Alpha Wann enfile sa côte de maille et part en croisade dans UMLA, son premier album. Don Dada sur l’étendard, le chevalier de Paris Sud porte fièrement les couleurs du clan. Le fer de lance du rap français, populaire dans tout le royaume, a-t-il enfin réussi à arracher Excalibur à son rocher ?
Le dernier des rappeurs
Juché sur son destrier, une torche à la main, Alpha Wann illumine la vallée. La corne de brume résonne, son épée quitte le fourreau et aussitôt, une horde de soldats furieux dévale les collines à l’assaut du rap français. Le début du combat est cruel, sans merci. Les punchlines pleuvent comme des flèches et des mots incandescents font déborder les mâchicoulis. Aux portes du succès comme devant le pont-levis d’un château-fort, Flingue défonce la herse à coups de morceaux béliers.
Le message envoyé par l’avant-garde est clair : « J’ai plus l’âge de réclamer négro, j’ai l’âge d’obtenir. » Un constat légitime, vu sa renommée. La légende construite avec la trilogie Alph Lauren a fait des émules. De simple fantassin chez 1995, Alphonso est devenu The Don, un chef de guerre redouté de ses ennemis et loué par les fans. Authentique, le futur O.G. se distingue comme « le dernier rappeur qui rappe », dans une ère de mélodies autotunées.
Une sorte de Jay-Z ou de Pusha T à la française, sans le côté dope boy. Le genre de type dont la crédibilité n’est jamais remise en cause. Quelqu’un qui préfère un classique à un platine. Alpha Wann sait qui il est, ne cherche pas à jouer un rôle. C’est là sa force contre des artistes montés de toutes pièces. « C’est pas du rap hardcore, j’me prends pas pour un rockeur. J’vais à la muscu pour le corps, j’vais à la mosquée pour le coeur. » Holla.
Pouce mousse
Face à la dictature du chiffre, Alpha Wann forge un code de l’honneur digne de la Table Ronde. Ici, pas de fées maléfiques ou de dragons. Les seuls à cracher le feu sont le roi Flingue et ses chevaliers. Un feu si précieux qu’il n’est partagé qu’avec les siens. Comprenez : « pas de featuring », sauf avec la mif. Dans cette quête du Graal rapologique, Infinit’, Doum’s, Sneazzy, Og L’enf et Diabi jouent les rôles de Lancelot, Perceval, Tristan, Galaad et Erec.
Malgré leur pureté morale, aucun de ces personnages ne brille réellement par ses prouesses dans le maniement des armes. Temporairement banni de la confrérie, Nekfeu n’a quant à lui pas droit de cité sur Une main lave l’autre. La gloire revient donc à Louis (Hologram Lo’), VM The Don, LamaOnTheBeat, JayJay, AAyhasis, Seezy ou encore Diabi, à la prod. Autant de Merlin en puissance, qui offrent à ce disque une ambiance épique, vibrante et mystérieuse. Le remix de « Cascade » et « La lumière dans le noir » sont deux points d’orgue de cette aventure chevaleresque.
En somme, l’album est fidèle à son titre, symbole d’entraide. « Une main lave l’autre, mais elles se joignent pour laver l’visage », dixit la chanson éponyme. Chaque main a besoin de l’autre : elle ne peut se laver seule. À deux, elles accomplissent de grandes choses. Un écho lointain au « Tout seul, on va plus vite. Ensemble, on va plus loin. » du S-Crew. La doctrine de L’Entourage et d’1995 reste intacte. En invitant tous ses frères d’armes sur la galette, le roi Alpha leur offre sciemment un coup de pouce respectable.
Fendre l’armure
Durant la seconde moitié du disque, Alpha Wann s’emploie à déconstruire l’armure de rimes et de Polo Ralph Lauren qu’il s’est créée pour vaincre. Une fois passé le ventre mou de l’album, on découvre les fantastiques « Fugees » et « Une main lave l’autre ». Des titres clés, presque jamais vus dans la discographie de Phal, tant ils ouvrent une fenêtre sur sa psyché. « Qui est cet inconnu dans l’miroir d’la salle de bain ? Je sais qu’ce loser sera encore al demain », lance-t-il.
Amour, famille, musique et argent : on comprend quels sont les regrets qui « s’accumulent plus vite que les années » et pourquoi le Don aurait voulu « tout faire en mieux ». Pêle-mêle, il raconte avec humilité les espoirs déçus de ses parents, son manque d’investissement en couple et la difficulté de remonter à cheval après ses projets en groupe. Une amertume qui donne sa saveur à l’album et explique sûrement pourquoi le Don a pris sont temps.
In fine, les failles qu’Alpha Wann expose sur Une main lave l’autre renforcent son lien avec l’auditeur. Le lyriciste s’émancipe de son personnage pour devenir sous nos yeux un homme droit. L’artiste prend le contrôle, apprend à composer avec ses forces et ses faiblesses. Son disque n’est pas l’album parfait auquel on a pu s’attendre. Il compte quelques inexactitudes et erreurs de casting. Néanmoins, ce sont peut-être bien ces erreurs qui en font ce qu’il est : un album « vrai », car humain.