Aketo, graveur de longévité
Avec Zone Bleue, Aketo continue sa renaissance en explorant de nouveaux horizons musicaux. De Sniper aux débuts de sa carrière solo jusqu’à sa prolifique activité en 2022, le rappeur a traversé les époques en restant le même humainement et en évoluant artistiquement.
C’est dans les locaux de 386 lab, la maison actuelle de Aketo que nous rejoignons le rappeur. Depuis 2020 et la sortie de son EP Confiserie, le tireur d’élite du rap français s’est affranchi des regrets du passé et mène une carrière en ne se posant aucune limite. Ses connexions avec la jeune génération et son travail en profondeur sur les nouvelles tendances lui ont permis de donner un nouveau souffle à sa carrière légendaire. Son blason gravé dans la roche, Aketo n’a pour le moins pas délaissé le challenge de la musique pour laisser une trace de son passage encore plus profonde. Retour sur la conception de son nouveau projet intitulé Zone Bleue et sur les moments marquants de sa carrière, vécu dans les rires et les larmes.
Que signifie le titre de ton nouveau projet “Zone Bleue” ?
Sa signification vient d’une discussion avec un pote qui me parlait de voyage. Il m’a fait découvrir les zones bleues, des endroits dans le monde où les gens vieillissent mieux et où le bien-être est très présent. J’ai vraiment aimé cette découverte et j’ai donc regardé la définition sur wikipedia. J’ai vu le mot “longévité” entre autres et ça m’est apparu alors comme une évidence. C’est une belle métaphore de ma carrière.
On peut donc considérer que tu te sens bien actuellement dans ta vie ?
Je suis en méga bien-être. La passion est toujours présente et je suis toujours autant impliqué dans ma musique.
Combien de temps t’a pris l’élaboration du projet et as tu eu des difficultés ?
J’ai enregistré beaucoup de morceaux en continu pendant une période car j’avais la chance d’avoir mon propre studio avec Tunisiano. Je ne me suis pas mis dans la tête de faire un projet ou quoi c’était juste pour le kiff. Est arrivé ensuite un moment où j’ai accumulé beaucoup de morceaux. On s’est donc posé avec 386 et on a réfléchi à comment mettre tout cela sous la forme d’un projet.
Est ce que tu juges ce projet comme quelque chose de plus personnel ?
Par rapport aux deux ep’s précédents qui étaient des défouloirs je pense que oui. C’était l’occasion de rentrer dans quelque chose de plus profond tandis qu’avant je voulais juste revenir avec du kickage pour m’amuser.
Comment as-tu fonctionné avec les producteurs sur ce projet ? Tu as travaillé avec eux les prods en amont? Où as-tu passé des commandes ?
On m’a beaucoup envoyé de productions mais j’ai principalement travaillé directement avec les producteurs de la structure. Je travaille beaucoup avec FGV et Herman. J’ai enregistré trois morceaux directement ici mais j’ai principalement réalisé les titres dans mon propre studio.
Il n’y a aucun boom bap sur ce projet, est-ce c’est quelque chose que tu juges dépassé ou c’est plus simplement un goût artistique ?
Je suis partagé. J’ai l’impression que c’est une case qui range tout ceux qui ne font du rap de nouvelle génération. Je me souviens qu’avant les années 2010, on n’utilisait presque jamais ce terme. Par exemple Mobb Deep est catégorisé comme du Boom Bap aujourd’hui alors qu’on en parlait comme du rap du Queensbridge à l’époque. Je trouve que le terme Boom bap est assez rabaissant en fin de compte, il y a une connotation négative. Pour répondre à ta question, c’est tout simplement que je n’ai pas ressenti l’utilité d’en faire dans mon projet.
Tu déclares dans le titre « Kung-Fu », “J’vais mettre l’autotune sur le refrain, Si t’es pas content écoute du rire aux larmes passe ton chemin”, c’est un nouvel Aketo qu’on découvre avec Zone Bleue donc ?
Je ne ressens pas le fait d’être quelqu’un de nouveau. J’ai toujours évolué dans ma carrière et même pendant la période de Sniper. Après le groupe j’avais sorti Cracheur II Venin où j’avais par exemple expérimenté pas mal de Dirty rap. Je me considère toujours en évolution mais je comprends que certains auditeurs me voient comme “renouvelé”.
Tu as invité So la lune sur le titre “Bougie”, que penses- tu de sa musique ? Pour toi, est-ce la révélation de l’année 2022 ?
Je trouve qu’il a une signature vocale incroyable. La première fois que j’ai écouté ses trucs ça m’a fait le même effet que PNL car il a un univers très identifiable. Il mérite de réussir car il fait quelque chose d’unique.
C’est une collaboration intéressante en sachant que tu es un pilier du rap français et que lui est une des nouvelles révélations.
J’ai beau être un pilier, une collaboration reste une collaboration. Il faut assumer son statut car de nombreux rappeurs sont très forts. Le sport c’est le sport. Ce titre était à l’origine un solo et j’ai fini par lui faire écouter lorsqu’on s’est croisé en studio. On n’était même pas dans l’optique de le sortir à l’origine, on a juste fait le son pour s’amuser.
D’une manière plus générale, tu es très connecté avec la nouvelle génération, est ce que tu penses que c’est une force qui fait encore ton succès aujourd’hui ?
C’est vrai que ça nourrit mon travail mais finalement cela ne fait pas si longtemps que ça que je fais des featurings. Pendant une longue période comprenant l’ep Confiserie j’étais beaucoup plus en autarcie. Je faisais tout tout seul, je m’enregistrais dans mon studio, je ne faisais pas de feats. C’était un peu ma salle du temps. Mais ça m’a permis de tenter d’autre chose, d’assimiler de nouvelles techniques que je n’aurais pas oser faire en studio. C’est quand tu es tout seul que tu peux vraiment explorer ton art.
On ressent vraiment une grande diversification dans ta voix sur ce projet, comment as tu travaillé ces changements de flow ?
Tous ces flows sont venus naturellement. J’ai vraiment pris du plaisir à expérimenter ma musique. C’était ça aussi le but avec ce projet, de m’amuser et de ne pas reproduire tout ce que j’ai fait auparavant. Il n’y a pas d’intérêt à faire un projet pour refaire le même style musical.
Le morceau “Régal” avec Limsa est une superbe collaboration, on sent que vous avez cherché à vraiment aligner vos univers autour de phases sarcastiques. Parle nous de ta relation avec Limsa, vous semblez très proches humainement.
On s’est connus car on a beaucoup d’amis en commun. Au départ c’est vrai que son blase ne m’inspirait pas grand chose (rires), un nom de rebeu avec le code d’un numéro de département ça claque pas vraiment au premier regard. J’ai vu que je m’étais trompé lorsque j’ai écouté. Quand il a sorti Logique pt.2, Georgio me parlait beaucoup de lui au studio. Quelques jours après, lors d’un trajet vers Marseille, j’ai écouté le projet et je me suis pris une bonne tarte. Je lui ai ensuite envoyé un message sur insta pour le féliciter. C’est une amitié récente mais très forte.
Limsa a d’ailleurs deux questions pour toi, d’abord : “que penses-tu de la vie de marginal?”
Mais quel connard c’est une private joke ça normalement (rires). Pour lui répondre, je pense qu’une vie d’artiste est en marge de la société. Tu te lèves le matin pour faire de la musique, tu n’as pas vraiment d’emploi du temps. Après on a beaucoup de chance. J’ai l’impression d’avoir une vie d’adolesscent parfois, au studio c’est la colonie de vacances (rires). On rigole tout le temps, il y a un super esprit de camaraderie.
Question Bonus de Limsa : comment fait tu pour tout baiser ?
J’essaie de lui ressembler (rires). Je bois du café du Honduras le matin aussi. C’est la clé pour tout baiser.
Comment la connexion avec Infinit s’est faite? Est ce que c’est son côté “hardcore” présent sur son projet NSMLM qui t’as parlé?
Petite anecdote. Avant la sortie de ce fameux projet, il avait sorti un titre où il taclait Christian Estrosi, le maire de Nice. Ce dernier l’a empêché à la suite de se produire dans sa ville natale. C’est pour ça qu’il a nommé son projet “Nique sa mère le maire”.
Infinit ça fait super longtemps qu’on se connaît. On a déjà collaboré en 2014 sur son projet Ma Vie est un film puis sur des projets de DJ Weedim. Il m’a été présenté par un pote de Paris, Xan une légende du graffiti. Il m’a fait écouter toutes les têtes du sud comme Veust et Infinit. Je trouve que ce dernier est un miga rimeur et il a une écriture super sarcastique.
Tu as récemment été présent dans le grunt 55 avec Isha, on ressent un engouement fort autour des freestyles aujourd’hui, est-ce un exercice qui manque parfois aux rappeurs ?
Je trouve que la Grünt est la meilleure réponse à tous ceux qui se plaignent qu’il n’y a plus de kickage en 2022. Franchement tu regardes tout les freestyles depuis les années 2010 c’est du très lourd. Là, les gens étaient vachement impressionnés par ce qu’ils n’ont pas l’habitude de voir autant de découpeurs à une tablée. Bien sûr qu’aujourd’hui beaucoup de rappeurs ne savent pas kicker en freestyle mais c’est dans une logique de contexte. En live, ça rap par dessus le morceau et ducoup les gens on beaucoup cette image du live en 2022.
Comment appréhendes-tu ce Grünt qui est comme une sorte d’examen ?
C’est super excitant. Franchement ça fait peur avant de se lancer. Moi je me dis “il n’y a que des salopards à cette table”, fais ce que tu sais faire et fais le bien. Le seul truc que je suis permis de faire c’est de prendre une production à l’ancienne (16 Rimes – La Brigade) et de reprendre le flow de Freko qui lance le morceau avec ma propre interprétation. C’était ma petite cartouche lors du freestyle.
C’est intéressant pour toi j’imagine de te produire devant des générations qui ne te connaissent pas.
Franchement c’est super cool. J’ai eu beaucoup de retour et des jeunes se demandaient d’où je sortais. C’était vraiment une super expérience de participer à ce grand que je considère déjà comme légendaire en sachant que c’était une première partie.
Est ce que cela a provoqué quelque chose chez toi ?
Le seul truc que ça m’a fait, c’est l’envie de retourner directement travailler. De bosser sur mes cahiers et de toujours chercher à m’améliorer. Cette compétition saine te tire vers le haut.
Dans une interview pour l’ABCDR du son en 2013 tu cites : “Mon idéal serait de mener une carrière pépère, sans faire trop de vagues, avec une base de public qui me suit, continuer à faire des projets sans être forcément sous les feux des projecteurs en permanence”. Est-ce le cas aujourd’hui ?
Je suis toujours le même, depuis toujours. Je me suis fait dépassé par les événements évidemment. Sniper a eu un succès considérable donc je n’ai pas pu éternellement me cacher, tu dois forcément t’exposer à un moment donné. C’est cool quand tu laisses parler ton taf, je n’aime pas l’idée de se montrer sans justification derrière. Je n’ai donc pas changé d’avis là-dessus.
Tu te considères comme un travailleur ?
Chacun a sa façon de travailler, par exemple Limsa va beaucoup moins enregistrer que moi, il va beaucoup plus réfléchir en amont mais tout ce qu’il va faire ensuite va être bon directement. Moi j’ai une façon de travailler ludique dès que j’ai fini un morceau j’ai envie d’en faire encore un meilleur après. Je ne me repose jamais sur mes acquis. Ma première récompense c’est d’être fier de mon morceau. Il y a une vraie notion de plaisir dans mon travail, sinon je ne serai pas là.
Quel est ton bilan depuis 2020 et tes deux premiers ep, es-tu satisfait de ton retour ?
Je suis content que tous ces morceaux-là existent. C’est une bonne trace que j’ai laissé mais je ne peux pas être à l’heure du bilan car pour moi c’est comme un nouveau départ dans ma carrière. Je suis en train de construire quelque chose avec ces 3 premiers projets qui sont juste les premières pièces. J’ai envie d’approfondir, d’aller encore plus loin.
Les regrets sont toujours des choses présentes dans ton écriture, quel est celui par rapport à la musique qui t’a le plus touchée ?
Le seul regret que j’ai eu mais que j’ai maintenant digéré c’est le premier album solo que j’ai enregistré qui n’a jamais pu sortir. C’était juste après Cracheur II Venin en 2008 et franchement je m’étais donné à fond. Pour des problèmes de label, l’album n’a jamais pu sortir et ça m’a donné un coup à l’époque. C’était une énorme frustration pour moi car j’en étais très fier. Avec du recul j’en suis néanmoins content, ça devait se passer comme ça et c’est pour ça qu’aujourd’hui ma carrière a pris un nouveau départ.
(Un ingénieur du son entre, nous lui demandons comment c’est d’enregistrer avec Aketo)
“C’est super cool de travailler avec lui. Bon des fois il me ramène des prises de voix pas toujours parfaites qu’il enregistre chez lui (rires), que je corrige ensuite. Mais sinon c’est un grand artiste avec qui travailler.”
(Nous revenons vers Aketo pour une dernière question)
Mezoued records, le label de Tunisiano fonctionne bien, tu n’as jamais eu envie de fonder ton label de ton côté?
Je n’ai pas la même vision du travail que Tunisiano qui lui fait ça très bien. Je ne me vois pas m’improviser producteur et m’occuper d’autres artistes j’ai trop envie de créer encore actuellement. Je préfère me consacrer à ma carrière qui prend un nouvel élan.
Interview réalisé par JuPi et Malo Herve