Sorti au mois d’octobre, Edna, est considéré comme le premier album studio du rappeur Headie One. Retour sur un grand cru de l’année 2020.
Avec Edna, le rappeur Headie One A.K.A Irving Adjei livre une prestation solaire. Force est de constater qu’elle souligne une nouvelle orientation vers un style plus éclectique, même si la grime assagie prévaut. Reste à savoir si ce nouveau cap relève d’un coup d’éclat ou d’un possible futur fonds de commerce dont on se réjouirait.
Car l’année 2020 a été particulièrement prolifique pour Headie One. En effet, rappelons qu’Edna est son deuxième projet en moins d’un an. En avril, il révélait la mixtape GANG sur laquelle des artistes comme Jamie xx ou Sampha étaient invités à poser. Déjà, Headie One confirmait sa tendance à vouloir convoler avec d’autres univers. Notamment par le choix des ses collaborations, mais aussi pour son appétit pour des styles musicaux plus surprenants, à l’image de « Smoke » aux accents dubstep, plutôt inédits.
L’album de la rédemption
Qui se cache derrière le prénom Edna ? En réalité, si la figure maternelle n’est pas la colonne vertébrale de l’album, le rappeur a néanmoins centré une partie de son projet autour de sa mère : Edna Adjei. L’album hommage fonctionne comme une révérence et quelques titres s’ajoutent au panthéon du souvenir, sans aucune équivoque possible, à l’image de la première track « Teach Me ». Headie One y évoque des valeurs fortes et pieuses, avec la notion de pardon comme héritage matriarcal « Ask Edna to teach us forgiveness Teach, teach, teach, teach (teach) » et n’hésite pas à mentionner par extension sa soeur ou son père.
S’il existe le vernis, à savoir le rappeur décontracté et grand gaillard à la mine parfois inexpressive, l’envers est plus nuancé. Puisqu’on y découvre l’image assumée d’un bad boy reconnaissant et vouant un culte à la louve nourricière « They took away the only thing that belonged me (teach me) » qui n’auraient pas à blêmir d’exprimer ses sentiments.
Du racisme systémique
D’autres thématiques fortes sont abordées en filigrane. C’est le cas sur « Breathing » où Headie One évoque son passage en milieu carcéral et ses amis toujours au mitard « Boogie was the first one his age to go grip it (One), Sanje been in jail for three years, ain’t had a visit (One) ». Un titre qui n’est pas sans faire écho au tristement célèbre « I can’t breathe » du mouvement Black Lives Matter.
Il évoque plus explicitement le sujet du racisme, notamment sur « Bumpy Ride », où il lance « Black lives matter, but the hood it’s wap meets power » ou encore sur « Breathing » « Them sentences for rapists and them dealers should be different (Turn) I guess that depends on what the colour of your skin is (Real talk) » critiquant un système judiciaire gangréné par le racisme.
Enfin, à mesure qu’il s’attache à effacer son passé trouble « I’m tryna right my wrongs (One) » il adopte une posture plus lissée. Car il est certain qu’aujourd’hui, il a troqué son ancienne vie contre un certain standard. « Lil’ bro done a drill while I was in Dubai eatin’ seafood » comme il le déclare sur « Hear No Evil ».
Des influences plus marquées
Sur Edna, Headie One semble avoir pris un grand plaisir à tester des sonorités multiples, sortant de son pré carré, 100% drill. Aussi, la cartographie des influences s’étend. De la trap, au R&B ou encore en passant par l’afrowsing.
La zone de confort est mise en danger sciemment. De fait, Headie One joue des palettes d’influences avec talent et dextérité, comme sur « Ain’t It Different » en featuring avec AJ Tracey et Stormzy. Ici, il sample un titre qui n’est ni plus ni moins que l’oeuvre des Red Hot Chilli Peppers, à savoir le titre « Pretty Little Ditty ». Encore une preuve sans appel de l’éclectisme de ses inspirations.
Sur « Breathing » produit par Lasse Qvist et Benjamin Lasnier, Headie One sample l’incontournable « Dream Girl » de l’artiste Ir-Sais que les amoureux de Kizomba reconnaîtront. Par ailleurs, il puise à plein dans le registre dancehall et afroswing avec l’excellent « Princess Cuts » en featuring avec le duo Young T & Bugsey où les échos de voix, pourraient nous rappeler le célèbre « That Girl » de Pharell. Condensé de bonnes ondes, le clip de « Princess Cuts » est par ailleurs une réussite.
Enfin, on s’arrêtera également sur les collaborations avec des artistes féminines. Car, c’est assez rare pour avoir le mérite de le souligner dans le rap UK. Headie One a collaboré avec Mahalia sur « You / Me », l’artiste nigériane Kaash Paige sur « Cold » ou encore Ivorian Doll sur « F U Pay Me ». Des collaborations qui donnent une saveur toute différente à ce projet.
Le gotha rap sur un même album
L’art de s’entourer est une qualité qui n’a pas échappée à Headie One. Pour cause, on retrouve le gratin des rappeurs déjà en place. A commencer par Drake, qui n’a jamais caché son admiration pour Headie One, en ayant déclaré à plusieurs reprises qu’Irving Adjei était sans doute l’un des meilleurs artistes drill au monde. Et comme pour témoigner de sa reconnaissance, le Canadien a posé sur le son « Only You Freestyle » aux accents totalement drill.
Future est aussi l’autre tête d’affiche de ce projet sur le titre « Hear No Evil ». S’ensuit des collaborations majoritairement UK, avec des talents incontournables cette année. Du grand manitou Skepta, en passant par M Huncho et Young Adz sur « 21 Gun Salute » ou Aitch sur l’excellent « Parlez-Vous Anglais » dont le clip célèbre l’élégance et le raffinement des britanniques. Pour chacun d’eux, l’année 2020 a été une réussite, alors pourquoi se priver des meilleurs ?
En conclusion, Edna est un album surprenant et totalement rafraîchissant. Pour la simple et bonne raison qu’Headie One mesure avec brio le ratio risques / bénéfices et prend le pari. S’il s’aventure sur des terrains peu explorés jusqu’à présent, tant dans les références que dans les styles, il le fait avec habileté et une pleine maîtrise déroutante. On tient donc la preuve qu’il sait donc se renouveler avec brio et c’est important pour la longévité !