BACKPACKERZ : Comment vous est venue l’idée d’un concert pour fêter votre premier album, Quelques Gouttes Suffisent ?
Lino : C’est une idée qui germait déjà depuis pas mal de temps, avant même la tournée de « L’âge d’or du rap français » il y a deux ans. Ensuite il y a eu tous ces trucs des 20 ans de ci et de ça, de tous les projets sortis fin des années 90 et on a été pas mal pris là-dedans. Du coup, on n’était plus trop chaud de le faire. Mais au final on s’est dit que c’était con de ne pas fêter cet album. C’était le premier, c’était magnifique.
Calbo : Ça nous faisait plaisir, dans une salle mythique, l’Olympia. C’est vraiment pour marquer le coup de cet album, qu’on ne jouait plus vraiment en entier sur scène ces dernières années.
Est-ce aussi une manière de revenir sous le feu des projecteurs, notamment avec la préparation d’un nouveau projet ensemble ?
Lino : On a jamais vraiment lâché la scène, on a toujours tourné. La dynamique était déjà là. Il y a effectivement un nouvel album qu’on est en train de « commettre » en scred, mais ce concert est vraiment à part. C’est une date symbolique pour fêter le premier album.
Les gens vous parlent toujours de cet album?
Lino : Oui forcément… C’est un don et une malédiction. Quand tu as un premier album considéré comme classique, tout ce que tu vas faire derrière va être jugé en fonction de ce disque. En général, les gens trouveront toujours que le premier est mieux, que le reste ne ressemble pas assez à Quelques gouttes suffisent.
N’êtes-vous pas lassés qu’on vous ramène sans cesse à ce projet, à votre passé ?
Calbo : On l’a fait, ça fait partie de notre histoire. C’est comme quand tu as trois enfants et qu’on te parle de ton premier fils sans cesse. Le premier, c’est toujours marquant.
Lino : Regarde Michael (Jackson) et les Jackson 5, on parle toujours de Michael (rires) ! Ça a pu être énervant parce que tu as l’impression qu’on te réduit à un seul disque, mais en vérité tu comprends que tu n’y peux rien, que c’est ton œuvre et que ça t’échappe. Tu ne peux pas dissocier Snoop (Dogg) de Doggystyle, tout le monde va dire : « C’est son meilleur album, point barre ». Il y a toujours un album que tout le monde préfère.
Votre deuxième album, Quelque chose a survécu…, sorti en 2002, est un objet assez intéressant, véritable prototype du deuxième projet qui s’ouvre musicalement mais déçoit une partie des fans de la première heure. Quel recul avez-vous sur cet album ?
Lino : Il ne ressemblait pas du tout au premier. Les gens recherchaient encore l’essence de Quelques gouttes suffisent mais il n’y avait plus ça. Plus le fait que cet album avait des sonorités très américaines pour l’époque, et que ce n’était pas encore la dynamique du rap français, qui restait un peu bloqué dans les violons et les pianos. On est allé peut-être un peu trop rapidement dans ces sonorités. Le premier était forcement plus abouti, plus cohérent. C’est un travail différent. Djimi (Finger) avait fait la totalité des titres, sur le second il y avait quatre ou cinq producteurs différents comme Yvan (Jacquemet), Sulee B. (Wax) donc ça a forcément perdu en homogénéité.
Finalement, vous restez les derniers membres vraiment actifs du Secteur Ä. Comment expliquez-vous le fait que les gens aient toujours envie de vous suivre ?
Calbo : Si on suit un peu le truc, il y a les Nèg’ Marrons qui tournent toujours. Il y a beaucoup de concerts pour les artistes, pas forcément que des projets pour se rendre compte de l’actualité. Nous, la boucle ne s’est pas arrêtée entre les tournées, le dernier solo de Lino (Requiem en 2015)… On a encore beaucoup de choses à dire.
Lino : Peut-être parce que c’est bon ! (rires). C’est vrai qu’on n’est pas super productifs. Ce qui est rare est cher, il faut croire ! Je ne sais pas si on est rentré dans une forme de lassitude, mais en tout cas il y a une forme de curiosité autour de ce qu’on peut faire aujourd’hui. Donc ça va être intéressant à suivre avec le prochain album.
Deux albums en 21 ans. Bientôt trois. Vous êtes un peu les Terrence Malick du rap français. Peut-on rester pertinent sur une si longue période quand on est rappeur ?
Lino : Rester pertinent ? Je considère que c’est la musique qui parle. Le reste c’est du cinéma. Si l’album est bon, il n’y a pas de raison de parler du reste. Moi si j’aime bien un artiste, je vais aller écouter son album sans arrière-pensée. Même si j’ai évidement été déçu par des rappeurs vétérans.
Calbo : On rappe comme on est, il y a une évolution naturelle.
N’est-ce pas difficile de se remettre dans l’écriture commune après autant de temps ? Requiem a-t-il relancé une dynamique pour votre duo ?
Lino : C’est vrai que si tu ne fais pas d’albums, si tu n’es pas dans une dynamique de studio, d’écriture, même si tu ne lâches jamais vraiment l’écriture, il faut un certain temps de réadaptation. Requiem m’a remis en selle, clairement. Si tu n’écris pas pendant longtemps, c’est toujours laborieux quand tu t’y remets. L’inspiration revient au fur et à mesure.
Tu vois une différence dans ton travail d’écriture, seul ou avec ton frère ?
Lino : En solo c’est différent car je suis avec moi-même, c’est encore plus compliqué à mon sens. Là on est plusieurs, on a des points de vue, des angles différents. On peut utiliser plusieurs choses pour parler d’un même thème. C’est plus facile pour moi car j’ai moins de couplets à écrire par morceau, souvent un seul au lieu de deux ou trois sur mes solos. Tout va plus vite, il y a une alchimie naturelle entre nous.
Sur Requiem, vous rappiez ensemble « Ne m’appelle plus rappeur ». Un morceau plutôt fort dans l’intitulé. Le monde du rap a-t-il tant changé que cela?
Lino et Calbo, en chœur : Tout a changé.
Lino : Mais pas que le rap français, le rap en général. C’est différent, ce ne sont plus les mêmes dynamiques. Après ça reste de la musique, des mecs restent encore dans la droite lignée de ce qu’on pouvait faire.
Calbo : Qui dit rap dit rap. Aujourd’hui quand tu regardes un peu le monde du rap dans sa globalité, il y a beaucoup de textes chantés, c’est moins dense en terme de rap et de lyrics.
Lino : La vraie question, c’est « est-ce que chanter c’est faire du rap ? ». Il faudrait poser cette question aux artistes concernés, ce qu’on ne fait pas assez. « Est-ce que tu fais encore du rap ? ». Ce n’est même pas une critique en soi, il n’y a rien de grave, mais la question mérite d’être posée. C’est une question de définition musicale. « Ne m’appelle plus rappeur » ce n’était même pas forcément en terme de musicalité ou de sonorité. C’était plutôt sur le fait que le rap n’a plus grand chose à dire. Ce titre-là, petite anecdote, il me venait d’une discussion avec une personne qui ne savait pas ce que je faisais comme métier. On a eu une discussion assez intéressante et quand je lui ai dit que je faisais du rap, elle n’a pas compris… Comme si c’était improbable. Ce titre englobe un peu l’état d’esprit du rap de l’époque, que ça revendiquait moins, que c’était moins intéressant au niveau du contenu.
Sur ce morceau, tu rappes : « J’me sens vieux comme un rap à thème ». Est-ce vraiment la fin d’un certain rap ?
Lino : Je pense oui, en majorité. En soi, l’idée de rap « à thème », elle est déjà biaisée. Si moi je sors du studio avec une bière et un spliff, c’est déjà un thème pour écrire. Si même je me prends pour un dealer à vendre des barrettes ou ce genre de trucs, c’est aussi un thème.
Oui. Il faut dissocier le thème de la revendication de l’artiste.
Lino : Le côté revendicatif c’est pas pour tout le monde non plus. On n’a pas forcement tous un truc à dire. Soit ils n’en ont rien à foutre, soit ils n’ont pas ça en eux.
Calbo: L’époque est un peu nombriliste. A la fin des années 90, on était un peu plus à rapper pour tout le monde, les quartiers, n’importe quelle ville, alors qu’aujourd’hui on rappe un peu pour soi.
Lino : L’époque a changé. Aujourd’hui on va mettre en avant des rappeurs pas forcément plus lisses, mais assez inoffensifs dans la revendication. Aujourd’hui même dire : « Je suis un dealer« , ça ne gène plus grand monde car quelque part, tu sers aussi le système. La question qu’il faut se poser c’est à quel moment c’est acceptable par la société de dire ce genre de choses. Si c’est acceptable, c’est qu’il y a une raison. C’est quand même bizarre qu’on promeuve une musique qui parle de ce genre de choses et qu’on la mette en avant si c’est si dérangeant.
C’est une musique qui fonctionne auprès du public.
Lino : Mais le public n’a rien à voir là-dedans. Le public ne décide pas, il consomme.
Quand il consomme, il décide.
Lino : De fait, oui.
Calbo : Si dans un magasin tu n’as que des barquettes d’un certain produit, ce n’est plus une décision.
Alors, il faut boycotter le magasin.
Lino : Si les radios donnaient d’autres alternatives, les gens pourraient envisager d’autres options.
Est-ce que vous ne pensez pas justement qu’avec Internet et ses propositions, la radio est devenue un peu désuète ? Le public a accès à une large proposition rap.
Lino : Oui bien sûr mais on n’en est pas encore vraiment là. Je pense que ce qui était intéressant avec les radios ou les médias, c’était le côté pédagogique qu’ils pouvaient avoir. Le coté « si ça passe c’est bien », « s’ils en parlent c’est bien ». Tant que ça reste correct, que ce n’est pas biaisé. Vous devez avoir cette objectivité-là. Sinon c’est mort. Le gamin qui lit, il ne voit plus de critiques. Tout le monde est bon donc les gamins ne comprennent plus rien. On met en avant les chiffres de vente plutôt que la qualité. « C’est disque d’or, ça tue ». Tous les disques à l’époque étaient critiqués avec un système de notation, d’étoiles, etc.
Est-ce que ça vous dérange d’assumer de faire un rap disons de vétéran ? Jay-Z a fini par s’y plier avec son dernier album (4:44), en assumant enfin d’écrire des morceaux sur des angles et des sujets de son âge.
Calbo : On n’a pas de soucis à assumer ça. Ce sera du Ärsenik 2019, on a des enfants, on va faire ce rap-là. On ne va pas suivre la mode pour faire plaisir aux gens.
Lino : Tu es obligé de faire avec ton âge. Tu parles de Jay-Z, il a 70 ans et il rappe plutôt encore bien. C’est la musique qui décide. Après si t’as l’air largué et fucked up, si ça sonne mauvais, faut savoir s’arrêter… Il faut essayer de coller à son âge au maximum. C’est moins péjoratif aujourd’hui d’être un rappeur passé 40 piges. C’est naturel… Ça devrait l’être en tout cas.
Calbo : L’artiste il vend sa musique, son produit. On fait notre musique, tu la prends ou tu ne la prends pas.
Lino : Personne s’attendait à ce que Jay-Z parle de sa brouille avec Beyonce, de sa mère lesbienne. Qu’est-ce qu’ont fait les gens en recevant ça ? Il se sont adaptés.
Y a-t-il encore des rappeurs qui vous marquent aujourd’hui ?
Lino : J’en ai marre de dire Kendrick Lamar… J’aime bien ScHoolboy Q par exemple, même si le dernier est un peu pourri. Il y a un moment où il faut être un minimum impressionné par ce que tu écoutes. Le problème avec la musique actuelle, c’est que tu vois les fils. Tu as mis l’Auto-Tune, tu as mis le flow, tu chantes, tu vois les fils. C’est impressionnant quand tu ne les vois pas, quand tu n’arrives pas à comprendre la formule. Quand je vois tout ça, c’est dur d’être impressionné.
Ärsenik sera en concert à l’Olympia le 11 mai pour fêter les 20 ans de Quelques gouttes suffisent.
Merci aux Studios Luna Rossa, à Netta pour son accueil et à Louise Vergnaud pour les photos.
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