Benjamin Epps : « Je ne crois pas au sprint, mais au marathon »
Après des morceaux marquants comme « Kennedy » en 2005 ou « Dieu Bénisse les enfants », Benjamin Epps a su rassembler et fidéliser bon nombre d’auditeurs dans un rap français toujours plus compétitif. L’occasion pour nous d’échanger à La Place avec le rappeur de Libreville sur ses débuts, sa perception de l’industrie et sa vision du futur.
BACKPACKERZ : L’école new-yorkaise a façonné l’image de ton rap et reste aujourd’hui très présente dans tes morceaux. Est-ce qu’il y a d’autres éléments qui ont su faire tremplin dans le lancement de ta carrière ?
Benjamin Epps : Le rap pour moi c’est d’abord quelque chose de familial. Mes frères aînés sont rappeurs et j’ai vraiment découvert tout ce mouvement à travers eux. Les ressources musicales disponibles à la maison m’ont vraiment bercé et je commence à rapper au collège, à un moment où le rap est en pleine effervescence au Gabon. Je touche un peu à ce qui est battle et je pense que j’ai toujours gardé cet esprit, même dans mon rap actuel. Quelque chose de très frontal, direct.
Il y a un aspect également intéressant dans ta musique, c’est la maîtrise des différents maillons de la chaîne (de la production au mastering). Est-ce que tu penses qu’aujourd’hui, c’est un élément différenciant fort chez un rappeur ?
Je pense que ça dépend avant tout des ambitions de chacun. On n’a pas tous besoin de savoir comment enregistrer un morceau par exemple. Le domaine de la musique est aujourd’hui très ouvert, c’est devenu très facile de se procurer le matériel nécessaire pour composer, produire, arranger etc… Par rapport à il y a 20 ans, où c’était simplement réservé à une petite élite. Aujourd’hui tu peux tout faire de ta chambre. Dans mon propre cas, ayant fait le choix de l’indépendance, la maîtrise de ces aspects était au départ quelque chose de très important ne serait-ce que d’un point de vue financier. Les premiers moments sont toujours difficiles quand tu débutes mais, quand tu observes les progrès et les changements 3/4 ans après, ça n’a pas de prix.
D’un point de vue production (pour faire une aparté beatmaking), comment travailles-tu ?
Je n’ai pas réellement de “méthode” à proprement parler. Je sample beaucoup à partir de ce que j’écoute, que ce soit les drums ou une mélo par exemple. Je reviens parfois dessus plusieurs mois après pour assembler le tout en ré-écoutant. Au niveau des différents styles musicaux, je pioche pas mal dans la Soul et le R&B mais avec une façon de sampler beaucoup plus actuelle puisque je ne passe pas par la méthode “traditionnelle” du sampling vinyle etc… Je télécharge simplement les mp3 que je vais découper sur Logic Pro.
Tu as pu collaborer avec Le Chroniqueur Sale, est-ce que c’est une expérience que tu pourrais réitérer à l’avenir ? Que ce soit avec un beatmaker ou même avec un rappeur pour un projet commun ?
J’y pense, naturellement. D’ailleurs je suis actuellement en tournée sur quelques dates avec The Alchemist et pouvoir faire un peu de son avec lui me plairait. Avec des rappeurs, je suis plutôt personnel quand j’enregistre et je n’ai pas trop tendance à montrer ce que je fais. Même aujourd’hui, j’enregistre des morceaux et personne de mon équipe ne les entend. Je suis vraiment seul dans ma bulle et c’est peut-être pour ça que la collaboration avec un beatmaker me paraît plus simple car il n’y a pas une intervention directe sur mon processus de travail.
On attribue souvent ta musique aux nostalgiques d’une certaine époque. Dans le spectre très large du rap français actuel, est-ce que tu t’attendais à ce que ta musique trouve aussi facilement sa place sur le marché ?
Quand j’ai sorti mon premier projet, je voulais simplement sortir un bon projet de rap. Par rapport à ce qui a pu sortir, si j’étais dans le calcul du “est-ce que les gens vont aimer ?”, avec l’hypermédiatisation du rap mainstream, j’aurais plutôt pensé que non. Je pense pourtant qu’aujourd’hui il y a de la place pour tout le monde.
Dans cette industrie, il n’y a pas un rap mais il y a des raps. Tous ces sous-genres appartiennent à la grande famille du rap. Quand les mecs du rock nous regardent, ils nous voient tous comme des rappeurs, que je sois un trappeur ou un mec qui fait du boom-bap, c’est la même pour eux.
Par rapport au très bon accueil qu’a pu avoir ma musique, je voulais presque que ça prenne plus de temps. Je ne suis pas quelqu’un qui croit au sprint mais plutôt au marathon. J’ai été surpris que ça aille aussi vite mais je pense que ça va redescendre un peu et c’est une bonne chose. Ça va me permettre de me concentrer sur ma musique, travailler et sortir de nouvelles choses.
Est-ce que tu entrevois déjà le chemin que tu souhaites emprunter pour la suite ?
Je pense que j’ai encore plein de choses à faire, plein de terrains à explorer, les probabilités qu’il y ait un prochain EP par exemple avant d’envisager un album sont plus fortes. Au-delà du fait que la musique est un business pour moi, je le fais avant tout par passion même si je suis obligé de calculer un peu où j’ai envie et pas envie d’aller. J’ai envie de respecter un certain intervalle musical pour le moment même si je finirai peut-être par en sortir.
Ça nous amène forcément la question de l’indépendance et donc de la signature. Est-ce que Benjamin Epps pense plutôt distribution à grande échelle ou plutôt raréfaction du produit à la Griselda ?
Je me suis toujours dit que mettre la qualité au-dessus de la quantité était très important. Tous les artistes que je connais et que j’apprécie ont 20 ans de carrière et en moyenne 10 albums et ce n’est pas pour rien. En plus, je pense qu’il faut vraiment se dire que la musique a toujours eu un côté mystique, qu’on tend à perdre mais qu’il faudrait conserver. Quand je vois 50 Cent par exemple, quand je pensais à lui avant et que je le vois maintenant poster des memes sur Instagram, j’ai une image qui se brise. Avec la « sur-présence », on casse quelque chose et c’est un constat qui s’applique aussi aux albums. Il faut construire quelque chose de clean, prendre son temps, faire ce qu’on veut faire et être fier de ce qu’on laisse.
Pour moi les albums les plus aboutis viennent des mecs qui se sont mis en mode “album” avec une vision, un propos de base. Pour ma part, est-ce que j’ai des choses à raconter maintenant, est-ce qu’il serait intéressant pour moi de tout dire maintenant ? Ce sont des questions que je dois me poser avant de commencer à créer.
D’un point de vue écriture, l’égo-trip est peut-être quelque chose qu’on retrouve moins aujourd’hui qu’à une certaine époque dans le rap français ?
Je pense surtout que dès l’instant que la compétition est saine, elle est bonne. Si aujourd’hui je sors un album en même temps que 404Billy ou Guy2Bezbar, je vais avoir envie de faire un meilleur album qu’eux. Tant en termes de concept qu’en termes de sonorités, mais je n’ai pas envie de taper sur eux. Ça reste du sport. Il faut surtout qu’on puisse se dire “l’album d’untel était meilleur” et “est-ce qu’untel pourrait refaire un meilleur projet par la suite ?”
Quand les fans commencent à se tirer dessus ça devient malsain, un peu comme ce qu’on a pu voir avec Kanye et Drake récemment. Il faut que ça nourrisse le truc sans le détruire.
Paul Bobinet est à la réalisation du visuel de « GOOM », un clip qu’on a trouvé très Tarantinesque. Le cinéma a une place importante dans ta musique ?
Le cinéma est complètement entré dans les mœurs aujourd’hui. On en consomme de plus en plus, ne serait-ce qu’avec les plateformes, et on en consomme peut-être autant que la musique. Je ne sais pas si ça se ressent directement dans ma musique mais je suis content si les gens le ressentent. Ca fait aussi partie de mon image .
Tu partages une partie de cette tournée avec la légende Alchemist. C’est, tout d’abord, d’une pertinence folle mais c’est aussi un artiste important pour toi ?
C’est une grosse influence pour moi. J’ai beaucoup de respect pour lui, son humilité et sa simplicité, il est là mais on ne le voit pas. Ma musique s’inspire de New York et c’est un des architectes les plus importants de ce son-là. Il a vraiment façonné les sonorités de New York avec Nas, Mobb Deep et j’espère vraiment pouvoir me poser avec lui, discuter son et pourquoi pas faire un morceau ! Plus largement, j’ai eu quelques contacts furtifs avec Jadakiss, il y a peut-être des choses qui pourront se faire, j’ai appris que ça discutait de moi outre-Atlantique et pour moi ce serait cool d’aller les rencontrer directement là-bas et essayer de faire quelques trucs.
En attendant un nouveau projet, vous pouvez retrouver le nouveau morceau de Benjamin Epps « BMW BOYZ » sur toutes les plateformes.