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À la rencontre du beatmaker 8shuff

Peux-tu te présenter pour les lecteurs et lectrices qui ne te connaissent pas ? 

Je m’appelle 8shuff, a.k.a. Théo. Je fais de la prod principalement. J’en fais depuis une grosse dizaine d’années environ. Je suis passé par énormément de genres musicaux différents. J’ai commencé à vraiment me professionnaliser quand j’avais 15-16 ans. Pour commencer, j’ai fait de la prod électro. Puis, j’ai réalisé mes propres projets solo avant de me rendre compte que ça me plaisait plus de produire pour les autres. Et quitte à produire pour les autres, j’ai voulu produire pour les plus gros projets. Donc depuis 3-4 ans, je me focus là-dessus. 

Est-ce que joues d’instruments ?

À proprement parler, non. Je n’ai pas forcément de formation solfégique ou instrumentale. Ça fait 2-3 ans que j’apprends le piano et la guitare pour avoir les bases et surtout pour parler le même langage que les musiciens avec qui je vais être en studio. 

Tu dis que tu as commencé par de la musique électronique, qu’on ressent très fortement dans tes prods, mais à quel moment t’es-tu dirigé vers le rap ? 

Je pense que le rap, c’est un peu mon style de chœur. Il y a une grande partie de ma culture musicale qui vient du rap. Quand j’ai commencé au début, j’en ai fait principalement puis j’ai commencé à aller vers l’électro. 

Pour la petite histoire, j’ai fait mon stage de 3e dans un studio d’enregistrement à Grenoble. Et mon maître de stage, était ce qu’on appelle un “ghost producer*” pour des DJ électro. Humainement, ç’a matché entre nous et je me suis retrouvé à faire des ghost avec lui. Et cette personne-là est partie à Londres et a arrêté cette activité-là. Donc, je me suis dit que c’était le moment de se faire un petit peu plus plaisir et d’essayer de créer ma propre musique. 

Finalement, ce qui m’a ramené au rap, je dirais que c’est le cœur, peut-être. Mais aujourd’hui, je me rends compte que j’aime écouter du rap mais ce n’est pas forcément ce que j’aime le plus produire. 

*Un “ghost producer” ou “ghostwriter” est une personne qui crée des morceaux pour d’autres artistes et qui n’est généralement pas créditée pour ses contributions. Contrairement aux accords de production traditionnels, où les coauteurs sont crédités en tant qu’auteurs-compositeurs et reçoivent une part des redevances, les ghostwriters acceptent de ne pas être crédités (en échange d’un paiement unique plus important) et l’artiste publie le morceau comme s’il était le sien. Dans certains cas, les ghostwriters sont en mesure de négocier un pourcentage des redevances, mais cela est rare (source : Mastering The Mix). 

Pourquoi ? 

J’ai découvert d’autres styles musicaux qui ont une autre approche et qui vont beaucoup plus loin dans le processus de production. Je me suis initié un peu dans des projets pop et j’ai vraiment découvert un univers de prod qui m’a plu ! Je me rends compte qu’il y a des styles que je vais aimer écouter, mais pas aimer produire. Et d’autres que je vais aimer produire, mais pas aimer écouter ! Et c’est un peu ce rapport-là entre le rap et la pop, tu vois. Donc, je pense m’épanouir un peu plus sur des styles comme la pop, aujourd’hui. D’autant plus que le marché est différent, ça implique d’autres enjeux. 

Quels sont les producteurs ou les beatmakers qui t’ont marqué ? 

Ceux qui ont été une grande inspiration pour moi – surtout à l’époque où je commençais à faire mes projets solo – ce sont des gars comme Ikaz Boi et High Klassified. Je les trouve très forts parce qu’ils arrivent à développer une patte sonore qui est très singulière. C’était vraiment unique pour l’époque surtout pour la francophonie où on voyait arriver des beatmakers sur le devant de la scène aussi. Sinon je pense aussi à Max Martin qui est un producer que je trouve très inspirant.

Comment s’est réalisée la connexion avec Sokuu ?

On s’est rencontrés au studio ! Il y a un des gars du studio qui nous a dit “toi tu fais du rap, toi tu fais de la prod, vous allez vous foutre dans un studio et on vous perd pour les 5 prochaines heures”. On a commencé avec l’album Sourire un peu mieux, sorti en 2021, sur lequel j’ai 11 prods sur les 14 je crois. Ce qui m’a plu avec Sokuu c’est qu’il était très ouvert aux propositions musicales. Puis, on avait le confort de se permettre de passer du temps sur les morceaux, donc autant en profiter pour essayer de développer quelque chose. Il m’a permis de prendre une  place dans le projet dans lequel je me suis senti pleinement impliqué. Et, ça m’a permis de me reconnaître  à 100% dans la musique que je créais. 

Puis, on a continué à travailler ensemble et à prendre les décisions ensemble pour certains morceaux, certains projets, etc. J’étais même flatté de voir que des fois c’était mes propositions qui pouvaient primer. Ça m’a permis de me rendre compte que je préfère développer et accompagner quelqu’un en profondeur plutôt qu’essayer d’être un petit peu partout mais nulle part en même temps. 

Comment est venue l’idée d’un projet commun ?

L’idée elle est venue de la part de Sokuu et Val [son manager]. On s’était dit ça début 2023 quand on a commencé à cadrer notre année. Mais on avait d’autres impératifs que ce projet commun forcément et c’est en fin d’année qu’on a remis ça sur la table. Tout est parti du morceau “ADN”. J’avais fait le morceau sans intention particulière mais j’ai pensé que ça pouvait correspondre à Sokuu. Quand il a posé sur la prod, ça a donné “ADN” et on en a été très très contents. Ça a été vraiment notre socle qui nous a permis de dresser un petit peu la direction. 

On a démarré le projet début novembre je crois et on l’achève fin décembre. C’était très très court : on a peu dormi ! Mais finalement,  je suis quand même assez content de ce qu’on a pu faire en un laps de temps si réduit 

Est-ce que ça t’a conforté dans l’idée de t’investir dans des projets plutôt que de placer à droite et à gauche ? 

Oui vraiment ! Puis ce projet est le fruit de tout ce qu’on a pu créer pendant plus de 4 ans ensemble. Ça reflète tout ce qu’on a développé humainement et musicalement ensemble. Je pense que ça explique aussi pourquoi ça a été si fluide à produire ! 

Quels sont les premiers retours que vous avez eu sur le projet ? 

J’ai reçu beaucoup de félicitations et c’est cool, mais pour moi, je pense que ce projet fait partie du chemin. Dans le sens où il y en a eu avant et il y en aura d’autres après ! Je suis content et je suis fier mais je vois aussi la suite ! 

Sur les premiers retours, on a été agréablement surpris de voir que le pari avait été remporté ! Dans le sens je voulais faire une musique qui puisse parler à ceux et celles qui connaissent la musique en profondeur mais qui reste également très accessible

Actuellement, est-ce que tu bosses sur d’autres propos ? 

Il y a des artistes avec lesquels j’ai envie de collaborer. Mais j’ai conscience que ce qu’on a fait avec Sokuu, on a réussi à le faire parce qu’on se connaît très bien musicalement et qu’on traîne ensemble depuis beaucoup d’années. Donc, ce n’est pas forcément facile à reproduire avec tout le monde. C’est pour ça que je laisse faire le naturel. Je pense que je ne partirai pas du bon pied si j’ai envie de collaborer avec un artiste et que je me présente à lui par mail ou directement en demandant une collaboration ou ce genre de choses. Pour les projets communs, je me dis que ça se fera si ça doit se faire. 

Où est-ce que tu te vois dans 10 ans ? 

Dans 10 ans, je serai dans un studio à Londres en train de faire des hits qui vont influencer la planète. 

On te le souhaite ! 

C’est l’objectif premier d’essayer de toucher des projets où il y a des budgets quasi illimités pour produire de la musique. Là, tu peux vraiment t’éclater. Tu retrouves peut-être 15 personnes dans les crédits, mais tu sais que les 15 personnes ne sont pas là pour rien ! Et j’ai envie de faire partie de ces 15 personnes sur les crédits de ce genre d’artistes. 

Une fois de plus, parce que je trouve que c’est excitant de toucher à un projet que vous connaissez, que ma daronne va connaître, que les gars dans la rue vont connaître. Il y a quelque chose de très stimulant et de très excitant. Et si on vient rajouter cette dimension financière (dans le côté production, pas au niveau de la rémunération), on peut avoir des gros studios à disposition. Par exemple, si je veux appeler un orchestre, je peux le faire et je ne suis pas limité à un ordinateur. 

Pourquoi Londres ?

C’est une terre qui est folle justement pour la richesse culturelle et historique musicale qu’il y a pu avoir là-bas. Dans le rap, il y a des choses folles qui se font aussi. Et c’est marrant parce que c’est pas du tout la même musique qu’en France. J’ai dû mettre plusieurs mois à habituer mon oreille, à essayer de m’éduquer un petit peu aux sonorités, aux flows, etc. Et c’est tout ce que ça dégage me plaît. Donc Londres, oui. Mais la Corée aussi. Les États-Unis aussi.  D’autres marchés, en fait, qui peuvent toucher l’international parce qu’à part en électro, c’est un petit peu notre gros défaut en France.

Interview réalisée en collaboration avec Romaric Gattin. 

Remerciement à Théo et Paul pour cet échange. 

Manon Virsolvy

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