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Albums : est-ce que la taille compte vraiment ?

Tout commence par un dialogue entre Pusha T et l’omniscient Kanye West : “Sept, tu sais… c’est le chiffre de Dieu. Tous les projets qui vont sortir, ce sera sept pistes, c’est ça qu’on vise.” Ainsi, l’artiste le plus mégalo du monde a décrété que les cinq nouveaux projets de son label (Teyana Taylor, Kid Cudi, Pusha T, Nas et lui-même) ne dépasseraient pas ce nombre sacré. Le patron de G.O.O.D. Music a préféré produire des EP ou « Extended Play », format à mi-chemin entre le single et l’album (5-8 tracks), plutôt que des LP ou « Long Play », dont la longueur est traditionnellement de 10-12 pistes (30-50mn de contenu).

Trop c’est trop

En témoignent encore ses sorties publiques controversées, Kanye West est un homme qui n’a jamais eu peur de prendre des risques. “Mec j’ai l’impression que les gens sont bombardés de long albums, je sens que sept est le bon chiffre”, a-t-il donc tranché pour l’ensemble du roster. Toutefois, il faut dire qu’en 2018, un album à sept pistes a de quoi étonner, surtout lorsque l’on jette un œil à la durée des projets chez les plus gros artistes. À titre de rappel :

  • Culture II de Migos : 106 minutes
  • SR3MM de Rae Sremmurd : 101 minutes
  • Scorpion de Drake : 90 minutes
  • Queen de Nicki Minaj : 66 minutes
  • Teenage Emotions de Lil Yachty : 69 minutes
Nombre d’artistes, de Migos à Drake, ont pris l’habitude de produire des albums sur-mesure pour les plateformes de streaming. Scorpion, cinquième album du canadien, en est un exemple notable, avec pas moins de vingt cinq morceaux. Et pour cause : depuis 2012, Billboard comptabilise les chiffres du streaming dans le classement des meilleures ventes d’albums. Un grand nombre de chansons signifie mathématiquement davantage de titres en playlist et un nombre d’écoutes plus conséquent.

Qui plus est, une seule chanson streamée plusieurs millions de fois suffit pour obtenir un disque de platine. Voilà comment l’on se retrouve avec des albums à rallonge, dont le seul but est de gonfler les chiffres sur les plateformes et dont la seule cible avérée est un public de fans hardcores. Certainement les seuls qui trouveront le temps d’écouter toutes les chansons et de choisir leurs favorites, parmi le choix pléthorique qui s’offre à eux.

La seconde raison d’une telle longueur est pécuniaire. Il y a bien longtemps qu’Internet a désintégré les revenus des ventes physiques. Là où 50 Cent avait vendu 872 000 copies de son premier album une semaine après sa sortie en 2003, Drake a tout bonnement décalé la sortie physique de son album pour maximiser le streaming, passant à côté d’un demi-million de dollars en ventes potentielles (environ 300 000 copies). Gageons qu’un tel manque à gagner est amplement compensé par les revenus du streaming.

Less is more

Conscient que sur les plateformes de streaming, l’auditeur est roi, un artiste comme Drake s’adonne régulièrement à des sorties surprises, pour tester ses singles auprès de son public et identifier le prochain hit. Résultat : les fans sont continuellement abreuvés de nouveaux contenus, parfois jusqu’à rendre la sortie d’un album anecdotique. À la sortie de More Life, présenté comme une playlist, beaucoup ont reproché au 6 God d’abandonner par la même occasion toute cohérence artistique.

Inversement, la rareté donne une saveur particulière à la musique. Il n’y a qu’à voir la folie suscitée par l’annonce d’un nouvel album d’Adele, dont chaque sortie est espacée de trois ou quatre ans, période où la diva britannique se fait rare. Mis à part Frank Ocean et autre Jay Electronica, peu d’artistes cultivent encore le mystère dans le hip-hop. Quand elles ne sont pas occupées à remplir leurs albums de fillers, nos stars multiplient l’exposition en s’invitant en featuring.

Bien sûr, il n’est pas indispensable qu’un artiste disparaisse pendant deux ou trois ans pour présumer de la qualité de son album suivant. Cependant, les 7-track albums sont d’autant plus appréciables qu’ils sont courts et laissent l’auditeur sur sa faim. Pour que la formule marche, reste que le contenu doit se distinguer de toute concurrence. Un postulat qui se vérifie sans doute pour Daytona, peut- être moins sur les autres projets de la saga G.O.O.D. Music.

L’une des forces d’un album court, c’est sa replay value : l’intérêt que l’on éprouve à le ré-écouter dès lors que le projet s’achève. Avec une durée inférieure à la demi-heure (23 minutes pour Ye), il est facile d’écouter l’album plusieurs fois dans une même journée et ainsi de mieux intégrer les chansons, mémoriser les paroles et remarquer les éléments d’écriture ou de production qui nous ont échappé à la première écoute.

Enfin, un format EP conserve le plaisir d’écoute. Quelle joie de ne pas se sentir épuisé au bout de six chansons, alors qu’il reste encore les trois quarts de l’album à écouter ! Se limiter à sept pistes force l’artiste à être concis et évite le remplissage inutile. Finalement, c’est presque un retour aux sources pour un genre dont beaucoup de projets fondateurs sont relativement courts (Illmatic de Nas ou Paid in Full d’Eric B & Rakim, par exemple).

Quality control

Là où l’écoute laborieuse d’un double-disque ne laisse qu’un vague souvenir et nécessite de se replonger corps et âme dans l’oeuvre pour en extraire la substantifique moelle, un album court marque l’esprit. Et puis, qui a réellement le temps d’écouter une heure trente de Migos ? Blague à part, longueur et qualité ne sont pas corrélées. Le rap compte beaucoup de double-albums très bien écrits et structurés (j’en veux pour preuve Death Certificate d’Ice Cube et Speakerboxxx/The Love Below d’Outkast).

En définitive, peu importe la longueur tant que le contenu, la production et l’album en général valent le coup d’être écoutés dans leur intégralité. Le risque principal de l’album long est de privilégier la quantité à la qualité, de préférer sortir trente chansons médiocres pour assurer son omniprésence en ligne, plutôt qu’une œuvre succincte qui brillera par le fond autant que par la forme. À l’inverse, un album de sept titre peut sembler court si l’on veut développer son propos. À l’image de ce Kids See Ghost, trop étroit pour contenir la personnalité d’artistes si expansifs.

A l’heure où le plus gros album de l’année aux Etats-Unis n’est presque pas disponible en magasin, où les plus grosses sorties rap se font à coups de contrats juteux avec Samsung ou Apple, cette exception aux superproductions pléthoriques est louable dans ses intentions, même si le résultat n’est pas toujours à la hauteur des attentes. Espérons juste que la qualité sera le maître mot des projets qui vont sortir d’ici la fin de l’année, qu’ils fassent deux heures ou vingt minutes.

Ce dossier est une contribution libre de Mehdi Ouahes que nous avons choisi de publier. Si vous aussi voulez tenter d’être publié sur BACKPACKERZ, n’hésitez pas à nous envoyer vos articles via notre page de contact.

La Rédac

BACKPACKERZ, c’est une grande mif de NERDZ réunis par l’amour du son et le goût du partage. Une équipe d’explorateurs passionnés, qui sillonnent la galaxie rap et les nébuleuses voisines, à la recherche de ses futures étoiles.

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