Chez The BackPackerz on a voulu faire abstraction du tourbillon d’embrouilles personnelles entre membres et managers de Slum Village. Certes, le trio initialement constitué par Baatin, T3 et J Dilla ressemble aujourd’hui plus à une marque qu’à un groupe de rap. Après la mort de Baatin et Jay Dee et l’épisode Elzhi, difficile de saisir ce qui constitue l’identité de Slum Village, formation qui fait pourtant beaucoup parler d’elle. On a écouté Yes!, le nouvel album du groupe emblématique de Détroit, qui s’est révélé bien moins décevant que ce que l’on pouvait attendre.
Non, on n’attendait pas grand chose de ce Yes!. Depuis déjà plus de 10 ans, Slum Village peine à se remettre du départ de Dilla après Fantastic, Vol. 2. L’ajout de Elzhi au line-up n’y fait rien, la sauce ne prend plus. Ce sont ensuite les soucis psychiatriques de Baatin qui viennent saper les fondations de SV. Il se voit exclure du groupe qu’il a fondé peu après que sa schizophrénie soit diagnostiquée. Il meurt en 2009 peu de temps après s’être réconcilié avec T3 et Elzhi. Comme si celà ne suffisait pas, des tensions apparaissent entre le manager RJ Rice et Elzhi, qui finit par quitter Slum Village en 2010 après que ses relations avec l’ensemble du groupe se soient détériorées. La cerise sur le gâteau empoisonné, c’est bien sûr la disparition en 2006 de J Dilla. On ne compte plus les « tribute », les compiles de fonds de tiroirs qui auraient du y rester… Toute une Dilla-mania en somme, comme on en n’avait pas vu depuis la mort de Jimi Hendrix. Cet excès de zèle dans l’hommage rendu à James Yancey a entraîné une réaction inverse chez certains. On voit un nombre grandissant de hip-hop headz avouer leur désintérêt pour la musique de Dilla. Il serait un producteur un peu surestimé. Ce contexte n’est certainement pas idéal pour la sortie d’un nouvel album de SV, produit par Young RJ et Black Milk à partir de beats de Jay Dee . Yes! est donc a priori un projet vraiment casse-gueule.
Au risque de décevoir quelque haterz, je suis obligé d’avouer que du point de vue instrumental, Yes! est bien meilleur que ce que je craignais. Comme vous tous j’ai eu l’occasion d’entendre un paquet de beats posthumes de feu Jay Dee, dont la plupart auraient mérité de rester à l’état de brouillons (Rebirth Of Detroit, Lost Tapes Reels + More…). Les beats utilisés sur l’album rappellent le travail qu’il avait effectué avec A Tribe Called Quest sous le pseudo The Ummah, ou sur son album The Shining. C’est donc le retour d’un Dilla mélodique, de ses arpèges de piano, de sa basse soyeuse et de son drumming minimaliste mais efficace. Yes! offre quelques pépites qui devraient réconcilier les headz avec le style très particulier de Dilla. Je pense notamment à « Tear It Down (Feat. Jon Connor) » (superbe morceau en deux parties) et « Windows (Feat. J Ivy) ». Des instrus comme celles-ci, on en redemande!
L’album s’ouvre sur « Love Is (Feat. Bilal & Illa J) », qui nous confirme le penchant que SV a toujours eu pour le R’N’B. Le refrain infiniment sensuel est taillé pour la voix de Bilal, un artiste qu’on aimerait vraiment entendre plus souvent. Vient ensuit l’énergique « Tear It Down (Feat. Jon Connor) » qui s’apprécie toujours plus à chaque écoute. Jon Connor fait partie de ces rappeurs de l’underground aux dents longues que le magazine XXL avait sélectionné dans sa Freshmen Class de 2014. Un featuring sur un album de SV c’est bien, mais on attend toujours un album. La tension retombe un peu (peut-être même trop) sur les deux titres suivants. Autre clin d’oeil au passé, la participation de Phife Dawg sur le morceau « Push It Along » paraît en demi-teinte. Heureusement « Windows (Feat. J Ivy) », véritable banger aux accents épiques vient réveiller l’auditeur trop confortablement bercé par la new-soul douceâtre d’un « Expressive (Feat. BJ The Chicago Kid & Illa J) ». « Windows », ce sont les fenêtres par lesquelles T3 et J Ivy regardent pourrir le monde. Pas la chanson la plus optimiste…
« Somebody vow to keep their boot on my neck / Keep their boot on my wreck / We gasp, fight for every breath / We take a few steps but there’s a billion steps left / We’re new slaves playing the game with no rest / Just cops whose grandpas just wore white sheets with a cross in their right hand. »
Slum Village parvient à maintenir ce niveau de qualité tout au long de l’album qui ne compte que peu de déchet. Mais cela ne veut pas pour autant dire que tout est excellent. Après « Windows », le rythme ralentit et le groupe revient à ce qu’il sait faire le mieux: un rap mâtiné de R’N’B, pas désagréable mais pas franchement exaltant. Mais après tout c’est peut-être les titres un peu plus pêchus qui n’auraient pas leur place dans l’album. On se souvient que le titre « Raise It Up » faisait le même effet dans Fantastic, Vol. 2. Ce retour aux racines est plutôt une bonne chose au vu de la direction qu’avait prise Slum Village ces dernières années. Sans être impressionnant, l’hommage rendu au travail de Jay Dee et de Baatin a le mérite d’être décent. On voit cependant mal à quoi ressemblera l’avenir de SV. La recette appliquée sur Yes! ne pourra pas être utilisée indéfiniment. Il faudra bien que le groupe fasse le deuil de ses anciens membres et se réinvente. Il est aussi tout à fait possible que cet album soit le dernier, une forme de tour de stade avant de passer à autre chose. Quoi qu’il en soit, Yes! est un album bien plus réussi que les précédents, ce qui vient déjouer les pronostics. Sans doute trop classique pour être mémorable, il devrait néanmoins satisfaire les fans de Dilla en mal de pépites oubliées et de démos mises au placard.