Un projet de 11 titres donc qui, si EDGE lui même le caractérise comme un « long EP » a, dans son ambition, tout d’un album. 11 titres pour créer un univers, une couleur, une texture. La musique de EDGE s’écoute, se touche et se ressent. Elle nous embarque dans un voyage nocturne et nous réchauffe tout autant qu’elle nous glace. Là réside toute l’audace de ce projet: jouer avec des sensations contraires et faire perdre pied à l’auditeur pour mieux retenir son attention. C’est un pari dangereux qu’ont fait EDGE et Johnny Ola, qu’on retrouve à la production quasi exclusive de l’EP, mais un pari réussi. En marge de la sortie de son premier projet, EDGE nous a accueilli dans son studio.
On est à un jour de la sortie de l’album. Comment tu sens-tu ?
C’est pas un album !
Est-ce que ça a toujours une réelle importance cette nuance entre album et mixtape?
Pour moi, oui, de ouf! J’estime qu’un album, c’est quelque chose de vraiment poussé, tant sur le côté musical que sur le côté humain, de ce que tu vas livrer. En fait, tu donnes toute ta vie dedans. Tu te réveilles, tu penses à ton album, sous la douche, tu penses à ton album, tout le temps en fait. En tout cas, le moment où je me dis que je ferais un album, c’est comme ça que je l’aborderais.
Tu ne t’estimes pas encore prêt?
Ouais, pas du tout ! Parce que ça fait pas si longtemps que ça que je fais de la musique et j’estime que je ne peux pas prétendre faire un album dès maintenant.
Tu qualifierais plutôt « Off » de mixtape?
C’est un « EP long format » ahah !
J’ai pu voir pas mal de relais côté presse et chez d’autres artistes. As-tu l’impression d’avoir créer une certaine attente en dépit du fait que tu fasses de la musique depuis peu?
Non pas vraiment de l’attente. Tu l’as dit justement parce que ça ne fait pas suffisamment longtemps que je rappe pour qu’il puisse y avoir une quelconque attente. Je me dis juste que c’est cool, que ça intéresse un peu les gens mais j’irais pas jusqu’à dire qu’il y a de l’engouement autour de ça. Il y a tellement de gens qui font du son actuellement que j’estime ne pas forcément tirer mon épingle du jeu pour prétendre à de l’attente ou de l’engouement.
Ce projet, c’est plutôt un plantage de drapeau pour annoncer que t’es là quoi!
C’est tout à fait ça ahah !
J’ai envie qu’on parle de quelques personnes importantes pour toi et surtout d’un événement en particulier. Je suis retombé sur un article du Trabendo de 2017 pour un concert où tu as partagé l’affiche avec Jazzy Bazz, Bonnie Banane, Esso Luxueux et Sabrina Bellaouel. Cette expérience t’a marqué ?
Oui ça m’a pas mal marqué! Déjà parce que c’était chez moi dans le 19ème et je suis extrêmement attaché à mon arrondissement. C’était la première fois que je montais sur scène pour faire des sons et avoir la chance de faire ça dans le 19, c’est un truc dont je me rappellerai toujours. Et puis le faire avec des artistes que je côtoie depuis longtemps, c’est très familial, ça donne une saveur particulière.
Et puis ce n’était pas juste un événement one shot puisque ce sont des artistes avec lesquels tu continues de collaborer encore aujourd’hui.
Plus que des artistes, ce sont vraiment des amis. C’était vraiment spécial, il y avait une ambiance presque de fête du lycée.
Jazzy Bazz t’as beaucoup aidé. Il t’a emmené en tournée, il t’a poussé. Je suppose que ça été quelqu’un d’important pour toi.
De fou ! C’est marrant parce que j’en parlais ce matin avec lui ! C’est la première personne à qui j’ai fait un freestyle. Je me souviens, on allait au studio, on était dans sa voiture. A ce moment là, je revenais de Guadeloupe et je commençais alors à écrire mes premiers trucs. Donc on est dans la voiture, il me demande où j’en suis, si j’ai écrit des trucs, je lui réponds que j’ai quelques textes et, tout de suite, il me demande de lui faire un freestyle. Moi dans ma tête je me dis: « Ah ouais t’es sûr là! »… (rires). Du coup, je lui fais le freestyle, et évidemment c’était ridicule parce que je n’avais aucune assurance, aucune confiance, c’était limite si je chuchotais quand je lui faisais le truc tu vois. Sauf qu’au lieu de juste me dire que c’était nul, il m’a poussé de ouf. Il m’a dit: « Si t’es déter, lâche pas! Moi je serai là, comme t’as pu être là pour moi dans le passé ».
En allant sur ton profil Spotify, j’ai vu que les artistes similaires étaient Chanceko, Sean, La Fève… Des artistes aux profils très différents. Je n’ai pas vu de lien avec ta musique avant de me dire que c’était finalement peut être parce que tu ne réponds à aucun autres codes que les tiens.
Déjà c’est très sympa de dire ça, je kiffe ! Après franchement, j’aurais du mal à te répondre… Pour le coup, moi aussi ça m’est arrivé de regarder et à chaque fois c’est vrai que je ne trouvais pas forcément une cohérence à ce niveau là. Mais c’est toujours flatteur d’être rattaché à ces artistes là puisque ce sont des artistes que j’aime beaucoup.
Et toi, comment arrives-tu à construire ton univers? Parce qu’on sent qu’il y a pas mal d’inspirations différentes.
Ah ! Tout ça c’est lui, c’est l’architecte ! (Il me montre Johnny Ola, assis dans le canapé comme un roi, avec sa superbe chevelure chatoyante). En fait, l’univers qu’on a réussi à construire, c’est juste grâce à lui. Parce que c’est l’une des premières personnes à m’avoir fait confiance et à me dire: « Va dans la cabine, moi je m’occupe du reste ». Il a réussi à trouver la musicalité qu’il fallait pour les émotions que j’avais envie de retranscrire. Mon univers, je l’ai vraiment créé grâce à Johnny. Je trouve qu’on a une sorte d’osmose. J’ai l’impression que je peux faire du son avec plein de producteurs, d’ingés différents, mais je me sentirais jamais aussi à l’aise qu’avec lui. Parce que lui capte exactement d’une part ce qui va me mettre en valeur, et d’autre part ce que je vais kiffer.
On ressent ce côté intime dans ta musique. Et pour avoir cette impression, il faut travailler avec des gens qui te comprennent.
Exactement ! De base, je suis quelqu’un de réservé dans la vie de tous les jours. Faire de la musique, c’était pas une évidence pour moi parce que ça allait à l’encontre de qui je suis. Je me livre émotionnellement dans ma musique et ce n’est pas une chose que je fais au quotidien. C’est ultra thérapeutique pour moi de faire du son. Déjà, j’ai commencé à faire du son parce qu’il y a eu beaucoup de choses reloues qui sont arrivées dans ma vie. Le fait de réussir à mettre des mots sur ça mais autrement qu’en en parlant avec quelqu’un, ça m’a grave ouvert l’esprit.
Oui et puis comme t’es un artiste, que tu aimes la musique, ça te pousse à réfléchir, pour faire en sorte que ce soit joli, et par ricochet, te pousser à analyser et interpréter tes émotions.
C’est tout à fait ça, c’est un bon résumé de mon approche de la musique.
Sur Interlude.1.9, je trouve que ton rap est plus incisif, plus percutant, tu poses sur des prods drill. Sur Off, on retrouve des mélodies plus rondes et mélodieuses.
Ce qu’il faut savoir, c’est que Interlude.1.9, chronologiquement, c’est un projet que j’ai fait après Off. Ce projet, on l’a fait pendant le premier confinement avec Johnny parce qu’on était confinés ensemble, loin de Paris. De base, c’était des capsules que j’avais lancé sur Insta et je me suis dit que plutôt que de les garder sous cette forme, ce serait cool de les mettre sur un projet. Donc pour ça, on a un peu allongé les morceaux et on les a rassemblé sur Interlude.1.9. Il y avait quelque chose de beaucoup plus instinctif. On s’est dit que sur Insta, il faut accrocher les gens dès les premières secondes, donc on a choisi de faire des morceaux plus percutants. Off, c’est un projet qu’on a vraiment commencé il y a deux ans. Par exemple, le morceau « Kylie Jenner » avec Esso, il date de 2017. Les morceaux qui sont sur le projet, c’est vraiment mes premiers morceaux en tant qu’artiste. Je me cherchais plus, alors que sur Interlude.1.9, j’étais plus affirmé parce que j’avais déjà bouclé mon premier projet, je me posais moins de questions. Et puis j’ai pas recherché à retranscrire des émotions, on est juste dans l’entertainment. Off c’est un journal intime, il y a un fil conducteur dans les ambiances, les thèmes, les émotions etc.
Sur le titre « Off » tu dis: « On verra plus tard pour la belle vie » puis « mon avenir je le crains ». Cet enchaînement contradictoire, il correspond à une angoisse de ne pas savoir vers quoi se projeter ?
C’est ça de ouf ! Je suis réservé et du genre à me poser un milliard de questions par jour et c’est clairement ça… J’avais des craintes sur mon avenir avant de faire de la musique parce que je savais pas du tout ce que je voulais faire de ma vie. Je savais pas ce qui pouvait m’animer, ce vers quoi je voulais aller… Avant je bossais dans un truc et ça me cassait la tête de me réveiller le matin et d’aller bosser pour un mec qui connait même pas ton prénom, je prenais aucun plaisir. Toi tu te casses le dos et le mec se fait de l’argent là dessus.
T’avais pas envie d’être juste le maillon d’une chaine…
Voilà ! Et à partir du moment où je me suis dit que j’allais faire de la musique, j’ai dit « fuck » au taff. Pour l’instant, je dis: « On verra plus tard pour la belle vie », là maintenant je veux juste charbonner pour moi et pas pour quelqu’un au dessus de moi.
Il y a un enchainement de morceaux qui m’a marqué. « Vu d’en haut », qui est un véritable cri et me rappelle un peu « Harambe » de Young Thug, et « Routine », plus calme et posé. Cet enchaînement de morceaux, est-ce l’incarnation de toutes les émotions drastiquement différentes par lesquelles tu peux passer en un rien de temps?
Carrément ! En fait, c’est passer du chaud au froid et c’est ça que je voulais symboliser en enchaînant les deux. Mais en vrai de vrai, c’est en enchaînant trois morceaux. Il y a « Vu d’en haut », « Routine » et « Copacabana ». Les 3 pour moi, ils sont liés parce que c’est des moods complètement différents. Le premier est un cri de détresse presque, le deuxième est beaucoup plus posé et apaisé, ce qui m’emmène justement à penser plus loin, à Copacabana. Je passe de la rage à me dire: « Maintenant on chille, il y a la plage, le cocktail et c’est fini le bitume ».
Dans tes morceaux justement, que ce soit à travers les mots que tu emploies, les métaphores, les ambiances, on a l’impression que tu t’écris des histoires pour te donner la force de les vivre.
Ah bah oui. C’est des objectifs de confort. Je veux plus me prendre la tête, comme je te disais tout à l’heure, je veux plus charbonner pour quelqu’un. Je dis pas qu’il faut pas le faire, c’est propre à chacun, on a tous des envies et des émotions différentes mais moi je sais que c’est exactement ce que je ne veux plus. C’est pour ça que je suis aussi déter dans la musique. Le fait de l’écrire puis de le chanter, c’est une manière de me motiver à travailler.
Dans « 5h54 », tu dis: « Mes pensées sont proches des abysses ». Est-ce de là que vient ton nom EDGE, qui veut dire « au bord » en anglais, et qui incarne ce fait de devoir toujours trouver des petites choses de bonheur auxquelles te raccrocher ?
Alors pour faire simple, Edge c’est mon vrai prénom! (rires)
Ahah, j’avais une belle théorie à laquelle je voulais croire!
Mais en soi, ça se tient, ça aurait pu être ça ! Bien tenté !
En soi, ça paraît logique que ton nom d’artiste soit ton vrai prénom vu que ta musique est vraiment le miroir de tes sentiments.
Oui c’est ça. Quand on écoute ma musique, je vais pas dire qu’on me connaît, mais on a au moins un reflet de mes états d’âme.
Orelsan disait: « A la poursuite du bonheur, la Terre est ronde autant l’attendre ici ». Je retrouve un peu dans ta musique ce côté désabusé, cette sensation de mettre trop d’énergie sans avoir en retour.
En fait oui, je suis constamment à la recherche du bonheur, mais c’est ça, il y a un peu ce côté désabusé… Parce que je me dis: « A quel moment ça arrive? Quand est-ce que ça vient? ». Si on parle de karma, bien sûr tout les jours j’essaye d’être une meilleure personne mais je n’ai pas toujours l’impression que la vie me sourit. Avant, j’étais grave dans cet état d’esprit mais depuis que je fais de la musique, c’est un peu différent.
J’ai une autre théorie foireuse! Je me suis déjà foiré une fois alors, foutu pour foutu, autant y aller.
Ahah lance toi !
J’ai l’impression que ton album reprend un peu le concept de DAMN. par cette manière qu’il a de s’écouter dans les deux sens sans en changer l’équilibre. Parce que Off, le morceau d’intro, peut également être celui de l’outro. Une balade qui fait un constat de tout tes états d’âme avec la prod à la fin qui part en vrille comme pour nous dire: « Cette partie là de ma vie est close, je m’en vais vers autre chose maintenant ».
C’est carrément ça! T’es bon ! C’est exactement ça parce que le côté explosion qui arrive à la fin, il incarne ce que je veux dire par: « On verra plus tard pour la belle vie ». Parce que la prod explose, et nous, on est là, on va aller la chercher la belle vie.
Merci à Priscilla Adam d’avoir organisé cette rencontre et de l’avoir accompagné de toute sa bonhommie.
Un grand S/o également à Hicham qui, de derrière son appareil, arrive à rendre les gens beaux.
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