SCH – JVLIVS III : Ad Finem

6 décembre 2024

SCH

JVLIVS III : Ad Finem

Note :

En 2024, SCH a beaucoup fait parler de lui. Son année, sur laquelle nous avions déjà eu l’occasion de revenir à l’occasion du top 10 des albums de rap français sortis en 2024, l’a couronné de succès pour une saga désormais plus que jamais ancrée dans l’histoire du rap français. Si JVLIVS III : Ad Finem a déjà été analysé aux quatre coins de la sphère médiatique française, nous nous devions de donner notre avis sur ce dernier opus qui pourrait bien être son meilleur. Analyse.

Le mois d’octobre pourrait marquer le début d’un automne frais, susceptible de provoquer des tempêtes spectaculaires.”

C’est en ces mots énigmatiques que se concluait le court-métrage sorti pour appuyer le grand retour de l’univers JVLIVS en juillet dernier. Or, SCH n’avait pas menti. Le 30 octobre 2024 sortait “Stigmates” le premier single de JVLIVS III, dont le clip avait marqué les esprits par ces multiples références décryptées par Backpackerz pour l’occasion. Le 2 décembre, deux concertos en tenue de soirée au théâtre du Châtelet à Paris lui firent suite pour dévoiler ce dernier opus en version instrumentale.

Alors lorsque JVLIVS III : Ad Finem fut officiellement disponible entre nos mains le 6 décembre dernier et qu’il fut défendu sur scène à Bercy lors de deux dates exceptionnels les 9 et 10 décembre, il était difficile de ne pas être submergé par le raz-de-marée Julien Schwarzer. Ainsi, JVLIVS III a été annoncé en grande pompe. 

Cela n’a rien d’étonnant lorsque l’on sait que SCH l’a décrit comme le projet le plus important de sa vie dans son interview donnée à Mehdi Maïzi. En effet, une profonde ambition d’aller chercher l’apothéose réside dans ce nouveau volet d’une trilogie importantissime dans sa carrière mais aussi pour la culture. À cet égard, Ad Finem n’est pas juste là pour être un énième bon album de SCH. Ad Finem se veut être un tome grandiose capable de laisser une empreinte indélébile dans la riche histoire du rap français.
Dès lors, SCH aura-t-il réussi ce pari osé de faire sortir JVLIVS par la grande porte du rap français ? 

Une direction musicale innovante dans le classique

Si les détracteurs de la série JVLIVS lui reprochent en partie un manque de cohérence narrative — et ils n’ont pas forcément tort — , les tomes sont intimement liés par la direction musicale. En effet, l’essence de cette dernière repose sur un triptyque entre les pianos d’Augustin Charnet, la guitare dans toutes ses subtilités et le violon. Dès lors, ce trio d’instruments plonge l’auditeur·ice dans une ambiance, des sensations et des sonorités propres à cette saga.

Au vu de cette influence considérable, la direction musicale est à nouveau mise au cœur du projet. Néanmoins, son ambition est nouvelle. En ce sens, cette dernière propulse cette fois-ci SCH et son personnage dans un registre épique où l’agonie est omniprésente sans jamais dénaturer le corps de JVLIVS. Ainsi, ce trio autour duquel gravite le disque est parfaitement mis en exergue sur les segments instrumentaux du projet. En témoignent l’introduction au piano enchanté de “Deux mille”, l’épilogue épique au violon de “La pluie” et enfin la clôture poignante de “Lumière blanche” sur un solo de guitare électrique.

Si les curseurs sont poussés au maximum sur ces trois instruments clés, SCH continue à innover en incorporant de nouveaux éléments au sein de cette direction musicale plutôt stricte. Songeons au saxophone sur “Le taulier” — déjà aperçu sur “Skydweller” — ou encore aux percussions tribales sur “Dans la tête”. Il est donc loin d’être étonnant de retrouver une véritable armée de producteurs (Augustin Charnet, Seezy, 2K, Geo on the track, Vito Bendinelli, Guilherme Alves, Luc Blanchot, Gancho…) sur l’ensemble du projet aux côtés d’un SCH extrêmement exigeant en matière de direction artistique.

Un JVLIVS en hommage à la musique française

Depuis toujours, SCH n’a jamais tu ses influences musicales essentiellement composées de variété française et de rap. Pour autant, jusque-là peu de références évidentes s’étaient immiscées au sein de ses nombreux albums. Il faut croire que cette époque est révolue. En effet, JVLIVS III regorge de clins d’œil et d’hommages en tout genre. Par exemple, “Deux mille” fait évidemment écho à “La Foule” d’Edith Piaf qu’il cite d’ailleurs sur le titre.

“J’ai connu (…) le crissement du tourne-disque sur le vinyle d’Edith Piaf.”

Par ailleurs, Joe Dassin tient une position privilégiée dans son cœur. Régulièrement cité par SCH en interview, “Jour d’octobre” est clairement influencé par “L’Été indien” en ce sens. En somme, JVLIVS III : Ad Finem repose sur une profonde richesse musicale qui demeure cohérente dans sa variété.

Un très grand SCH au rendez-vous

Néanmoins, comme chacun sait, une très grande musicalité ne suffit pas. Or, SCH est assurément l’un des artistes les plus charismatiques au micro, s’il n’est pas le plus charismatique, capable de livrer de grandes performances tant sa palette s’est enrichie au fil des années. Et pour cause, Ad Finem n’y fait pas défaut. En effet, SCH démontre encore son exceptionnelle capacité à alterner segments rappés et envolées chantées avec une grande précision.

Ainsi, JVLIVS III est l’occasion d’observer un MC (“master of ceremony”) en totale maîtrise de son art où la diversité vocale est au rendez-vous. À cet égard, SCH a même ajouté des vibratos à son arc déjà extrêmement bien cordé.

Dès lors, cette maîtrise lui permet de porter son attention sur la qualité de l’interprétation. Afin de s’aligner au caractère épique de ce nouvel opus, SCH apparaît à l’agonie sur “Mirroirs”, nostalgique sur “Deux mille”, désemparé sur “Anamnèse” et enfin enragé sur “Soldi Famiglia”. Pour conclure ce volet musical, JVLIVS III : Ad Finem bénéficie d’un équilibre de très haute volée entre une direction musicale ambitieuse et d’un SCH au sommet de son art au micro. 

JVLIVS plus seul que jamais

Comme pressenti lors de l’analyse de « Stigmates », le disque gravite autour de la solitude et de la trahison. En effet, ces mots sur “Rose noire” symbolisent cette situation. 

“Seul comme si on était 10, 10 comme si on était 100.”

En apparence banale, ce parallélisme numérique fait en réalité référence à une punchline de l’époque Deo Favente présente sur “Comme si” : “Seul comme si on était 100, 10 comme si on était 1000.” Dès lors, déjà seul en 2017, son pouvoir a quant à lui était divisé par dix en l’espace de sept ans. Or, lorsque le pouvoir diminue, le sentiment de solitude a tendance à s’accentuer et ce d’autant plus lorsque la fin est proche. À cet égard, les pochettes des albums témoignent d’une diminution croissante de son pouvoir. Jusqu’à giser aux côtés de sa fourrure emblématique dans une mare de sang ?

Je pleure les amis solidaires d’avant les guerres quand le soleil meurt dans l’horizon.” 

JVLIVS, prêt à sombrer dans la folie

Cette solitude est telle que JVLIVS se retrouve forcé de raconter son histoire. De fait, les précédents tomes de JVLIVS étaient tous liés par une narration poignante de José Luccioni, mort en 2022. En ce sens, superposant la réalité à la fiction, SCH devient seul conteur de son récit qu’il commence par un bel hommage au grand acteur qui l’a accompagné sur les 3 premiers volets.

Il s’est souvenu de ma naissance au soleil couchant, quand Dieu insuffle un souffle de vie dans un corps de chair et que l’oxygène, tel une poussière de verre, traverse les poumons pour la première fois. Il s’en est souvenu jusqu’à l’aube du dernier jour de sa vie.”

Or, cet isolement de la société n’est pas sans conséquences. De même, JVLIVS, esseulé et démuni de pouvoir, semble sombrer dans la folie. De fait, constater l’effondrement de son empire et de l’homme qu’il est lui devient insupportable au point de penser à l’impensable.

Un jour il faudrait que je dise “Au revoir” à l’ennemi juré que je vois dans mon miroir et que je vise dans la tête.”

SCH / JVLIVS : “Je suis l’interprète et l’auteur’’

Depuis le début de l’aventure JVLIVS, il n’est pas toujours aisé de savoir ce qui est propre à JVLIVS. Toutefois, l’ambiguïté est ici poussée à son paroxysme. L’expression “la frontière invisible de ma fiction” sur le morceau “Anamnèse” indique un changement de paradigme par rapport aux volets précédents.

Cela prend tout son sens si l’on revient sur les événements de cet été. À Carnon dans l’Hérault, après un concert, le van du rappeur marseillais s’était trouvé être la cible d’une fusillade dans laquelle un des membres de son équipe a perdu la vie. Dès lors, la thématique d’une mort inévitable sur fond d’assassinat, centrale dans Ad Finem, prend tout son sens. À cet égard, SCH joue sur l’universel du tragique grec en regardant la vie à 360 degrés. En effet, le projet s’ouvre par le thématique de la naissance et se clôture par celle du décès, en passant par les flashbacks des derniers instants sur “Deux mille”. 

“Un homme est un homme, parce qu’il pleure et qu’il meurt. »

Par ailleurs, SCH a évoqué à maintes reprises en interview avoir été victime de trahisons … comme JVLIVS. 

Un pari amplement réussi…

Comme vous l’avez sûrement compris, JVLIVS III : Ad Finem est un grand album de rap français. Exceptionnel musicalement, ce dernier tome vise juste dans le registre de l’épique, pourtant rapidement niais. En ce sens, JVLIVS III est particulièrement dense et se démarque par son unicité. SCH, en feu derrière le micro, trône incontestablement sur le rap francophone, à la fin d’une année 2024 marquée d’un doublé de grands albums (l’analyse du Prequel est disponible ici).

Avec cet album ambitieux qui ne se lance pas en aléatoire, SCH continue à donner de l’amour au hip-hop pendant que les autres têtes d’affiche se contentent de servir des projets d’une quinzaine de titres sur lesquels trois d’entre eux sont destinés à finir en playlist quand le reste demeure médiocre, pour ne pas dire mauvais. Ainsi, SCH tire la culture vers le haut en démontrant qu’on peut réussir à allier succès commercial et succès critique en continuant à innover dans l’esprit hip-hop. En témoigne notamment sa confrontation avec Damso, avec qui il joue le titre de meilleur rappeur francophone depuis des années, sur “02:00”; symbole d’un retour d’un esprit de compétition dans le rap francophone et mondial. 

…mais pas totalement parfait

Bien qu’excellent pour un JVLIVS, le projet n’en demeure pas pour autant parfait. Si tous les curseurs musicaux sont poussés au maximum, il est regrettable que le contenu lyrical ne suive pas le mouvement. Comme dit précédemment, le projet gravite autour des thèmes de la solitude, de la trahison et de la mort. Doit-on se contenter de cela ?

L’histoire de JVLIVS volontairement mystérieuse est un de ses atouts et sûrement son plus grand défaut. Initialement sujet au fantasme lors du premier volume, il est finalement regrettable de ne pas pouvoir percevoir la complexité de la psychologie du personnage JVLIVS sur ce dernier volume. Les thèmes, certes intéressants, restent un peu en surface et SCH n’aborde jamais la question du remords ou encore des dernières pensées, bien que le titre “Lumière blanche” lui soit théoriquement dédié. À cela s’ajoute malheureusement le médiocre “D’hier à aujourd’hui” qui empêche JVLIVS III : Ad Finem d’être un album qualitatif de bout en bout.

JVLIVS, une œuvre dont chaque artiste devrait s’inspirer

Pour conclure, JVLIVS peut effectivement sortir de l’histoire du rap francophone par la grande porte. Quasi parfait, les limites de l’album tiennent à la nature même de la saga. Largement au-dessus des autres têtes du rap francophone, SCH fait partie de ces artistes qu’il faut chérir, tant son ambition est positive pour le reste des acteur·ices. JVLIVS aura commencé en musique, aura perduré dans la symbolique des clips ou la complexité des courts-métrages et aura été défendu sur scène aussi bien dans l’ardeur des fosses que dans l’élégance des costumes. C’est ainsi que se clôt une des grandes pages de la carrière de l’un des plus grands rappeurs de l’histoire. Espérons désormais que cette œuvre serve de figure de proue pour les autres artistes populaires.