Si Oxnard avait été un gros succès commercial et remporté l’unanimité des fans, aurait-on eu ce nouveau projet Ventura aussi rapidement ? Probablement que non. Les ventes de cette précédente sortie ont été relativement modestes avec au final seulement un titre de clipé. Et si 12 Tone Music (appartenant à Warner et distributeur de l’album) n’a pas la force de frappe commerciale d’Interscope, qui à l’habitude de distribuer les projets du label Aftermath, le montant du budget promo n’explique pas à lui tout seul la réception en demi teinte de cet album. La direction artistique en a surpris certains qui restaient sur cette sublime année 2016 pour AP avec les homogènes et cohérents Malibu et Yes Lawd! (en collaboration avec le producteur Knxwledge).
Avec Oxnard, on était dans un patchwork musical très large de tous les univers de ce crooner capable aussi de temps en temps de se muer en rappeur convaincant. De quoi déstabiliser l’auditeur qui s’attendait à une vision globale plus proche de celle de Malibu. Dre et Paak ont décidé de concocter un projet aux multiples facettes et à la lecture peu évidente au premier abord, avec notamment l’omniprésence de featurings qui prennent beaucoup trop de place sur la seconde partie de cet album (Dr. Dre, Pusha T, Snoop Dogg, J. Cole, Q-Tip). Cela en fait-il un opus raté pour autant ? Avec 6 mois de recul, les critiques sont moins acerbes et Oxnard semble commencer à trouver sa place dans la discographie d’Andy. Le temps a fait son œuvre et l’arrivée précoce de l’album suivant a offert à son prédécesseur une nouvelle lecture plus détendue.
100 kilomètres c’est la distance qui sépare Venice, le quartier branché et culturel de Los Angeles, de Ventura. Si vous empruntez la fameuse PCH (Pacific Coast Highway) pour faire le trajet entre ces deux destinations, vous longerez cette magnifique côte Californienne en passant obligatoirement par les prestigieuses plages et villas de Malibu. Vous traverserez aussi la ville de Oxnard, municipalité voisine de Ventura et lieu de naissance d’un certain Brandon Paak Anderson. Quatre localisations qui ont donc servi de titres d’album à celui qui a commencé sa carrière d’artiste sous le pseudo Breezy Lovejoy avant de devenir Anderson .Paak, et de remporter en début d’année un Grammy Award pour son morceau « Bubblin' » qui a la particularité de n’apparaitre sur aucun de ces projets…
À l’analyse de l’itinéraire de ce trajet, on remarquera que la seule portion de route qui ne donne pas sur l’océan se situe au niveau de la traversée de Oxnard avec le contournement de la zone portuaire. Certains pourront y voir un signe géographique d’un projet qui ne pouvait être que différent. Ventura vient donc compléter ce qu’on pensait être une trilogie et qui s’est donc vite transformée en tétralogie. Et à mon avis on ne s’arrêtera pas là, j’y reviendrai un peu plus tard en conclusion de cette chronique. Ce 4ème arrêt musical dans cette station balnéaire décontractée, prisée de la population locale, va être l’occasion pour son auteur de nous présenter un projet sur lequel il a obtenu une marge de manœuvre beaucoup plus grande de la part de son producteur exécutif (Dr. Dre).
I felt like one (Oxnard) was made to be gritty, one (Ventura) was made to be pretty
Par ces mots, Anderson .Paak a bien résumé les deux approches différentes de ces deux derniers projets. Il va même plus loin dans son explication en prenant comme image l’exemple d’un road trip à Las Vegas entre amis où l’on pourrait écouter Oxnard sur le trajet aller puis Ventura lors du retour « pour pouvoir réfléchir à toutes ces choses regrettables qui auraient pu se passer dans la cité du vice ». Et pour en finir sur la comparaison entre ces deux albums, laissons le mot de la fin à sa mère : « Je ne suis pas d’accord pour dire que mon fils a perdu son identité sur Oxnard. Au contraire il a présenté au monde sa très grande diversité ». Les choses étant dites, direction Ventura et sa tracklist alléchante.
« Come Home » sert de morceau d’ouverture à cet album et pose les bases d’une sélection de productions très groovy faisant directement référence à un univers très soul qui colle si bien à Anderson .Paak. Ce titre est aussi l’occasion d’y croiser le toujours très discret et sélectif André 3000 qui n’a pas fait le déplacement pour rien. La technique et l’intelligence d’écriture sont toujours au rendez-vous chez la moitié du duo Outkast qui sera le seul rappeur invité sur ce projet. Le featuring suivant, Smokey Robinson sur le single « Make It Better », est lui relégué à un rôle beaucoup plus modeste, laissant les pleins pouvoirs à un AP en lévitation au dessus de ces sublimes arrangement de cordes. Si Fredwreck et Alchemist sont crédités aux côtés d’Anderson .Paak pour la production de ce morceau, c’est bien ce dernier qui a orchestré toute la machinerie à sa guise.
Avec « Reachin’ 2 Much » on a un morceau de quasiment 6 minutes composé de deux parties (« Reachin' » et « 2 Much »). Sur la première on reconnaît tout de suite la signature sonore d’Andy à la batterie. Pour ceux qui l’ont vu en live, il est même très facile de se l’imaginer en transe derrière son instrument de prédilection. La seconde partie nous offre une jolie collaboration avec Lalah Hathaway (fille du légendaire Donny Hathaway) sous fond d’accents disco dans lequel AP se questionne sur les attentes parfois trop élevées de la gente féminine. Un titre co-produit par Vicky Nguyen (aux côtés de Dem Jointz, Pomo et The Free Nationals), tout comme le morceau suivant « Winners Circle » sur lequel il explore brillamment une nouvelle fois les tumultes d’une relation amoureuse.
« Good Heels » vient conclure une première partie d’album où l’omniprésence de Paak à la production est flagrante. Il a réclamé et obtenu une véritable indépendance pour façonner son univers, et le résultat est vraiment groovy et smoothy à souhait. On est plongé dans une ambiance sonore qui n’est pas sans rappeler cette période des années 60/70 où la Philadelphia Soul faisait des ravages sur les radios en allant piocher ses influences dans le funk et le jazz. Une ville dont est originaire la chanteuse Jazmine Sullivan invité sur le morceau précédemment cité qui affiche une durée très courte servant d’interlude parfait pour nous emmener dans la seconde partie de cet opus.
Lo and behold, my little on. I’ve been gone for far too long. If I ever take this life for granted, you showed me just how dumb
Situé en milieu d’album, le titre « Yada Yada » est la définition même des différentes qualités de Anderson .Paak qui dans les 3 couplets de ce morceau passe du chant au rap avec une facilité déconcertante. Il y explique son parcours et sa volonté de garder une place importante pour sa vie de famille dans une carrière artistique chronophage. Père de deux garçons de 8 et 2 ans qu’il a appelé Soul et Shine, AP n’est jamais apparu aussi comblé et sûr de lui. Une assurance qui se ressent dans sa musique. Premier single de ce projet, le morceau « King James » est un hommage au basketteur LeBron James et de façon générale à ces personnages publics qui n’hésitent pas à s’engager politiquement et socialement. Il y fait aussi référence au quarterback Colin Kaepernick qui a inspiré le mouvement Black Lives Matter.
Qui dit Anderson .Paak, dit aussi The Free Nationals. Son groupe qui le suit fidèlement depuis ses débuts et qui a pris une part importante dans l’enregistrement de Ventura. On retrouve en effet les différents membres disséminés dans les crédits de cet album et quasiment au complet sur « Chosen One » avec Ron Avant au vocoder et aux claviers, Jose Rios à la guitare et Kelsey Gonzalez à la basse. En ce qui concerne Callum Connor, il a co-produit (avec Kiefer Shackelford) les morceaux « Yada Yada » et « King James ». Pour en revenir au titre « Chosen One » avec Sonyae Elise, il sample brièvement en ouverture le « On The Level » de Mac DeMarco qui accompagnera AP lors de sa prochaine tournée américaine Best Teef In The Game Tour. Encore une fois la performance est convaincante sublimée par un mix d’une précision chirurgicale qui embaume les 11 pistes de ce projet, avec aux manettes le trio Dr. Dre, Focus et Lola Romero.
Si « Jet Black » était choisi comme prochain single, il y a fort à parier que cette collaboration avec Brandy obtiendrait un certain nombre de rotations radio. Le morceau est parfait pour les clubs, tellement sexy avec cette touche électro-dance qui pousse à se déhancher frénétiquement. Un beat signé par le toujours très inspiré Pomo qui comptabilise donc trois contributions sur cet opus. On reste dans le bouncy avec « Twilight » produit par Pharrell Williams qui, une nouvelle fois, arrive à fasciner avec si peu. Il suffit de quelques notes hypnotiques de cuivre (Terrace Martin et Marcus Paul), tout droit sortie d’une session de la BO de La La Land, pour installer une atmosphère si enivrante. Anderson .Paak ne se fait pas prier bien longtemps pour exploiter comme il se doit cette offrande, on en redemande.
La conclusion de cet album se devait d’être à la hauteur des 10 morceaux précédents pour ne pas laisser une petite note amère en dessert. Un véritable défi relevé haut la main avec l’excellente idée de former un duo inédit avec Nathaniel Hale, plus connu sous le pseudo de Nate Dogg (décédé en 2011). Et ce n’est pas dans les archives secrètes de Dr. Dre qu’Anderson .Paak est allé chercher cette collaboration sensationnelle, mais sur proposition de Fredwerck qui a décidé de lui offrir ce sublime cadeau intitulé « What Can We Do? ». Une approche de ce titre pensé comme un réel échange entre les deux artistes avec en fin de morceau une discussion qui n’est pas sans rappeler celle de Kendrick Lamar et Tupac sur « Mortal Man », créant une nouvelle faille temporelle dans la galaxie Hip Hop.
Pour conclure, Ventura est sans conteste un album réussi où s’enchainent une flopée d’excellents titres dans la même veine que Malibu. Ceux qui avaient pu être déçus avec Oxnard retrouveront un Anderson .Paak dans sa zone de confort, là où il excelle, tout en continuant d’explorer les multiples univers sonores qu’il affectionne. 40 minutes sans aucune faute de la part de son auteur avec au final un projet complet et parfait pour l’arrivée des beaux jours. Le temps nous dira la place qu’occupera cet album dans sa discographie, en ce qui me concerne c’est un véritable coup de cœur savoureux.
Il ne nous reste plus qu’à espérer que Ventura ne referme pas ce road trip Californien de Andy commencé en 2014 avec Venice. Et si la prochaine étape était Santa Barbara ? La grande ville suivante sur la route remontant en direction de San Fransisco. Une municipalité que connait bien AP après y avoir travaillé dans une ferme de cannabis en 2011. Il fut renvoyé sans avertissement et perdit son logement, le mettant à la rue avec sa femme et son nouveau né poussant le jeune artiste à s’installer à Los Angeles. Pour que la boucle soit vraiment bouclée, il est peut être temps maintenant pour lui de retourner à Santa Barbara avec son nouveau statut de superstar. A suivre…
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