficile de me positionner dans un rayon. Les gens devraient avoir la possibilité de signer mais ce sont plus les indépendants qui font vivre ces grosses structures. La maison de disque, c’est soit un tremplin pour t’emmener plus loin ou seulement récolter le travail que tu as fourni mais ils ne font pas réellement de développement. Aujourd’hui, je suis considéré mais pas reconnu. Je ne suis pas sous coté, je suis sous exposé.”

Brav bénéficie d’un public fidèle et passionné, qui répond toujours présent à chaque rendez-vous donné par l’artiste. Les retours furent très bons et le public s’est montré à la hauteur de l’événement avec une objectif de cagnotte rempli à 300% : “Je savais que j’avais une communauté sensible. Je me vois comme quelqu’un qui fait de la musique horizontale, sans personne au-dessous ni au-dessus, je vois chaque être humain comme l’égal de son prochain.” 

Un instant charnière pour l’artiste, qui peut donner une impression d’un “retour en arrière” tant la situation peut sembler comparable au projet Nous Sommes, notamment à cause de la campagne de financement. Pour autant, le rappeur préfère parler de nouveau départ : “Tout a changé. On peut croire que je sors d’une période pénible mais au final, j’ai surtout beaucoup appris. Tefa a cassé tous mes codes, sans me dénaturer. Ils ont réussi à m’amener beaucoup plus loin. Cela a a été dur mais ça été beau. J’ai fait des séminaires à Los Angeles, mon quotidien a été bouleversé, j’ai appris à comprendre comment les autres voyaient leur musique, ce qu’une maison de disques attend de toi. J’ai pu aller voir ce qu’il en était mais ce n’est au final pas ce que je veux. Peut-être que si l’occasion se représente, je pourrais de nouveau me poser la question.”

Le problème que j’ai avec la musique actuelle, c’est que dès qu’elle sort, elle est datée.

Brav ne semble à présent plus vouloir disparaître des radars et souhaite garder un rythme soutenu de sorties pour offrir davantage à son public : “J’aimerais enchaîner vite, combler ce manque. J’ai beaucoup de titres de côté, des titres forts, presque trop pour ce projet. Parachute, en l’écoutant, je suis content de moi, ça parlera aux gens qui ont apprécié Error 404, une simplicité dans les refrains. Je suis en train de remettre les mains sur le volant, donc je dois revenir intelligemment. Quand les gens te revoient dans les radars, c’est plus facile pour aller chercher des featurings.”

@JuPi

Parachute tranche avec les projets précédents de Brav, en premier lieu par le choix de pochette. En effet, là où les 3 précédentes étaient tour à tour un portrait de Brav, de son père et à nouveau de Brav en peinture, ce nouveau projet offre une nouvelle perspective visuelle et semble rompre la trilogie conclue précédemment : “J’ai eu envie de casser la dynamique des trois précédents projets qui formaient en effet un triptyque. Visuellement, il fallait que cela soit différent des anciens projets et en regardant le documentaire, j’ai trouvé ça évident d’appeler le projet Parachute.

Dans ce projet, justement, on retrouve l’ADN textuel et musical de Brav, le tout pris dans une enveloppe charnelle teintée de chanson française, à la frontière de la variété, dans le sens noble du terme :“J’ai un peu desserré les dents. Je me suis rendu compte que j’étais énervé par des gens qui avaient des idées très fortes et qui les véhiculaient de manière très agressive. Je ne veux surtout pas être aigri dans ma vie. Quand j’ai sorti « Sous-France« , nous n’étions pas là où l’on est aujourd’hui donc je pouvais être agressif. Plus ça va, plus je me rends compte que les gens sont plus agressifs que moi. Je veux être en décalé avec ce qu’il se fait. Au moment où je devais sortir « Sous-France » et que le projet a été alors abordé, j’ai fait un break, j’ai analysé ce que j’aimais et ce que je n’aimais pas. C’est là que j’ai réalisé que la chanson française permettait de durer dans le temps, ce qui fait qu’une chanson de Barbara ou de Berger puisse encore être actuelle de nos jours. Le problème que j’ai avec la musique actuelle, c’est que dès qu’elle sort, elle est datée. Je fais en sorte que ma musique traverse le temps, je gomme plein de choses, je ne mets pas d’autotune par exemple”.

Pour ce projet, en ce qui concerne les prods, le rappeur havrais a également rompu avec ses habitudes, à savoir que tout le projet n’est pas produit par son équipe habituelle constituée de Proof et Général : “Je me suis entouré de jeunes artistes qui bossent à notre studio Grand Paris. Notamment Make a Meal. Il doit avoir 22-23 ans, musicalement il fait ce qu’il veut, il a beaucoup re-prod sur le projet. Il y a également Proof et General, mes deux frères. J’ai souvent voulu travailler avec beaucoup de monde mais je me suis souvent reposé sur Proof qui est capable de tout faire. En réalité, s’ouvrir aux autres est bénéfique, cela crée des rencontres, des dynamiques.

Le titre “Papa” retient particulièrement l’attention, Brav se retrouvant en duo avec sa propre fille, Meïla, âgée de 9 ans : “Ma fille est très artiste, elle dessine en regardant des tutos, c’est une gameuse aussi et elle est trop forte. Elle est assez timide mais j’essaie de lui faire faire des exercices pour l’ouvrir aux autres. A la base, cette chanson c’est un exercice, on l’a enregistré en studio et au final on l’a gardé. C’est aussi une manière de figer ces moments, de la même manière que j’ai mis sa voix sur « Sous-France ».” Dans ce titre, plusieurs sujets sont évoqués comme le divorce que vient de traverser l’artiste: “Certains sujets sont difficiles à exprimer mais j’ai réalisé qu’il pouvait faire du bien à d’autres. Quand je reçois des messages me disant que tel ou tel texte a sauvé la vie de la personne, je me dis que ce mal est nécessaire.”

JuPi

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