Kendrick Lamar – GNX

22 novembre 2024

Kendrick Lamar

GNX

Note :

De bout en bout, 2024 aura été associée au nom de Kendrick Lamar. Si elle avait été ouverte par un affrontement titanesque avec Drake, elle aura donc été clôturée en grande pompe par un album surprise. Sorti le 22 novembre dernier, GNX est déjà le dixième projet d’une grande discographie. Analyse.

Si les historiens aiment s’amuser de certaines dates qui semblent attirer sans-cesse le sensationnel, Kendrick Lamar vient assurément de donner un poids supplémentaire à celle du 22 novembre. Alors que le clash contre Drake, le Pop-out concert ou encore l’annonce de sa performance au Superbowl 2025 lui avaient d’ores et déjà permis, à la manière d’un Melopheelo, “d’inonder les ondes” cette année, KDot a décidé de transformer cet élan en véritable raz-de-marée.  

Et ce, grâce à un simple lien publié par surprise sur Twitter le vendredi 22 novembre 2024 à 18h00, heure française. D’un simple clic, GNX, le premier album de Kendrick Lamar sous son propre label pgLang était disponible. Si la surprise a rapidement laissé place à une euphorie générale, celle-ci n’est pas retombée depuis. En effet, après le psychothérapeutique et trop souvent incompris Mr. Morale and the big Steppers, Kendrick a décidé de livrer un projet beaucoup plus lisible de 12 titres. Dans la lignée du hit de l’année « Not like us », GNX, saupoudré de teintes West Coast, transpire une spontanéité artistique que beaucoup pensaient portée disparue chez Kendrick.

Si l’objet de cet article n’est pas de comparer la sortie de GNX avec les assassinats de Barbe Noire et de JFK, une chose est sûre : Kendrick Lamar, en totale confiance dans ses choix stratégiques et derrière le micro, a créé un évènement majeur le 22 novembre 2024.  

 Have you ever been a joint and you know it ? 

Alors excès de confiance ou analyse lucide d’un homme à qui tout semble réussir depuis 1 an ? Derrière l’enthousiasme et la surexcitation, GNX est-il à la hauteur d’un projet de Kendrick Lamar, pour un artiste démuni du meilleur label des 15 dernières années (TDE) ? 

Une affirmation locale inédite : vers un retour aux sources 

Depuis ses débuts, Kendrick n’a cessé de mentionner Los Angeles et Compton dans ses morceaux. En témoigne notamment son premier grand album Good Kid, M.A.A.D City dont Los Angeles et Compton sont la toile de fond. Néanmoins, cet ancrage local n’avait jusqu’alors rarement dépassé les textes. 

Or, ces critiques répétées par Drake ne sont plus que des reliques du passé. En effet, GNX fait office de projet emblématique mettant à l’honneur toute la tradition de la culture West Coast. En ce sens, la pochette atteste à elle seule d’un véritable retour aux sources. Sur cette dernière, Kendrick est adossé à une Buick GNX blanche datant de 1987, son année de naissance. D’après une interview publiée en 2012 chez Complex, son père l’aurait conduit de la maternité à la maison dans ce même véhicule. Désormais les deux mains sur le volant, Kendrick suggère ainsi par la symbolique ce retour au plus près de ses origines qu’elles soient géographiques ou musicales. 

A cet égard, il multiplie les clins d’œil à l’icône du rap angelinos 2Pac. Dès le premier morceau “wacced out murals”, il fait subtilement référence par l’utilisation de l’anaphore au titre “Against all odds” présent sur The Don Killuminati : The 7 days theory.

 Against all odds, I squabbled up for them dividends. Against all odds, I showed up as a gentleman.

Un Kendrick habité et bien entouré

Depuis de longues années, Kendrick est conscient de la pression qui pèse sur ses épaules en tant qu’héritier proclamé de 2Pac. Il déclarait d’ailleurs en 2012 sur “The Heart pt.3” : “When the whole world see you as ‘Pac reincarnated, that’s enough pressure to live your whole life sedated.”. 12 ans plus tard, fort d’une confiance renouvelée, l’artiste de Compton endosse fièrement ce rôle sans crainte. Par conséquent, il fait deux fois écho à “The Heart pt.3” sur le projet. D’abord en ouvrant le hit “Squabble up” par ces mots : “I am reincarnated” puis en allant jusqu’à rapper comme 2Pac sur l’exceptionnel morceau du même nom “Reincarnated” dont la production sample son titre “Made N****z”.

De plus, la musicalité du projet consacre l’effervescence culturelle de Los Angeles. En effet, les productions de Sounwave, Jack Antonoff et d’un DJ Mustard retrouvé, riches en couleurs et en mélodie, permettent d’alterner entre des bangers, des morceaux introspectifs et des morceaux flirtant avec le R&B. A cet égard, le mélodieux “Dodger Blue” s’érige en véritable ode de la culture de la ville avec les Dodgers (baseball) comme porte-étendard.

Une ode à la West Coast

Toutefois, Kendrick Lamar ne se limite pas à chanter les mérites de sa localité. En effet, arborant sa nouvelle casquette de producteur chez pgLang, il présente 8 nouveaux rappeurs de Los Angeles, n’ayant jamais eu un seul morceau en playlist Spotify, dont les performances sont à minima satisfaisantes quand elles ne sont pas excellentes (AzChike, DODY6, Hitta J3, Lefty Gunplay, Peysoh, Wallie the Sensei, Young Threat, Siete7x).

Enfin, il met en exergue la dimension centrale de la culture hispanophone à Los Angeles, véritable métropole multiculturelle. Dès lors, la chanteuse Deyra Barrera est érigée au rang de fil conducteur du projet grâce à quelques vers mélodieux introduisant les morceaux clés de la mixtape.

En somme, GNX témoigne d’une véritable volonté d’unifier toute la West Coast derrière l’écho retentissant de sa musique. A cet égard, ce disque n’est que la suite logique d’un arc ouvert par la production bondissante de “Not like us” et couronné lors de l’historique Pop-out Concert du 19 juin dernier.

S’il réunissait de toute évidence la majorité des artistes originaires de Los Angeles (Tyler, the Creator, Schoolboy Q, Ab-Soul, Jay Rock, YG, Ty Dolla Sign, Dr. Dre, Steve Lacy, Roddy Rich, DJ Mustard, DJ Hed …), il a surtout été l’occasion de voir des membres de divers gangs de Los Angeles parader sur scène en même temps ; à l’instar des Crips et des Bloods, les deux plus gros gangs de Los Angeles.


Dès lors, derrière les apparences hargneuses de l’introduction du projet, Kendrick perpétue cette volonté de pacifier la terrible culture des gangs de Los Angeles. En effet, le premier titre est volontairement écrit “Wacced out murals” et par opposition à “Whacked out murals” en bon anglais. Cette orthographe si particulière est loin d’être un hasard. De fait, elle fait référence à un code linguistique des Crips consistant à doubler tous les “c” quand les Bloods font de même avec les “b”. Doit-on alors être surpris que “SquaBBle up” succède à “WaCCed out murals” en guise de mise en bouche ?

Ainsi, Kendrick Lamar met en exergue ce qui a fait la richesse du rap californien des 50 dernières années en le synthétisant aussi bien en musique que par l’usage d’une symbolique variée. Les clips en témoignent notamment par une densité phénoménale. Par exemple, les 2mn46 de “Squabble up” sont un petit chef-d’œuvre que l’on a déjà pu partiellement analyser juste ici.

Un Kendrick déchaîné…

En mai 2022, Mr. Morale and the Big Steppers nous avait dévoilé un Kendrick tourmenté, introspectif et particulièrement calme. Deux ans et demi plus tard, cette psychothérapie musicale ne semble plus du tout au goût du jour. En ce sens, à bien des égards, les deux dernières années ont donné toutes les raisons à l’enfant de Compton de cultiver une rage sans précédent.

D’abord les critiques essuyées (injustement) pour un disque surprenant, puis le clash avec Drake et enfin la controverse après sa nomination pour performer au prochain Super Bowl de Nouvelle-Orléans;  une ville qui aurait pu voir le local Lil Wayne être récompensé de sa grande carrière. Ainsi, il ne lui en fallut pas plus pour entrer en cabine animé par une énergie revancharde fidèle à son personnage de “Boogeyman” (littéralement croque-mitaine). On retrouve notamment cette dernière sur les menaçants “Hey now” et “Wacced out murals”.

It used to be fuck that n***a, but now it’s plural. Fuck everybody.

En ce sens, piqué dans son ego, Kendrick discute de ces différents sujets de frustration dès l’introduction. De fait, les instrumentales West Coast, nouvelles dans sa discographie on le rappelle, provoquent un véritable déferlement de nouveaux flows après 15 ans de carrière rendant certaines performances tout à fait remarquables. “Squabble up”, “Reincarnated”, “Peekaboo”, “TV off” sont à noter dans ce registre.

Miss my uncle Lil Maine, he said he would kill me if I didn’t make it. Now, I’m possessed by a spirit and they can’t take it. Used to bump Tha Carter III, I held my Rollie chain proud. Irony, I think my hard work let Lil Wayne down.

Kendrick / Nas : une relation surprenante qui tombe sous le sens

D’abord fan de Lil Wayne par le passé (Tha Carter III étant un de ses albums de chevet), Kendrick souligne subtilement l’ironie de l’histoire dont il est à la fois acteur et victime. En effet, suite à sa nomination, une déferlante de critiques s’est abattue sur le rappeur californien qui, selon ses détracteurs, ne méritait pas cette récompense face à la longévité de Lil Wayne. Aussi bien présente sur les réseaux que dans le milieu artistique, cette déferlante n’a pas laissé indifférent le monde du rap qui s’y est massivement allié. A l’exception d’un artiste : Nas.

Won the Super Bowl and Nas the only one congratulate me.

Or, Kendrick est loin d’avoir la mémoire courte. Au contraire, son introspectif “Man at the garden” sample et reprend la structure lyricale de “One mic” de l’artiste de Queensbridge. Toutefois, Kendrick ne se limite pas à un classique clin d’œil artistique mais utilise cette symbolique pour étayer son propos. En effet, afin de clôturer une bonne fois pour toute le clash avec Drake et J. Cole, Kendrick répond de manière subliminale d’abord à J. Cole dans le 1er couplet puis à Drake dans le second, avant d’interroger l’industrie sur sa position parmi l’histoire. Mais alors pourquoi utiliser Nas pour entériner une victoire qui ne fait plus débat ?

Une violence au service d’un propos assertif …

Quelque temps après la fin du clash, J. Cole avait expliqué en musique son retrait stratégique sur “Port Antonio” dont l’analyse est disponible ici. Or, ce morceau samplait 2 titres. D’abord “A garden of peace” du pianiste Lonnie Liston Smith puis “Dead presidents” de Jay-Z. Lorsque l’on connaît l’historique entre Nas et Jay-Z et que le mot “garden” est répété entre les 2 titres, la référence devient subtile mais intéressante. Dès lors, à travers le titre, Kendrick invite à débattre de la lâcheté de J. Cole, qui sous-entendait s’être retiré du clash, non pas par aveu de faiblesse mais par aversion pour une violence inutile entre “amis” dans l’industrie : “My friends went to war, I walked out with their blood on me.”

Par opposition, Kendrick souligne que la violence, comme tout autre comportement si ce n’est plus, a toujours permis une profusion artistique permettant d’aller de l’avant. Guernica de Picasso, les films de Tarantino ou encore Hamlet de Shakespeare en sont de bons exemples. Il déclare ainsi : “More Blood spillin’, it’s just paint to me.” sur “Man at the garden”. En ce sens, via l’utilisation d’une référence biblique sur “Hey now”, il met un terme définitif au traditionnel débat du top 3 du rap américain.

The Black Noah, I just strangled me a GOAT.

… Couplée à la puissance des références bibliques

En effet, dans l’épisode de l’arche de Noé présent dans la Genèse, Noé est forcé d’étrangler une des trois chèvres souhaitant monter sur l’arche, faute de place. Ainsi, Kendrick joue ici de l’homonyme “goat”, signifiant à la fois “chèvre” et “Greatest Of All Time” pour balayer les derniers espoirs de Drake. A cet égard, l’imitation de 2Pac sur “Reincarnated” et la présence du morceau “The Heart pt.6” font respectivement écho aux deux titres du rappeur canadien présents dans le clash.

D’abord “Taylor made freestyle” où il utilisait une IA mimant la voix de 2Pac puis le morceau “The Heart pt.6” où Drake s’octroyait le droit de poursuivre la série de morceaux de Kendrick. Dès lors, Kendrick relègue les provocations datant du clash au rang de reliques oubliées afin de rétablir l’autorité bafouée de ces œuvres majeures. En somme, “Man at the garden” fait office de pierre angulaire de la mixtape ; un morceau qu’il conclut d’ailleurs par un message dont les destinataires sont on ne peut plus clair.

It’s important, I deserve it all because it’s all mine. Tell me why you think you deserve the Greatest Of All Time.

Un Kendrick enthousiasmant au micro

Ainsi, Mr. Morale and the Big Steppers et GNX mettent en lumière la dualité de la personnalité de Kendrick, qui lui brille par sa polyvalence dans des styles antithétiques. Au-delà de cette hargne, GNX transporte en lui un côté totalement jouissif; presque comme si ce n’était là qu’un projet récréatif. En ce sens, tout au long du projet, Kendrick joue d’enchaînements d’onomatopées improbables pour créer la surprise : “Thunk, thunk, thunk, thunk, thunk, baby rocking it.” Il va même jusqu’à référencer la légende d’internet SupaHotFire et sa parodie devenue désormais iconique sur “Peekaboo”.

Bing-bop-boom-boom-boom-bop-bam. The type of shit I’m on, you wouldn’t understand. The type of skits I’m on, you wouldn’t understand.

Kendrick, descendant de Sisyphe ? 

Dès lors, la combinaison entre amusement et appétit vengeur engendre une incroyable imprévisibilité au micro. Si la forme est tout à fait séduisante, le fond ne s’en retrouve pas pour autant délaissé.
Depuis ses débuts, Kendrick ne s’est jamais caché de vouloir endosser un rôle de défenseur de la culture hip-hop. Au fil des années, cette thématique était devenue presque obsessionnelle au point de laisser entendre, au cours de sa thérapie musicale, vouloir s’affranchir de ce complexe du sauveur. En témoigne le morceau “Savior”, sur le disque précédent, qui était introduit de la sorte : “Kendrick made you think about it, but he is not your savior.”

Pourtant, il n’en est rien. En effet, sur “Mirror”, l’outro de Mr. Morale and the Big Steppers, la glace dépeignait un Kendrick résigné face à l’incapacité de l’industrie à changer pour enrichir la culture. Ainsi, il s’agissait davantage d’une question de capacité de réception de la part de l’auditoire plutôt que de l’artiste en tant que tel.

Or, le clash a rebattu toutes les cartes. Opposant l’enfant de l’industrie (Drake) à l’enfant de la culture (Kendrick), cette parenthèse guerrière a permis de remettre toutes ces questions au centre du débat. Il n’était donc pas surprenant de voir Kendrick se saisir à nouveau de ce sujet sur un morceau sorti le 11 septembre uniquement sur Instagram intitulé “Watch the party die”.

 The radio personality pushin’ propaganda for salary. / Let me know when they turn up as a casualty. / I want agony, assault and battery, I see a new Earth / Filled with beautiful people makin’ humanity work. / Let’s kill the followers that follow up on poppin’ mollies from / The obvious degenerates that’s failing to acknowledge the / Hope that we tryna spread. 

Des hommages variés

Ainsi, Kendrick, tel le Sisyphe de Camus, continue inlassablement d’essayer de porter la culture sur son dos. GNX est loin d’y faire défaut. Tout d’abord, les multiples références à la culture locale vues précédemment témoignent d’une véritable envie de transmettre. De plus, des clins d’oeils bien sentis à Frank Ocean, Rakim (dont “Guess who’s back” est samplé sur “TV off”) ou encore Tony Yayo (notes de piano du classique “Live by the gun” sur “Wacced out murals”) viennent enrichir cette mosaïque culturelle de 12 titres. Aussi bien lancé pourquoi ne pas rendre hommage au défunt Notorious B.I.G sur “TV off” en reprenant mot pour mot son texte sur “Kid in the door” ?

 Ain’t no other kings in this rap thing, they siblings. / Nothing but my children, one shot they disappearing.

Pourtant, ce n’est pas en référençant la légende new-yorkaise que Kendrick traite frontalement le sujet, mais bien plus en y dédiant un morceau complet tout bonnement exceptionnel.

Arrêt sur image : le chef-d’oeuvre “Reincarnated”

Il est parfois difficile de mettre des mots sur des productions artistiques qui semblent hors du temps. Assurément, “Reincarnated” fait partie de cette catégorie. Sur l’instrumentale de “Made n***az” de 2Pac, Kendrick y imite la légende grâce à une interprétation vibrante pendant 4 mn 35 haletantes. Au-delà de cette performance proche de la prouesse, “Reincarnated” regorge d’innombrables secrets.

Au cours de 3 couplets, Kendrick Lamar nous plonge dans un storytelling basé sur le concept de la “past life regression” : une forme d’hypnothérapie visant à faire revivre au patient ses “vies antérieures”. Dès lors, chaque couplet est écrit d’une perspective différente. Le chanteur et guitariste noir de blues John Lee Hooker et la chanteuse noire Billie Holiday servent ainsi de “vies antérieures” à Kendrick avant de revenir à son point de vue dans le troisième couplet.

Au-delà de leur couleur de peau et de leurs carrières remarquables, ces deux artistes partagent le fait de ne pas avoir su se servir de leur talent pour échapper aux maux qui gravitent autour de l’industrie musicale. En effet, le premier est mort avare quand la seconde a succombé à une overdose.

 I got this fire burnin’ in me from within. / Concentrated thoughts on who I used to be, I’m sheddin’ skin. / Everyday, a new version of me, a third of me demented, cemented in pain.

Lucifer mué en Kendrick ou Kendrick mué en Lucifer?

Après ces deux personnifications historiques, le troisième couplet nous fait revenir dans sa vie actuelle. Ou presque. En réalité, Kendrick utilise un dialogue théorique avec Dieu afin de flouter la frontière entre sa personne et celle de Lucifer. En effet, dans la Bible, avant d’être envoyé en Enfer, Lucifer était le juge musical du Paradis. Or, le livre d’Isaïe (chapitre 14) raconte comment Lucifer s’est servi de cette influence pour propager le mal.

You fell out of Heaven ‘cause you was anxious. / Didn’t like authority,  only searched to be heinous. / Isaïah fourteen was the only thing that was prevalent. / My greatest music director was you, Dieu s’adressant à Kendrick / Lucifer.

Œuvrer pour le bien à travers le pouvoir unificateur de la musique

Ainsi, selon la croyance chrétienne, la musique porte en elle une profonde connotation péjorative. Dès lors, cette double lecture permet à Kendrick de faire face à ses propres contradictions. S’il n’a cessé de porter des messages de paix, de vouloir unifier la culture et de chercher officiellement à faire le bien, cela ne l’a pas empêché d’être acteur du clash le plus violent de la dernière décennie et d’oublier la notion de pardon, valeur centrale de la chrétienté. Par conséquent, Dieu fait promettre à Kendrick de retrouver le pouvoir unificateur de la musique en le dissociant de sa négativité propagée par Lucifer dans le cœur de tous les artistes pratiquant cet art.

Dieu : “Centuries you manipulated man with music. / Embodied you as superstars to see how you moving. /You came from a long way from garnishing evilish views”
– Kendrick/Lucifer : “And all I ever wanted from you was love and approval. / I learned a lot, no more putting these people in fear. / The more that word is diminished, the more it’s not real. / The more light that I can capture, the more I can feel. / I’m using words for inspiration as an idea. (…) I promise that I’ll use my gifts to bring understanding. (…) I rewrote the devil’s story just to take our power back, ‘carnated. »

En somme, “Reincarnated” est un des morceaux les mieux écrits de la carrière de K-dot. Navigant entre les perspectives et multipliant les doubles-lectures bibliques, Kendrick y endosse à merveille ce rôle de chef de file de la culture hip-hop.

Un tour d’honneur de remerciements 

Après chaque victoire, les pilotes de sport mécanique ont pour habitude de remercier la foule lors d’un tour d’honneur. Alors quoi de plus logique, après une année 2024 pleine de réussite, que de voir Kendrick saluer les protagonistes qui lui ont permis de devenir celui qu’il est désormais ?

A cet égard, il adresse un hommage des plus émouvants à toute l’écurie TDE qui l’a mis en avant sur le morceau “The Heart pt.6”. Grâce à un storytelling bien ficelé, il raconte l’évolution de la dynamique entre les différents artistes du label. En ce sens, Kendrick loue le leadership pris par Jay Rock, la plume d’Ab-Soul ou encore les paroles motivantes de Schoolboy Q, tout en prenant la responsabilité de l’échec du collectif Black Hippy.

 Ab-Soul in the corner mumblin’ raps (…) His words legendary, wishin’ I could rhyme like him. / Studied his style to define my pen. / That was back when the only goal was to get Jay Rock through the door. (…) Q said “Dot, you won’t be slept on , you the n***a to bet on” (…) I jog my memory, knowin’ Black Hippy didn’t work ‘cause of me / Creatively, I moved on with new concepts and reach.

Par ailleurs, accompagné de l’enivrante SZA, Kendrick dédie l’outro “Gloria” à sa plume personnifiée pour l’occasion. De fait, c’est bien cette maîtrise du papier et du crayon qui a permis à Kendrick de devenir K-Dot. Ainsi, il conte l’évolution de leur relation au fil des années. Il est juste regrettable d’avoir rompu avec cette double lecture lors du dernier vers.

Kendrick et le reste du monde

Pour conclure, GNX est une pièce de choix qui vient ajouter un poids supplémentaire à une des plus grandes discographies de l’histoire du rap américain. 15 ans après Overly Dedicated, Kendrick réussit l’exploit d’y livrer certains de ses meilleurs morceaux en carrière. En ce sens, ce retour sur des sonorités West Coast lui va à ravir, à tel point qu’elles lui permettent de dévoiler un arsenal de flows toujours plus complet. D’autant plus qu’ils sont imprégnés d’un enthousiasme particulièrement contagieux.

Bref, tout au long de l’année, Kendrick aura su créer des événements majeurs, que l’on avait plus l’habitude de voir, grâce à une imprévisibilité stratégique assez phénoménale. Ainsi, 2024 aura été celle d’un raz-de-marée californien portant le nom de Kendrick Lamar, resté lui-même tout au long du processus. La fête du 9 février organisée par ses soins lors de la mi-temps du Superbowl dans le berceau du jazz s’annonce grandiose. 

I never lost who I am for a rap image. It’s motivation, if you wonder how I did it.