Rap, famille et introspection : le voyage artistique au cœur du ‘Présent’

Rap, famille et introspection : le voyage artistique au cœur du ‘Présent’

Sept ans après notre dernière rencontre, Hippocampe Fou revient avec un cinquième album touchant et introspectif, où l’intimité se mêle à la musique. Désormais installé à La Rochelle après des années à New York, il livre dans cet entretien les réflexions qui ont nourri ce projet centré sur la famille, la mémoire, et les épreuves de la vie. Entre transmission, deuil, et création collaborative, il explore ici la quête d’authenticité dans un quotidien réinventé. Pour cet album intitulé ‘Présent’, l’artiste invite ses proches à participer, insufflant à ses textes et mélodies une dimension émotionnelle unique, renforcée par une expérience visuelle immersive. À l’aube de la quarantaine, il offre un regard profond et personnel sur le passage du temps et l’importance de vivre pleinement chaque instant.

En préparant cette interview, je me suis rendu compte que tu en avais déjà fait une avec Backpackerz en 2018.

Oui, c’est vrai, Backpackerz est fidèle ! À chaque album, vous êtes là.

À l’époque, c’était pour ton troisième album, Terminus. Tu vivais à New York à ce moment-là.

Tout à fait.

Aujourd’hui, tu vis à La Rochelle, et on se retrouve pour parler de ton sixième album.

Cinquième en fait. Il y a un EP entre les deux, un projet de cinq titres que je ne considère pas comme un album, c’était trop court pour moi. J’ai sorti cet EP après mon retour de New York. Il était plus actuel, tandis que Terminus était très jazz, assez intemporel. Ensuite, il y a eu L’Odyssée d’Hippo, sur lequel je travaillais depuis des années. C’était encore quelque chose de très intemporel. Cet album est en fait la bande originale d’un spectacle familial, un projet un peu à part, mais je l’intègre à ma discographie. Même si c’est comme une BO de film, il s’écoute mieux après avoir vu le spectacle.

Qu’est-ce qui a marqué ces sept dernières années pour toi ?

J’ai eu un troisième enfant ! Un petit Rochelet, qui n’a jamais pris l’avion et se déplace essentiellement en voiture, contrairement à ses aînés qui ont connu Paris, New York, et qui se sont adaptés à la vie rochelaise. 

Parlons de ton nouveau projet, Présent, un album centré sur la famille. Quel a été le déclic pour toi ?

Le projet est né de deux moments distincts qui se sont rencontrés. Pendant la période post-Covid, je faisais beaucoup d’ateliers d’écriture, car on ne pouvait pas encore faire de concerts. J’ai travaillé avec des profils très variés, des enfants en primaire aux adultes incarcérés. Chaque fois, je faisais une restitution sous forme d’enregistrement, mais ces créations restaient privées. J’étais fier du résultat, mais je ne pouvais pas les partager.

C’est là que j’ai réalisé que j’aimais transmettre ce savoir-faire et cette passion. J’ai eu envie de faire la même chose avec mes proches. Il y a notamment un morceau, « 2002 », que j’ai maquetté en 2022, où j’ai enregistré mes enfants sur le refrain. Quand j’ai écouté leurs voix, j’ai eu la chair de poule. C’était un moment fort, une envie d’immortaliser leur voix, à un instant précis. À ce moment-là, j’ai su que je devais faire cet album sur la famille.

Il y a aussi eu un événement personnel difficile qui marque ce projet.

Oui, on a perdu quelqu’un de très proche, le soir de Noël. C’était un choc pour toute la famille. Après ça, l’album sur la famille est devenu une évidence. Créer quelque chose devenait essentiel. La musique et l’écriture ont toujours été thérapeutiques pour moi. Avec cet album, il y avait quelque chose de plus spontané dans l’écriture, une volonté d’aller à l’essentiel, sans artifices techniques ou jeux de mots trop recherchés. L’idée était de trouver les mots justes pour traverser ces moments-là.

Ce n’est pas un album qui ne parle que de deuil, mais c’en est le socle. Il y a aussi le fait d’avoir 40 ans cette année. C’est ce moment où tu commences à perdre des proches, et tu te dis, les prochains, c’est nous. Ça te pousse à profiter de la vie, à apprécier chaque moment.

Quand tu as partagé cette idée avec tes proches, comment ont-ils réagi ?

Ils ont tout de suite compris la démarche, mais ils étaient un peu inquiets de mal faire. Je les ai accompagnés à chaque étape. Par exemple, avec ma fille, on a travaillé le texte ensemble, trouvé les rimes, les placements. Je voulais que ce soit un travail à quatre mains, comme dans mes ateliers d’écriture. Il y a un aspect rassurant à être guidé par quelqu’un qui sait ce qu’il fait. Je tenais à garantir un rendu de qualité.

L’album est accompagné d’une expérience immersive, avec un storytelling construit autour d’un hack. Comment est née cette idée ?

Au départ, on voulait scénariser un peu l’album, le faire comme un road trip en famille, avec ce sentiment de huis clos qui exacerbe les émotions. Mon ami – Laurent Mizrahi alias Lolo – avec qui je travaille depuis longtemps, a eu l’idée de ce hack, pour donner un côté docu-fiction au projet. On est à une époque où tout le monde surveille la vie des autres, surtout celles des artistes. Jouer avec cette idée de voyeurisme virtuel, tout en gardant le contrôle, m’a semblé intéressant.

Malgré ce côté scénarisé, il y a une authenticité, une réalité dans ce que tu partages. Ça casse un peu l’idéalisation de la vie d’artiste !

Complètement. L’idée était de montrer que je suis une personne normale, que je vis les mêmes choses que tout le monde. Je ne fais pas semblant dans mes textes. Bien sûr, il y a des moments scénarisés pour structurer l’histoire, mais tout reste ancré dans le réel. C’est ce mélange de fiction et de réalité qui m’intéresse.

Pour faire le parallèle avec ta famille et l’authenticité, il y a le morceau « Écho » dont la fragilité rend le morceau émotionnellement très fort. C’est un titre particulier, peux-tu nous en parler ?

Oui, c’est un morceau très personnel. Il contient des extraits d’un discours que j’avais prononcé lors d’obsèques. Il est aussi né de discussions intimes, de moments où l’on a besoin de parler, de confier des choses, parfois en pleine nuit, quand on fait des insomnies. Même si on est dans l’instant présent à ce moment-là, certaines phrases restent gravées dans ma tête. Je me disais que ces mots méritaient d’être transformés en une œuvre d’art universelle. Finalement, on bâtit souvent quelque chose à partir de nos failles, et c’est aussi ce qui permet de toucher les gens, même si ça les fait pleurer. Je crois au pouvoir des larmes, à cette émotion qui nous submerge parfois, et la musique nous aide à la libérer.

L’idée, c’était de créer quelque chose de thérapeutique, autant pour moi en tant qu’interprète que pour ceux qui écoutent. Et ce qui est important, c’est le côté brut. Il n’y a pas de technique vocale poussée, pas d’années d’entraînement derrière. C’est un peu comme les acteurs ou actrices non professionnel·le·s dans certains films, il y a une authenticité qui sort naturellement. 

Oui, tu as parlé de la musique comme d’une forme de thérapie, c’est quelque chose qui t’accompagne au quotidien ?

Complètement. Je me souviens d’un jour où j’étais dans le métro, j’avais appris une nouvelle bouleversante. Sur le moment, c’était juste une information, mais en écoutant de la musique, l’émotion m’a soudainement submergé. C’est comme ça que je fonctionne, que ce soit avec la musique, le cinéma ou même la peinture. L’art nous permet de ressentir des choses très fortes, de lâcher prise, alors que dans d’autres contextes, on serait plus froid. Personnellement, j’ai besoin de cette accompagnement pour m’abandonner à l’émotion pure.

Ce qui m’a frappé, en tant qu’auditrice, c’est cette idée que même avec le temps qui passe, tu continues à te poser des questions. Cela m’a vraiment marqué, parce qu’on a souvent tendance à croire qu’une fois adulte, tout sera plus clair.

J’ai toujours cette impression que la sagesse, c’est justement l’incertitude. Et j’essaye de le transmettre, notamment à ma fille de 13 ans. Je lui dis souvent que les parents ne savent pas tout. C’est quelque chose qu’on réalise en grandissant, en voyant nos parents comme des personnes au même niveau que nous. Moi aussi, je croyais qu’ils savaient tout, qu’ils avaient tout compris, mais en fait, ils sont aussi perdus que nous. On est tous un peu perdus, et on se laisse guider par notre intuition.

Est-ce qu’on peut maintenant parler de l’aspect visuel du projet en abordant la création de la pochette ?

Pour la pochette, au départ, j’avais une idée assez ésotérique, inspirée d’un symbole zen, le Cercle Enzo. Il représente à la fois la finitude, l’existence, et l’éternel recommencement. Mais en discutant avec Félix, qui a finalisé la pochette, il m’a dit que ce n’était pas très généreux comme visuel, surtout pour un album aussi familial. Il m’a suggéré de prendre des photos pendant mes vacances. Alors, on s’est amusés à faire des photos dans la piscine avec ma femme et mes enfants, mais je ne voulais pas qu’on voit trop les visages sur la pochette. Finalement, on a trouvé une photo parfaite, où l’eau joue un rôle central. Et c’est symbolique aussi, parce que cet album, c’est sur l’instant présent, être là pour ses proches, ne pas manquer le moment en restant focalisé sur le passé ou angoissé par le futur.

Concernant les prods, elles sont assez variées. Comment travailles-tu là-dessus ?

J’ai toujours eu ce côté caméléon. Je ne peux pas faire quinze fois la même prod, même avec les mêmes beatmakers. Il faut qu’on explore des rythmes différents. Ça vient de mon admiration pour Busta Rhymes, qui change tout le temps de style. Sur cet album, j’ai expérimenté des cadences nouvelles pour moi, des morceaux un peu plus chantés, des influences électro, drill… J’ai travaillé principalement avec Dimitri Happert qui a fait 80% des compos, enregistrement, mix, mastering. J’aime cette idée de me renouveler, même si je ne cherche pas à faire des prouesses techniques. Il y a aussi un morceau inédit qui n’est pas sur l’album mais dans l’appli, qui s’appelle « Mess Noir ». J’y parle de faire de l’upcycling, donner une nouvelle vie à des éléments anciens, sans chercher à être trop futuriste.

On t’attend sur scène bientôt. Comment envisages-tu la tournée ?

J’ai très hâte de jouer ces morceaux sur scène. Le stress est moindre par rapport à l’excitation de voir comment les morceaux seront reçus, ce qui fonctionne ou non en live. La tournée se construit aussi sur scène, à travers l’interaction avec le public. Cette fois-ci, contrairement à mes précédents shows où je cherchais à monter en intensité du début à la fin, je veux proposer quelque chose de plus sinusoïdal, avec des moments calmes et d’autres plus explosifs. C’est un vrai challenge, mais j’ai envie de défendre cet album comme il doit l’être.

Merci pour cette discussion, c’était très enrichissant. Y a-t-il quelque chose que tu aimerais ajouter ?

Merci à vous, surtout de continuer à me suivre et à poser des questions à chaque sortie de projet. C’est un vrai plaisir, parce que même si j’écris pour moi au départ, c’est toujours enrichissant d’avoir des retours. Les interviews sont un peu comme des séances de thérapie, elles m’aident à prendre conscience de certaines choses que je n’avais pas forcément relevées avant. Alors merci pour ça !


Un grand merci à Sébastien pour le temps qu’il a consacré à répondre à nos questions, et à Julien pour avoir organisé cette interview.