En nommant sa première mixtape officielle Who I Gotta Kill To Get A Record Deal?, le rappeur de Carson annonçait déjà la couleur. Adepte d’un franc-parler, Bishop Lamont n’a jamais eu sa langue dans sa poche et ses nombreuses apparitions sur l’album In The Mid-Nite Hour de Warren G en sont le meilleur exemple. On y découvre sur ce projet un MC talentueux qui ne se gêne pas pour aborder des sujets politiquement incorrects avec une décontraction saisissante et une assurance à toute épreuve. Une sortie du demi-frère de Dr. Dre paru en 2005 qui n’a jamais vraiment eu la reconnaissance méritée avec donc sept featuring d’un Bishop en grande forme et surtout un lot non négligeable de véritables bangers west coast. Peut-être que la pochette hommage au projet What’s Going On de Marvin Gaye, qui au final nous fait plutôt penser à un vampire, n’a pas aidé pour attirer un grand nombre d’auditeurs (et je ne parle même pas de la cover de la version allemande où on y voit un Warren G en détective privé…).
Quoi qu’il en soit, ce 5ème album du G-Child finit de convaincre Dr. Dre de donner à Bishop Lamont « sa chance ». Après une première rencontre sur le tournage du clip « Dreams » de The Game lors duquel Bishop va lui donner sa démo, le doc de Compton va déclarer quelques semaines plus tard lors d’une interview sur la radio Power 106 qu’il souhaite travailler prochainement avec le MC prometteur. Une grande surprise pour ce dernier, qui n’est pas sans rappeler un procédé identique que Dre utilisera une nouvelle fois en 2010 pour annoncer son intention de collaborer avec un certain Kendrick Lamar. Cependant, il faudra attendre 2006 pour que Bishop Lamont paraphe un contrat officiel avec le label Aftermath qui vient de perdre The Game à cause de son beef problématique avec 50 Cent. Une situation qui va d’ailleurs créer quelques tensions inévitables entre le rappeur de Compton, exfiltré donc sur Geffen Records, et la nouvelle signature de Dre.
Entre 2006 et 2007, le producteur à succès et Bishop Lamont vont se lancer dans l’enregistrement de son premier album dont le titre The Reformation est finalement rapidement trouvé. Une référence religieuse évidente pour un MC dont le pseudo Bishop signifie évêque en anglais et qui va par la suite cultiver ce concept dans les noms et les pochettes de ses mixtapes. Des projets qui vont regorger de titres créés pour son tant attendu album et qui vont finir avec le temps par ressembler à une grande collection de morceaux qui auraient eu fière allure sur la tracklist de son premier essai.
Au fil des années, l’impuissance de Dr. Dre pour lui trouver un single radio pertinent et accrocheur va finir d’enterrer les espoirs de voir sortir un jour sur Aftermath cet album de Bishop… Si The Game avait finalement pu bénéficier de l’engouement planétaire autour de 50 Cent en grimpant dans le wagon G-Unit en pleine gloire, Bishop Lamont se retrouve lui isolé sur un label dont le patron est de plus en plus accaparé avec sa marque de casque audio Beats by Dr. Dre qui commence à décoller et s’imposer en force sur le marché.
De nombreux artistes, la plupart même, signés sur le label de Dr. Dre n’ont jamais pu sortir d’album sur cette structure. Et si certains n’étaient peut-être pas compatibles avec le style recherché par le producteur légendaire, que ce soit en termes de thématiques ou d’univers sonores, on ne peut pas dire que Bishop Lamont en faisait partie. Ses racines west coast, conjuguées à un gangsta rap assumé et authentique, en faisaient un partenaire idéal pour Dre dans la zone de confort qu’il apprécie tant. A ce jour, le rappeur de Carson reste probablement l’artiste qui peut avoir le plus de regrets au sujet de son passage sur Aftermath, avec un album qui aurait pu s’insérer logiquement dans le catalogue du label entre les classics de la côte ouest The Documentary et good kid, m.A.A.d city.
C’est donc partant de ce constat que nous avons essayé de recréer ce qui aurait pu être son album The Reformation. Et si un projet du même nom, sorti par Bishop Lamont en 2016 et sous-titré G.D.N.I.A.F.T pour God Damn Nigga It’s About Fucking Time, se présente comme cet album, il n’a plus grand-chose à voir malheureusement avec le projet initial. Pour l’élaboration de notre tracklist, nous sommes donc allés piocher naturellement dans l’ensemble de ses projets parus lors de son passage sur Aftermath, que ce soit Nigger Noize, Caltroit, Pope Mobile, The Confessional et The Shawshank Redemption. Pour compléter le tout, nous avons également apporté quelques productions essentielles de Dre lâchées sur le net, souvent par Bishop lui-même, et qui nous donnent un réel aperçu de l’alchimie entre les deux artistes.
Une tracklist qui se veut aussi fidèle que possible au schéma d’album mis en place par le label de Dre avec comme exemple dans cette même période les projets The Documentary de The Game, The Big Bang de Busta Rhymes ou encore Curtis de 50. Vous y retrouverez donc des featuring et surtout un casting de producteurs qui a déjà fait ses preuves sur les sorties Aftermath avec DJ Khalil, Scott Storch, Focus, Mark Batson, Dawaun Parker, Che Vicious, Warren G, Jake One et Nottz notamment. Un album que nous avons décidé de dater au premier trimestre 2008 pour nous rappeler que les premiers albums d’Eminem, The Game et Fifty étaient également sortis lors de cette période de l’année. Et enfin, on s’est assuré de ne surtout pas dépasser les 70 minutes avec une tracklist finalement constituée de 17 morceaux.
Ouvrir cet album par le morceau « Don’t Kill Me » fut tout simplement une évidence. La production de Jake One est une véritable bénédiction sonore pour un Bishop Lamont qui déclare “When I’m speakin’, I’m preachin’ that’s why they call me Bishop” et ajoute “Confess the truth in the booth so much I should have been Catholic”. Une entrée en matière tout simplement parfaite pour l’un des beats les plus efficaces du producteur de Seattle avec en plus un refrain vraiment catchy qui reste en tête (“I’m not gonna kill you I’m gonna heal you / It’s the devil got you sayin’ all this wack shit they playin”).
“Réjouissez-vous, le vrai hip-hop est de retour”. Voilà comment Dr. Dre introduit ce titre sur une production qui peut figurer parmi ses meilleurs crus et dans un style aussi habituel que puissant. Le refrain d’Xzibit combiné à ces alléluias bibliques nous offrent un moment d’allégresse entrelacé par des couplets de Bishop Lamont dans lesquels il nous dépeint la triste réalité de l’industrie de la musique. La fin de son premier couplet résume bien le constat fait sur ce morceau: “The labels need new acts you act so what a perfect fill in / Fill in the blanks but never can replace the feeling / Of real music real hustlers that been through it / Real ryders, real rhymers who give they lives to it”.
Sur « The Truth », Bishop Lamont et Stacee Adams échangent sur divers débats de société avec des traitements différents pour des faits pourtant identiques. Encore une fois, le rappeur de Carson vise juste avec ces quelques lignes : “The president got guns and sell drugs like the gangstas and thugs / But all you see on TV is us / The Terminator kid took you for political advancement / Damn I wonder why they still ain’t killed Charles Manson or Richard Ramirez / Ain’t they murderers?”. Quand de son côté Stacee proclame “They try’d to give a nigga 20 years for a gun without a trail / All the while the pastor at church is a pedophile”. Un titre sans concession bien servi par l’univers sonore mis à leur disposition par Scott Storch dont la prod est taillée pour ce genre d’exercice verbal rythmé.
Que dire… Est-ce vraiment nécessaire de préciser à quel point ce beat de DJ Khalil est monstrueux ? Tout être doué d’un système auditif calibré pour le rap ne peut qu’adhérer à ce type de banger de la part du beatmaker du duo Self Scientific. Au milieu des années 2000, Khalil ne touche plus sol et livre pépite sur pépite aux MCs dignes de ce nom. Il n’en fallait pas moins à Bishop Lamont pour se lancer dans un égotrip bouillonnant avec l’aide toujours précieuse et agréable de Denaun Porter (D12) au refrain.
En invitant les deux vétérans Xzibit et Ras Kass, ainsi que les deux newcomers Glasses Malone et Mykestro, le rappeur de Carson s’offre sur cet album une sorte d’interlude où il décide de ne pas poser de couplet étant donné les nombreux dégâts déjà causés au micro de la part de ses guests déchaînés. La prod de Dae One est furieusement west coast avec une constatation simple faite par G. Malone en fin de refrain : “The West is back, the rest is wack”.
En écoutant ce « We In Here », il est dur de ne pas penser immédiatement à 50 Cent tellement le flow et les différentes intonations se rapprochent du style popularisé par le rappeur du Queens. Une influence flagrante tout comme l’ambiance de cette prod de Seige Monstracity qui assimile impeccablement tous les codes du son Aftermath avec un résultat finalement très proche d’un beat qui aurait pu être élaboré par Dr. Dre et son staff de producteurs. Au refrain de ce titre, la chanteuse Chevy Jones qui est l’une des collaboratrices préférées de Bishop quand il s’agit d’obtenir un hook percutant.
Annoncé comme un potentiel single, le morceau « I Dominate » avec Dr. Dre ne sortira finalement jamais officiellement. Un clip avait même été tourné comme le révélait Bishop Lamont à nos confrères de l’abcdrduson lors d’une interview en 2007. Une production assez différente de ce que Dre avait l’habitude de faire à l’époque mais qui n’est pas sans rappeler certains essais sonores qu’il lui arrivait de tenter, avec notamment son disciple Dawaun Parker (comme par exemple sur ce « Fire » de 50 Cent). Passé la surprise d’un type de son dont on n’est pas forcément familier, on ne peut que reconnaître l’efficacité de ce titre que Dre a certainement envisagé à un moment comme son nouveau « The Next Episode ».
Bink rate rarement la cible et avec cette prod il réussit une nouvelle fois un coup de maître qui ne laisse pas insensible un Bishop Lamont toujours à la recherche de ce genre de rythme. Un beat hypnotique qui permet au rappeur de survoler tout un tas de sujets liés plus ou moins à la justice sociale avec quelques passages bien trouvés : “You know how them haters be / Hate to see you and me makin’ any type improvement / In these streets avoid beef cause we deep like the Civil Rights Movement”.
Sur le net on peut trouver plusieurs versions de ce titre produit par Warren G avec au refrain Nate Dogg, bien évidemment on a décidé de retenir celle où Bishop Lamont est en solo et pose deux couplets. Finalement, qu’aurait été cette sortie west coast Aftermath sans un hook du Nate D-O-double G, si ce n’est un rendez-vous manqué et une absence incompréhensible. Fidèle à sa réputation, le crooner de Long Beach enlace ce morceau avec sa voix suave dont il est impossible de se lasser et qui manque cruellement au rap game depuis son décès en 2011. Un titre qui vient conclure une série de trois tracks plutôt atypiques par rapport à la couleur sonore général de cet album.
Revoilà DJ Khalil pour un nouveau titre marquant dans un style bien différent du précédent. En effet, sa signature sonore d’orgue retravaillé laisse place ici à une mélodie en apparence plus douce mais tout aussi entêtante avec ces instruments à vent. Une ritournelle qui guide également le refrain de Vanessa Marquez résumant le sens du titre de ce morceau : “I can be your personal chauffeur / Call me up and I’ll drive right over / And pick you up for your funeral”. Bishop Lamont reste lui aussi dans le même thème avec un premier couplet diabolique de technicité et qui se conclut par ces quelques rimes : “Beef up security, more guns to carry / I’ll still be right there just like in Hail Mary / Preparing your bed with shovels to bury”.
Si le sample vocal du « What People Do For Money » du groupe Divine Sounds et son utilisation par Nottz sont pour beaucoup dans la réussite de ce morceau, on ne peut que souligner une nouvelle fois le travail d’orfèvre du beatmaker de Virginie dans la construction de sa production. Chaque élément est à sa place, joue juste, pour former un tout simplement bluffant. Dans ces conditions parfaites, Bishop Lamont n’a plus qu’à enfiler ses chaussons et venir agrémenter le tout de quelques punchlines marquantes qui épousent la thématique de ce titre , comme “Blood is thicker than water, but not a stack of hundreds” et “In the streets, niggas kill for a dollar bill / Now imagine what they do for a record deal”.
Dans les années 2000, Dr. Dre a toujours aimé placer un beat de Timbaland sur les albums de ses artistes (Truth Hurts, The Game, 50 Cent et Busta Rhymes). Et si aucun morceau de Timbo pour Bishop Lamont a été dévoilé lors des nombreux leaks depuis son départ d’Aftermath, ce dernier a enregistré quelques titres avec Danja, son partenaire principal et co-producteur de l’époque. « So Sad » est finalement très éloigné des singles « Put You On The Game » de The Game et « Ayo Technology » de Fifty par exemple. Beaucoup moins synthétique et sans les fameux drums de Timbaland, on a une production construite quasi uniquement sur des instruments à corde avec une rythmique plutôt classique. Peut-être moins marquant mais au final très efficace, ce morceau peut compter également sur une seconde apparition de Chevy Jones sur un refrain.
Après avoir abandonné l’idée de sortir « I Dominate » comme premier single, le camp Aftermath décide d’envoyer en radio le titre « Grow Up ». Une production de Dr. Dre, réalisée avec Mark Batson, beaucoup plus classique et ressemblante à ses standards de l’époque. Dans ce morceau, Bishop Lamont se positionne en tant que grand frère auprès de jeunes qui pensent déjà tout connaître de la vie : “A teenage life, when you think you know everythin’ / About everythin’ and don’t know a damn thing”. Bien écrit, ce très bon titre convainc ceux qui sont déjà fans mais n’a pas les caractéristiques d’un single de l’époque pour s’imposer véritablement en radio…
Pour ce « Sometimez », on retrouve Scott Storch au piano dans un exercice qu’il raffole tant et qui fonctionne toujours très bien. Une ballade mélancolique dans laquelle Bishop Lamont colle à l’ambiance générale avec l’un de ses morceaux les plus profonds où il aborde entre autres les coûts exorbitants pour se soigner et le manque flagrant de moyens dans le système éducatif. Au refrain de ce morceau, Mike Anthony appuyé par Chevy Jones une nouvelle fois.
Avec ce « American Dreams », Bishop Lamont continue sur sa lancée et s’attaque cette fois-ci au racisme systémique aux USA avec une perception de la communauté noire qui n’a pas évolué autant qu’on aimerait le croire. Un titre produit par Focus qui envoie quelques punchlines bien senties comme “See the world through the eyes of a black man / Don’t think you know cause you grew up being a rap fan” ou encore “Martin Luther gave his life they gave him a holiday”.
Grand fan de J Dilla, c’est vers son digne successeur que Bishop Lamont se tourne en 2007 pour l’enregistrement d’un projet en commun intitulé Caltroit. Une sortie sur laquelle on retrouve ce sublime « Bang That Shit Out », produit et avec Black Milk donc, qu’on a choisi de faire figurer sur notre tracklist. Un morceau en guise d’étincelle sonore qui convient parfaitement à une fin d’album et qui peut compter également sur des participations de Diverse au micro et DJ Rhettmatic aux platines.
Placé en bonus track, on retrouve pour conclure le titre « Gorilla Pimpin’ 5008 » qui est une sorte de suite version Aftermath du morceau « Garilla Pimpin » de Warren G (présent sur son album In The Mid-Nite Hour). La production est cette fois-ci signée par Mark Batson et Che Vicious avec par ordre d’apparition Bishop Lamont, Warren G, Busta Rhymes et Stat Quo. Tout comme le précédent posse cut sur ce projet, là encore les quatre rappeurs font forte impression avec un véritable feu d’artifice lyrical pour refermer définitivement ce projet.
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