‘Avant la nuit’, un rendez-vous à l’heure bleue pour l’Or du Commun
Nouvel album du trio belge L’Or Du Commun, le superbe Avant La Nuit est l’occasion pour le groupe de retravailler leur univers et d’amener leur musique plus loin, entre doutes et espoirs, à la lisière de la nuit noire.
Dans ce nouvel album quelque peu inattendu – lorsque l’on considère les directions solos qu’emprunte chacun des membres – Swing, Loxley et Primero proposent ici un voyage à la frontière du jour et de la nuit. Nous avons pu échanger avec les principaux intéressés ainsi qu’avec PH Trigano, l’architecte musical de l’album, pour y trouver les clés de lecture et confirmer (ou infirmer) notre première interprétation de ce disque lumineux.
Le titre du projet, tout d’abord, sonne comme l’évocation d’un moment mystique, le crépuscule qui précède l’obscurité. Un concept si précis méritait que nous demandions explication aux auteurs. Loxley s’y prête alors: “Tout le concept autour de l’album a été seulement à moitié intellectualisé, on s’est posé des questions sans répondre à tout. Tout l’album a été processé autour de ça néanmoins.” Et Swing de préciser : “C’est un titre ouvert qui laisse l’interprétation libre à chacun. La conception de cet album a débuté avant la crise du Covid et a été achevée pendant. Beaucoup de textes ont été écrits avant, donc le titre Avant la nuit parle aussi de ça. On peut considérer que la nuit représente la mort et que Avant la nuit” n’est autre que la vie. On voulait un titre ouvert qui pose une question, qui interpelle.”
Un titre d’album accompagné d’une somptueuse cover réalisée par le photographe belge Romain Garcin où l’on retrouve justement cette ambiance crépusculaire, teintée de bleu et de rouge. Primero nous dévoile les inspirations autour de cette photo: “Une des premières idées qui nous plaisait était le travail du peintre belge Magritte, ce côté où dans une image tu ne sais guère si c’est le jour ou la nuit. Le titre “Ciel Rouge” est un peu éponyme à cette idée, c’est ce jeu là qui nous intéressait.” Au sujet de Magritte, Loxley précise: “Quand on parle de Magritte, c’est vraiment le tableau “L’Empire des Lumières” qui nous plaisait. L’autre inspiration vient d’un peintre contemporain français qui s’appelle Guillaume Bresson, qui peint des scènes d’émeutes avec des compositions très baroques.”
Un travail remarquable de Romain Garcin qui a su synthétiser dans cette photo les inspirations et références du groupe belge. Swing nous raconte : “ Romain voulait créer une scène où à première vue on assiste à une fête alors qu’en regardant de plus près on voit que les visages sont tendus. Les couleurs rouges et bleues aussi qui sont opposées. Tout cela représente les dualités qu’on voulait mettre en avant. Dans nos albums il y a toujours nos réflexions personnelles et donc à chaque fois on fait le constat de la situation actuelle, de ce que nous acceptons à ce jour.”
Après une intro envoûtante, l’auditeur plonge directement dans l’ambiance avec un morceau au titre sans équivoque, “Négatif”, où le trio dresse une vision plutôt noire du monde. Un choix surprenant pour entamer ce nouvel album. Primero explique ce choix : “C’est le morceau qui fait le mieux le trait d’union entre ce que nous proposions avant et les nouveautés que nous apportons à présent. Les auditeurs peuvent ainsi se rattacher à ce que nous proposions mais tout en apportant du neuf et en introduisant ce que l’album propose. Il y a aussi une réalité de tracklisting et lorsque nous nous sommes penchés sur ce sujet il s’est avéré que c’était sa meilleur place.” Une négativité certes, que Loxley nuance cependant: “Je ne vois pas le titre comme si négatif que cela. C’était avant tout regarder au-delà, ce n’est pas le contraire du positif. Ce n’était pas forcément du premier degré. »
Sur Sapiens comme sur Avant la nuit, le regard du groupe se porte sur l’Homme, la société, avec de nombreux questionnements philosophiques. Mais la teneur ici est cependant différente comme nous le confirme Primero : “C’est plus tourné vers nous que sur la société comme sur Sapiens qui était plus large.” et Loxley : “Pour cet album, nous avions autant envie de parler de l’humain mais plus par l’infiniment petit que par l’infiniment grand.”
Le trio apparaît également plus vindicatif encore. La combativité, l’ambition, l’envie de réussir semblent ici être les leitmotivs au centre de l’album: “Ce n’était pas vraiment voulu. Un journaliste nous a souligné que nous avions suffisamment d’années de carrière pour avoir matière à regarder derrière, à se prêter à un peu de nostalgie” nous confie Primero. Loxley conclue même : “Paradoxalement, je pense que sur cette album nous n’avions pas du tout d’envie conquérante dans cet album.”
Dans le titre “À l’aube”, les 3 rappeurs se placent aussi en porteurs d’espoir. Le message “Tout peut changer à l’aube” donne le sentiment qu’un renouveau est possible chaque jour. Swing précise : “Un sentiment souvent présent, c’est l’espoir. Donc pour mettre en avant l’espoir, il faut souvent parler de désespoir. On a essayé de maintenir un certain équilibre même si les morceaux positifs ne sont pas positifs « gratuitement ».”
La question de la solitude est posée par Loxley dans le titre “Descente” avec l’accroche: “Faut-il être seul pour trouver la paix?”. Le rappeur précise le sens de cette interrogation : “Ce n’est pas pour rien que c’est une question. Je ne suis pas forcément convaincu par cela, c’est juste une émotion au moment de l’écriture. Il y a beaucoup d’amour autour de nous, toutes les questions dans ce morceau sont des émotions qui nous ont déjà traversé.”
PH Trigano, génial producteur entendu chez Ichon ou Loveni, a presque entièrement produit l’album tandis que le précédent était produit en majorité par Vax1. Le trio semble donc attaché à l’idée de travailler en cohérence avec peu de producteurs sur un même projet. Une rencontre qui ne semblait pas préméditée: “La rencontre avec PH s’est faite en Suisse lors d’une soirée où on s’est bien marré. Nous n’avons même pas parlé de musique, on s’est juste bien entendu.” déclare Loxley avant que PH donne lui sa version des faits : “On a juste passé du temps ensemble, bu des verres jusqu’à pas d’heures. C’était au moment où ils recevaient les mix de Sapiens. Je remplaçais le DJ de Ichon qui l’avait planté au dernier moment. On a fait une résidence pour Primero et c’est là que j’ai rencontré Phasm. C’est à ce moment là que tout est rentré en ordre dans la tête de chacun et qu’on a décidé de bosser ensemble.”
Un processus créatif qui semble très naturellement s’être mis en place entre le groupe et le producteur, passant beaucoup de temps ensemble en résidence au vert. Le producteur raconte cette parenthèse créative: “J’aime bien composer sur place avec les artistes. On a fait un truc cool, à savoir l’arrivée des cordes avec un quatuor de cordes et un flûtiste. On était dans un très beau studio, au début de l’été, il y avait des vaches, c’était vraiment très sympa. Il n’y avait rien à faire d’autre que d’être concentré sur notre musique. Comme chacun est sur ses activités perso, ça a fait du bien à tout le monde de se retrouver, de couper les téléphones et de bosser ensemble.”
Ce qui frappe à l’écoute de ce projet, c’est l’énorme accent mis sur les mélodies. Il y a également du travail sur les voix, qui se complètent et amènent chacune une couleur, une texture. Primero raconte : “Il y a beaucoup d’instinct. C’est vrai que de bosser sur nos projets solos respectifs nous a influencé sur cet aspect. Le travail de la topline, c’est nouveau.” Avant que Loxley ne précise : “L’envie, c’est de faire de la musique de plus en plus « musicale ». On a plus envie de se dire qu’on fait du rap. Lorsqu’on a la chance d’avoir des chanteurs comme ça (Primero et Swing), on aurait tort de se priver.”
Un nouveau album en commun qui surprend tant les trois protagonistes semblaient avoir mis l’accent sur leur carrière solo. On peut donc s’interroger sur la difficulté que peuvent rencontrer les membres à dissocier travail pour soi et travail en groupe. Loxley explique ainsi : “Il n’y a pas de règle mais tout était structuré, on savait pourquoi on allait se retrouver en résidence, les packs de prods étaient pour ce projet. Dans le travail de groupe, il y a en effet quelque chose de moins spontané. C’est très différent que de débuter un track en solo.” Avant que Swing ne précise : “On connait notre place dans le groupe aussi donc on écrit en connaissance de cause, vis à vis des autres. Nous choisissons un peu nos places d’une manière assez instinctive. Il y a cette question de place, tu veux amener une idée, tu dois l’amener en 12 mesures.”
Le projet se conclue sur le très réussi “Pollen” avec un refrain tout en légèreté comme pour mieux faire passer le poids de l’album et ouvrir sur un horizon plus lumineux comme l’explique Loxley: “En faisant la tracklist, on trouvait ça cool de commencer par quelque chose de plutôt deep entre l’intro et le titre “Négatif” puis de terminer sur quelque chose de plus lumineux avec ce titre.” En conclusion, Primero ajoute : “C’est important la sortie et ce titre joue parfaitement le rôle. C’est une sortie agréable, on l’a travaillé ainsi, en allongeant la fin du titre par exemple.”