Mettons-nous déjà d’accord sur une définition : on considérera ici qu’un album collaboratif est un projet sur lequel deux artistes ayant commencé leur carrière en solo ou dans des crews différents unissent leurs forces pour sortir un album voire former un duo, un trio, ou un super-groupe. Oubliez ainsi les Wu-Tang, Cypress Hill, N.W.A, Migos et autres Odd Future, bien que chacun des membres de ces groupes rappaient en solo dans sa chambre avant de se joindre aux autres. Chez certains, l’album collaboratif sera la continuité de featurings répétés, pour d’autres il s’agira de s’associer avec un artiste autour d’un style et/ou d’un thème commun.
Les albums communs entre de grands artistes figurent certainement tout en haut de la liste des fantasmes des auditeurs de rap. Mais ce n’est pas l’unique genre musical dans lequel ceux-ci existent : jazz, soul, rock… les grandes collaborations ont toujours suscité une grande attention de la part du public. Qui n’a jamais rêvé de voir deux ou plusieurs de ses artistes favoris s’unir sur un seul et même projet ? A l’image d’une fusion entre Vegeta et Sangoku ou d’une superteam en NBA, on visualise assez aisément deux artistes de renom s’associer pour donner le meilleur d’eux-mêmes. On imagine mal comment des rappeurs ou des producteurs, qui ont chacun connu le succès de leur côté, pourraient échouer en travaillant ensemble. C’est d’ailleurs ces mêmes fantasmes qui entretiennent durant chaque décennie des rumeurs de collaborations rêvées : Nas et DJ Premier, J. Cole et Kendrick Lamar… Certaines parviennent à se réaliser, d’autres non.
Alors que cette pratique s’était quelque peu essoufflée dans les années 2000, le succès et la hype générés par Watch The Throne (2011) ont donné une nouvelle impulsion aux collaborations. Ainsi, aussi bien dans la sphère underground que mainstream, avec les exemples Drake x Future (What A Time to Be Alive, 2015) ou Travis Scott x Quavo (Huncho Jack, Jack Huncho, 2017), les projets communs ses ont multipliés. Une tendance notamment facilitée par les nouvelles technologies : plus de contraintes d’agenda pour booker des studios, les artistes peuvent s’envoyer les pistes audio à distance. C’est notamment la méthode qui fut choisie par Alchemist, Freddie Gibbs et Curren$y pour réaliser Fetti en 2018.
Toutefois, ces duos se forment-ils sur la simple base de la demande grandissante du public ou bien sur une réelle volonté des artistes à s’associer ? En général, ceux qui collaborent possèdent une certaine alchimie, facilitant ainsi le processus créatif. Dans le cas d’une collaboration entre un rappeur et un producteur, il se peut que ce dernier soit aux commandes de la direction artistique, comme on a pu le voir avec la série d’albums produits par Kanye West (Kids See Ghosts avec Kid Cudi, Nasir avec Nas…) en 2018. Pusha T avait par exemple confessé après la sortie de DAYTONA que tout ce qui avait trait à la D.A. sur l’album fut décidé par Kanye : prods, tracklist, et même cover. Dans ce cas, peut-on vraiment parler de collaboration ou plutôt de prestation de la part du rappeur ? Quoi qu’il en soit, les projets collaboratifs sont toujours créateurs de hype, mais amènent également un certain nombre d’appréhensions.
A quoi faut-il s’attendre lorsque deux artistes s’associent sur un projet entier ? Il est souvent difficile de s’imaginer ce qui aboutira d’une collaboration, et les auditeurs ont forcément de nombreuses interrogations avant la sortie d’un tel opus. Est-ce que les deux artistes exploiteront à nouveau le style musical pour lequel on les connaît, à l’image d’un Black Star, sur lequel Mos Def et Talib Kweli ont frôlé l’excellence tout en restant dans un registre plutôt classique ? Les projets de ce type n’ont rien de surprenants, mais peuvent être la porte d’entrée vers l’univers d’un rappeur avec lequel on accroche difficilement en solo.
Dans d’autres cas, la collaboration sera-t-elle un moyen de trouver un compromis entre deux genres musicaux, d’expérimenter, comme l’ont fait Nas et Damian Marley avec Distant Relatives en 2010 ? Le rappeur et le chanteur reggae avaient su créer un doux mélange entre des styles différents mais finalement pas si éloignés. Ainsi, il n’est pas rare de trouver des crossovers entre rappeurs et artistes ou producteurs d’autres genres, qu’il s’agisse de l’electro, du reggae ou du rock.
Autre interrogation des fans : la fusion entre les artistes sera-t-elle un « coup d’un soir » ou bien donnera-t-elle suite ? On remarque que les albums les plus novateurs, à l’instar d’un Madvillainy ne donnent pas lieu à des sequels. Cependant, certains artistes se nourrissent d’une première collaboration pour créer un réel univers, comme l’ont fait El-P et Killer Mike avec leur duo Run The Jewels ou plus récemment DJ Muggs et Mach-Hommy. Si le public est le premier demandeur de suites, le côté unique de certaines collaborations renforcent leur image mythique. D’autre part, les albums collaboratifs qui connaissent des suites sont autant d’opportunités pour creuser un peu plus le procédé créatif des artistes et ainsi proposer quelque chose de nouveau.
Difficile d’établir ici une liste exhaustive des collaborations dans l’histoire du rap, on a donc choisi de parler de quelque projets marquants.
Comment parler des collaborations sans mentionner l’une des plus iconiques ? Lorsque Method Man & Redman unirent leurs forces en 1999 pour sortir Blackout!, le moins qu’on puisse dire, c’est que l’alchimie entre le MC du Wu-Tang et celui de Def Squad aboutit à un classique. Un album à la fois sombre comme Meth & Red pouvaient le faire en solo, mais aussi teinté d’humour, reflétant ainsi la personnalité des deux collaborateurs.
Le rap français n’a pas connu pléthore de projets collaboratifs, mais on retient tout de même quelques albums notables, parmi lesquels on trouve la collaboration entre la rappeuse Casey, Hamé (MC de La Rumeur) et le groupe de rock Zone Libre. Une musique violente pour des paroles pas plus paisibles. Une parfaite symbiose entre les riffs de guitares sombres, les drums percutants d’une batterie et les paroles revendicatrices et dénonciatrices de Hamé et Casey.
Madlib étant très coutumier des albums collaboratifs, on aurait pu prendre d’autres exemples tels que ses projets avec Freddie Gibbs ou J Dilla. Son album avec l’énigmatique MF DOOM, Madvillainy, est certainement l’une des collaborations les plus connues et les plus acclamées par les auditeurs de rap underground. Un projet atypique, un ovni dans le paysage rap modelé par deux artistes plus mystérieux l’un que l’autre. Madvillainy est l’un de ces opus pour lesquels une suite est attendue, mais il y a peu de chances qu’elle soit à la hauteur du premier opus.
Jonction entre deux piliers du rap français, la collaboration entre Dany Dan et Ol’ Kainry a donné naissance en 2005 à un album phare du hip hop hexagonal. Deux MCss de qualité sur des beats boom bap, une alchimie parfaite pour cet album, au point que Dany Dan et Ol’ Kainry sortent une suite à ce projet près de 10 ans plus tard.
Watch The Throne est peut-être l’album collaboratif le plus emblématique de ces dernières années. Bien qu’il n’ait pas forcément été très bien reçu par le public, tellement les attentes étaient grandes. Il faut dire que voir deux des plus importants artistes des années 2000 s’associer sur tout un album, ça en jette, sur le papier en tout cas. Avec ce projet, Jay-Z et Kanye West ont certainement incité plusieurs artistes majeurs à s’associer par la suite.
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