AllttA nous parle de la création de l’album ‘The Upper Hand’
Avant leur tournée des festivals d’été, le duo AllttA formé par 20syl et Mr. J. Medeiros nous a accordé un peu de temps pour revenir sur le processus de création de leur premier album The Upper Hand, ainsi que leur solide amitié qui dure depuis maintenant plus de dix ans.
Commençons par le début : comment et quand le projet Alltta a-t-il pris forme ?
Mr. J. Medeiros : Il y a environ deux ans, 20syl m’a envoyé une prod et m’a dit « tiens, si tu aimes ce truc, c’est cool ». On en avait déjà un peu parlé lors du dernier tour d’Hocus Pocus, mais c’est vraiment devenu concret il y a deux ans.
20syl : On était chacun pas mal occupés sur nos projets respectifs, moi sur C2C, qui a duré plus longtemps que prévu, mais on avait depuis longtemps en tête de faire un projet ensemble. Le vrai déclic s’est produit quand il m’a sorti le nom AllttA. Je me suis vraiment projeté dans ce truc-là, cela a permis de matérialiser la chose.
Donc le nom AllttA, c’était l’idée de J ?
J : Oui c’était mon idée. On cherchait des noms, et AllttA signifie « a little lower than the angels ». J’ai un passé un peu religieux, et il y a toujours une part de moi qui conserve cela, car c’est une bonne source d’inspiration. C’est quelque chose que j’ai trouvé dans la Bible il y a longtemps. J’aime le concept, cette idée qu’on est juste en dessous des anges. Mais « alta » signifie aussi « haut » en espagnol, donc la juxtaposition entre « en-dessous » et « au-dessus » est un peu devenu le fil conducteur de l’album.
Tu l’as dit, tu as ce côté religieux qui se retrouve beaucoup dans l’album. Était-ce une volonté d’y faire référence tout au long du projet ?
J : Depuis le début de ma carrière, j’étais très religieux, et la première fois que je suis venu en tournée en France, mes yeux se sont ouverts sur une nouvelle culture, pour moi qui venait du centre des États-Unis. Donc quand j’ai écrit cet album, je décrivais vraiment l’état d’esprit dans lequel j’étais à ce moment. L’album n’est pas du tout fait pour prêcher quoi que ce soit.
Et toi 20syl, comment as-tu réussi à te raccrocher à tout ça ?
20syl : Disons que le premier contact que j’ai eu avec ce nom là, c’est plutôt le rapport visuel, ça m’a de suite sauté aux yeux, et moi j’ai besoin de ça, d’un nom qui ait une matière visuelle intéressante. J’ai directement visualisé cela comme un logo, avec les deux « A » qui se répondent, cette symétrie qui rappelait bien la dualité dans le projet. Au-delà du sens profond et de la spiritualité qui l’y injecte, moi, je me le suis approprié d’une manière assez différente, que j’ai essayé de décliner tout autour du concept de l’album, que ce soit sur les animations en live, les pochettes, etc.
Il y a en effet tout un univers graphique autour du projet, notamment sur les vidéos. C’est toi qui a tout réalisé ?
20syl : Oui c’est moi qui ait fait tous les motions, avec les moyens du bord, mais j’ai trouvé les techniques qui m’ont permis d’arriver à ce que je voulais. C’était une volonté de rester dans cet univers très graphique, un peu mystérieux, et de ne pas trop montrer nos tronches dans de « vrais » clips filmés. Mais rien n’est arrêté pour autant…
Vous avez semblé avoir investi beaucoup d’efforts sur ce projet. Que ressentiez-vous au moment de la sortie de l’album ?
J : Du soulagement et de la fierté. Cela nous a pris presque 3 ans, et dans ce temps-là, on a tous les deux eu notre premier enfant, donc il s’est passé beaucoup de choses. Mais quand j’y pense, c’est assez incroyable à quelle point l’inspiration était forte, alors que j’avais si peu de temps à y consacrer. Quand j’ai compris que je pouvais écrire entre les siestes du bébé et tard le soir, j’ai su qu’il fallait que j’en profite !
Quand j’ai compris que je pouvais écrire entre les siestes du bébé et tard le soir, j’ai su qu’il fallait que j’en profite !
Quel fut le processus de création globale entre vous deux ?
20syl : Au final, les choses étaient assez séparées. Au départ, je lui envoyais des maquettes assez brutes d’instrus, puis lui écrivait, et enregistrait ses propres maquettes chez lui, et me les renvoyait. Ensuite, on se réunissait chez moi à Nantes pour enregistrer ensemble pendant une grosse semaine. Puis pendant que lui repartait à L.A., moi je reprenais quasiment tout à zéro, afin de reconstruire autour de sa voix une instrumentation beaucoup plus riche, rentrer dans le détail en fonction de son flow, etc. Tout a été enregistré en deux fois une semaine, mais en tout, cela représente bien deux gros mois de travail, entre la pré-prod, le mix, etc.
Et toi Jay, comment tu procédais pour l’écriture ?
J : D’habitude j’ai déjà beaucoup de rimes prêtes, parce que c’est quelque chose que j’aime vraiment faire. Mais pour beaucoup de chansons sur cet album, les instrus de 20syl m’ont donné de l’inspiration, et m’ont donné envie d’écrire de nouveaux textes. Sinon, la plupart du temps, j’aime écrire tout seul, tranquille. Je ne suis pas trop un writer de studio. J’aime bien prendre mon temps pour qu’il y ait à la fois la technique mais aussi le fond, avec différents niveaux de lecture sur mes textes. Par contre, là où on bosse ensemble, c’est sur tout ce qui est refrains ou parties vocales « ornementales ».
20syl : En effet, et il faut savoir qu’à 98%, toutes les parties vocales viennent de Jay, que ce soit les chœurs, les parties chantées. Même les trucs qui ressemblent à des samples, c’est lui.
Du coup Jay, on a l’impression que tu as expérimenté pas mal de choses au niveau des flows sur cet album. C’était une volonté de ta part ?
J : Oui. Je viens de la génération du boom bap et du storytelling. Mais depuis 3-4 ans, les patterns de rimes et les flows ont tellement évolué et explosé qu’un moment, je me sentais un peu dépassé. Cela m’a énervé mais aussi inspiré, car j’adore vraiment rapper. Et plus l’album avançait, plus j’avais l’impression de trouver le Jay de 2017. Donc maintenant, je suis prêt pour davantage de musique !
20syl, beaucoup de fans s’attendaient à t’entendre rapper sur l’album. Pour quelles raisons as-tu choisi de ne pas le faire ?
20syl : Ce n’était pas le projet, qui voulait que chacun trouve sa place. Moi, j’avais envie d’aller au bout de ce trip de producteur qui bosse avec un rappeur, et en plus j’aurais eu du mal à m’adapter à son flow, qui n’est pas forcément le même que le mien. Et puis le délire français-anglais sur un album entier, je ne suis pas sûr que cela fonctionne. Même dans notre manière d’approcher les thèmes, je ne pense pas être à son niveau, donc ça aurait été difficile à tous les niveaux.
Vous vous connaissez depuis longtemps. Comment vous décririez votre relation et votre complémentarité ?
20syl : Moi j’ai toujours vu The Procussions comme les jumeaux d’Hocus Pocus de la cote ouest américaine. J’avais le sentiment qu’on vivait la musique et le rap de la même façon, aussi concentrés sur la musique, les textes, et aussi positifs dans l’énergie. C’est pour ça qu’on a toujours eu un contact assez proche, et on pensait systématiquement à eux quand on cherchait des collaborateurs sur nos projets. Dès notre première rencontre, ça a été très amical, ce qui n’arrive pas si souvent quand on rencontre d’autres rappeurs.
J : Le fait qu’on viennent tous les deux de régions qui ne sont pas à la base on the map pour le hip-hop (Nantes et le Colorado) a fait qu’on avait aussi ce respect mutuel, car on n’essayait pas de faire semblant d’être quelqu’un d’autre, de faire croire que l’on venait de L.A., de New York ou de Paris pour 20syl. Au début, je suis allé à Paris voir des producteurs, c’était sympa, mais sans plus. Et là, je suis arrivé à Nantes, et chaque beat que Sylvain envoyait, c’était genre « wow, holy shit ! ». Il y avait une vraie âme dans tout ce qu’il faisait, comme pour Stro.
Pour finir, Jay, tu as récemment déménagé en France. Pour quelles raisons ?
J : Et bien tout d’abord, mon fils est français, il a la double-nationalité, donc c’était déjà un argument pour moi. Après, même si l’élection de Trump n’a pas été centrale dans ma décision, on peut dire que cela a clairement aidé. Ensuite, les système éducatifs, de santé, de soins pour les enfants sont horribles aux States, et impossibles à s’offrir, surtout quand tu es rappeur indépendant. Mais au-delà de ces considérations pratiques, j’ai vraiment été inspiré par la France depuis la première fois que je suis venu en 2005. On est allé partout en France et j’ai adoré. Par exemple, mais quand on tourne en France, on mange avec tout le staff, et souvent, il y a de grandes chances que tu manges quelque chose qui a été cuisiné sur place, avec des produits de la région. Cela a l’air d’être un détail comme ça, mais en réalité, c’est vraiment cool quand tu peux développer des liens avec les gens avec lesquels tu travailles. Je ne dis pas que tout est génial et parfait ici, mais aux USA, c’est totalement différent : la culture de la célébrité écrase tout le reste, tout le côté humain.
AllttA sera à la programmation de multiples festivals cet été, dont Fnac Live, Les Vieilles Charrues, Les Ardentes, La Nuit de l’Erdre ou encore Au Fil du Son. Leur premier album The Upper Hand est toujours disponible.