DJ Mehdi, son parcours en 20 morceaux d’Ideal J à Daft Punk
Dix ans après sa terrible disparition, DJ Mehdi occupe toujours une place à part dans le cœur des fans de rap français. Retour en quelques morceaux sur le parcours atypique d’un des producteurs les plus talentueux de son époque parti beaucoup trop tôt…
Artiste complet, DJ Mehdi a incarné ce beatmaker multi-facettes élevé dans une collection funk et disco précieuse avant d’être nourri au hip-hop, puis façonné par une scène électro française qu’il va même intégrer par la suite. De ses débuts précoces derrière les platines à seulement 13 ans à ses premières productions au milieu des années 1990, l’apprenti est rapidement passé maître avec une carrière de plus de 15 ans qui s’est donc stoppée brutalement le 13 septembre 2011.
Dix ans jour pour jour après ce terrible accident qui lui a coûté la vie, nous vous proposons de découvrir ou redécouvrir une partie de sa discographie en retraçant le plus fidèlement possible son parcours musical, à travers une sélection non-exhaustive de 20 morceaux étalée sur la période 1996-2011.
Ideal J feat. Manu Key – « Je dois faire du cash »
Arrivé comme DJ dans le groupe Ideal J au début des années 1990, DJ Mehdi va rapidement en devenir le producteur principal. L’alchimie avec Kery James est grandiose et les différentes collaborations entre les deux artistes vont rapidement marqués les esprits. Leur premier album officiel paru en 1996, O’Riginal MC’s sur une mission, démontre tout le potentiel d’un beatmaker précoce, fana de samples et perfectionniste qui va convaincre ensuite MC Solaar de le solliciter pour des productions, mais on y reviendra plus tard.
Different Teep – « Maintenant ou jamais »
Grand frère de Mehdi dans le milieu, Manu Key a joué un rôle important dans le début de carrière de ce dernier. Producteur attitré du trio Different Teep (Manu Key, Mista Flow et Lil Jahson) sur leur EP La route est longue, c’est également lui qui produit l’album suivant La rime urbaine avec ce fameux morceau « Maintenant ou jamais » qu’on retrouve en toute fin de tracklist. Un bijou qui sample magnifiquement le « Can’t You See » du groupe Black Ivory.
MC Solaar feat. Bambi Cruz – « Wonderbra »
Lors de la préparation de son 3ème album, MC Solaar décide d’inviter DJ Mehdi à son studio pour écouter ses instrus. Cette connexion aboutie au morceau « Wonderbra » avec le beaucoup trop sous-estimé Bambi Cruz en featuring pour un exercice de style parfaitement maitrisé. Lors de ces sessions pour le projet Paradisiaque, le jeune beatmaker fait également la rencontre de Zdar et Boombass (qui formeront plus tard le duo Cassius), deux collaborateurs fréquents du MC. Les trois producteurs se lient d’amitié et se retrouveront même en tournée en Angleterre, puis aux USA. Mehdi se rapproche pour la première fois de la French Touch et rencontrera même le duo Daft Punk sur une date à NYC.
DJ Mehdi – « Smoking Karla »
Morceau instrumental présent sur Les liens sacrés : le sol, le sang et la rue, l’un des premiers projets de la Mafia K’1 Fry regroupant, entre autres, les inédits de la tape du même nom de Cut Killer. Avec cette instru, DJ Mehdi explore déjà de nouvelles contrées et ce n’est que le début.
Ideal J – « Si je rappe ici »
Retour du côté d’Ideal J avec le morceau qui conclut la tracklist de leur second et dernier album, Le combat continue (1998). On y retrouve un Kery James en mode introspection sur cette production de DJ Mehdi qui reprend le « Summertime / The Ghetto » de Johnny Hammond. Titre puissant, avec un Kery qui fait du Kery : « Sachez que mes fautes sont graves et que mes défauts sont larges / J’arrive en éclaireur même si mon cœur est en naufrage / Je titube, la musique vacille, je navigue / Entre violence et souffrance, ma douleur m’intrigue ».
Rohff – « Apprendre à vivre »
Auteur de deux productions sur le fameux premier album de Rohff, le producteur commence à injecter dans ses beats quelques nouvelles sonorités et filtres tirées de la scène électro. Le morceau « Apprendre à vivre » en est le meilleur exemple et l’un des titres les plus emblématiques de ce projet Le code de l’honneur.
113 – « Ouai gros »
Suite logique du titre précédent, voici maintenant le classique « Ouai Gros » du trio 113 sur lequel DJ Mehdi reprend le mythique « Trans-Europe Express » du groupe de musique électronique allemand Kraftwerk. Une période lors de laquelle DJ Mehdi innove, se réinvente et cherche un nouveau terrain de jeu avec des BPM revus à la hausse. Initialement prévu pour des projets personnels pour son label Espionnage, le trio de Vitry a la bonne idée de lui réclamer ce type de prods qui vont propulser l’album Les princes de la ville au panthéon du rap français. Une véritable masterclass.
Fabe – « Excusez-nous »
Sur ce titre, on retrouve l’un des quatre beats de DJ Mehdi présents sur le dernier album, La rage de dire, de Fabe. Sans surprise, l’association est brillante avec un sample puissant et un texte marquant ! Pouvait-il en être autrement avec ces deux artistes ?
Assassin – « Classik »
Autre association convaincante et marquante, celle de Rockin’ Squat avec DJ Mehdi. Un morceau du groupe Assassin qui porte bien son nom et qui respire bon les fondamentaux du hip-hop.
Intouchable feat Boss One, Rohff & Flev 15 – « A l’ancienne »
Différent des deux titres précédents, ce « A l’ancienne » d’Intouchable se rapproche plus de la mouvance des beats de DJ Mehdi présents sur Les princes de la ville. Un bijou sous-estimé de la discographie du producteur qui affiche une nouvelle fois toute la maitrise de ce dernier avec ces superpositions de samples qui n’ont rien en commun mais qui forment un tout cohérent. La reprise de l’intro du « Medley: Aquarius/Let The Sun Shine In (The Flesh Failures) » de Diana Ross & The Supremes et la rythmique entrainante donnent une énergie folle à ce titre. Mehdi est un génie, faut-il encore le rappeler ?
Karlito – « La rue cause »
Si le premier projet solo de Karlito n’était pas forcément le plus attendu du collectif de la Mafia K’1 Fry, au final sa singularité en a fait l’un des plus appréciés par le public. Produit quasi-intégralement par DJ Mehdi, l’album Contenu sous pression permet au producteur de nous offrir de très grands moments à l’image de ce magnifique « La rue cause » (qui s’appuie sur une boucle du « I Know This Love Can’t Be Wrong » d’Andy Bey).
DJ Mehdi – « Along The Way »
C’est en 2002 qu’un DJ Mehdi déjà en plein questionnement sur ses envies musicales futures sort son premier album, The Story of Epsion. Un projet particulier que Rim’K décrit comme un “pur délire de producteur” et que son auteur qualifie de “pas facile pour le public” avant d’ajouter : “J’aurais probablement bénéficié d’un meilleur accueil des médias rap si j’avais invité tous mes potes rappeurs comme d’autres producteurs, en particulier français, l’ont déjà fait avant. Mais ça ne m’intéressait vraiment pas. Je suis très content d’avoir pu faire ce disque et ce pour plusieurs raisons. D’abord parce que j’ai composé certains de mes morceaux préférés. Aussi et surtout car c’est l’album qui m’a permis de m’émanciper en tant qu’artiste”.
Disiz La Peste feat. Humphrey – « Nébuleuse »
Sur son second album Jeu de société, Disiz La Peste a fait appel à DJ Mehdi pour deux morceaux piliers de ce projet. « Cours d’histoire » qui s’interroge sur la place de la communauté noire dans les livrets scolaires et ce fameux « Nébuleuse » qui traite du thème de l’amour comme l’explique son auteur : “C’est ma vraie histoire d’amour à moi ! Un tas d’instruments différents illustrent bien tous les sentiments variés qui se mêlent dans le fait d’être amoureux. Je ne voulais pas faire un morceau où j’allais me livrer de manière intime sur une musique à l’eau de rose.” Réalisé avec l’aide du violoncelliste Vincent Ségal, ce titre est un véritable chef d’œuvre !
113 feat. Vitry Allstar – « Vitry Nocturne »
Retour à Vitry avec le 113 pour leur posse cut « Vitry Nocturne » qui regroupe plus de 30 rappeurs sur un même titre. Dans une ambiance très freestyle de plus de 6 minutes, la prod de DJ Mehdi se prête parfaitement à cet exercice avec un beat rythmé qui reprend le « Once Upon a Time » de Donna Summer de la meilleur des façons.
Oxmo Puccino – « La Mèche »
Proche du collectif Kourtrajmé avec qui il a sorti en 2005 l’un de ses projets les plus sous-estimé avec Des friandises pour ta bouche, DJ Mehdi est présent également à la production de quelques inédits pour la bande originale du film Sheitan. Sur cette soundtrack, le beatmaker assume totalement ses velléités électro avec toujours un fond de hip-hop. Pour le morceau « La Mèche », le producteur collabore avec Nico Bogue et offre à Oxmo Puccino l’un de ses titres les plus puissant.
Booba – « Couleur ébène »
Avec sa rythmique particulière, le beat de « Couleur ébène » lance à Booba un véritable défi qui laisse un peu perplexe le rappeur du 92 au début, comme le relate DJ Mehdi : “J’étais content de lui soumettre ce son, mais un peu sceptique, et au contraire, il m’a dit : ‘Je ne vois pas trop comment je peux poser dessus, mais on ne sait jamais…’”. Le résultat final, surprenant à la première écoute, se trouve sur la piste 15 de son album Ouest Side. Un morceau qui était initialement prévu pour le nouveau projet de Mehdi comme le raconte ce dernier : “A la base, c’était un morceau qui était prévu pour mon album Lucky Boy, on avait même prévu une sortie en single. La forme instrumentale était très proche de la version de Booba, avec un mix un peu différent. Et puis j’ai reçu un texto de B2O qui disait : ‘Je n’ai jamais fait ça, j’ai essayé…’”.
DJ Mehdi – « Signatune (Thomas Bangalter Edit) »
Managé par Pedro Winter depuis 1999 (également manager des Daft Punk de 1996 à 2008), DJ Mehdi signe sur son label Ed Banger Records pour y sortir son nouvel album Lucky Boy en 2006. L’année suivante, ce projet connait une nouvelle version intitulée Lucky Boy At Night sur laquelle Thomas Bangalter (l’un des deux Daft Punk) décide d’offrir une nouvelle vie à son magnifique « Signatune ». Un edit qui allonge ce morceau de plus de 5 minutes sans rien enlever à l’efficacité de l’original.
En ce qui concerne son album Lucky Boy, c’est Mehdi qui en parle le mieux : “Le swing electro de Lucky Boy vient directement de ma passion pour la musique électronique qui est là depuis les débuts de l’histoire du hip-hop, depuis Bambaata. Certains, qui sont uniquement dans le rap, se posent des questions sur le fait que je m’oriente vers l’electro. Alors, je leur rappelle mes racines, mon parcours et ma musique. D’autres qui sont uniquement dans la techno se posent la question inverse. J’ai besoin d’expliquer tout cela par des mots, pas forcément pour qu’ils comprennent mes morceaux, mais plutôt mes ressentiments.”
Ghostface Killah feat. Mapei – « Charlie Brown (DJ Mehdi Remix) »
Produit initialement par MF DOOM et extrait de son projet More Fish, le morceau « Charlie Brown » de Ghostface Killah est certainement l’un de ses titres les plus remixé de sa carrière. En 2008, DJ Mehdi offre au rappeur du Wu-Tang Clan une toute nouvelle version de ce morceau complètement différente de l’original et tellement enivrante !
DJ Mehdi – « Tunisia Bambaata »
En nommant ce titre « Tunisia Bambaata », DJ Mehdi rend hommage à ses origines tunisiennes mais aussi au pionnier Afrika Bambaata. Présent en face B de son hit « Pocket Piano », ce morceau nous rappelle le chemin parcouru par le producteur depuis ses débuts dans les années 1990 aux côtés de Kery James et Manu Key. Une évolution logique et naturelle pour lui qui lui a permis de parler à un autre style de public.
Carte Blanche – « Lettre à France »
Et pour conclure notre sélection, voici un extrait du projet White Man On the Moon du duo Carte Blanche qu’il a créé avec Riton. Un EP 5 titres paru l’année de la disparition de DJ Mehdi et dont ce morceau « Lettre à France » en est le premier morceau. Une dernière expérience musicale pour le producteur qui lui tenait à cœur : “Quand je faisais de la musique auparavant, je me cantonnais à une forme, élaborée peut-être, mais une forme de hip-hop parce que je ne me sentais pas forcement légitime pour faire autre chose. Le fait d’avoir monté un groupe qui a sa vie propre – il y a des gens qui aiment Carte Blanche sans forcément connaître ce que je fais – ça m’a donné comme qui dirait « carte blanche » pour pouvoir exprimer quelque chose d’autre que ce que j’ai pu faire quand j’étais plus jeune.”