Trois ans séparent Grand Cru de Cercle Vertueux. Trois années durant lesquelles Deen aura fondé un nouveau label, Saboteur Records, avec son acolyte de toujours, Eff Gee. Trois années durant lesquelles le rappeur a questionné ses acquis et sa direction artistique, pour nous livrer un projet dense et réussi.
Une identité forte
A une ère où, grâce aux streams, les artistes n’ont plus besoin de se conformer aux formats traditionnels (single, rotations radio, etc) pour vivre de leur musique, cela leur permet de livrer leurs œuvres telles qu’ils les ont pensées. Cercle Vertueux fait partie de celles-là.
Dans cet album, Deen s’est affranchi des tentatives de single, et a conçu un projet cohérent, bien construit, avec une identité musicale propre, et une interprétation renouvelée (il joue sur des nouveaux timbres de voix, à différentes intensités).
L’identité de Deen lui est propre, tant par le caractère personnel de ses interrogations, que par une ambivalence entre profondeur et thèmes légers, qui le caractérise depuis son 1er EP. Il navigue à vue dans le tiraillement entre la spiritualité et un mode de vie épicurien (« le dîn fait ressortir mon meilleur, le rap et les joints font ressortir le pire »), ou encore entres les bien matériels, la fumette, les aventures d’un soir, et un mode de vie sain (« j’me suis perdu dans le teu de Dam’, le matériel et les go vulgaires »).
Deen a bien conscience de la complexité de notre monde, mais s’en détourne volontairement, ayant conscience de ne pas en maîtriser tous les rouages ( « j’voulais juste financer mon rap, moi l’histoire j’y pige trop rien »).
Cette capacité à jongler entre les phases légères et celles qui nous interpellent, avec justesse, alliée à des choix très personnels dans les productions, et à une interprétation renouvelée, font de Deen un artiste avec une identité marquée.
Un album dense
Malgré son exigence en terme de rimes, de schémas et de placements, Deen évite brillamment l’écueil habituel des rappeurs dits « techniques » : le remplissage.
Ici, on ne sent aucune rime forcée, aucune phrase superflue. Chaque ligne complète la précédente et annonce la prochaine. Chaque phase, chaque mesure, est pertinente et participe à former la cohérence de l’album.
Cercle Vertueux est donc dense et riche, tant en terme d’enchaînement de phases de qualité, qu’en terme de richesse des thèmes abordés. Deen nous parle pêle-mêle du parcours de vie qui l’a mené au rap (et à Paris) dans « Savoir-Faire », de son indépendance dans la musique et de ce que cela implique (dans « Cercle Vertueux » notamment ), et nous fait part de ses avis et ses doutes sur l’époque que nous vivons (« On est ce qu’on mange et tout ce qu’on mange est modifié » Grand-Père).
Cet album n’est pas celui d’un « kickeur », bien que cette image ait toujours collé aux membres de L’Entourage. Deen est un artiste qui a pris du recul sur sa situation, à la fois mature et réaliste, et qui nous dit avec plein de lucidité que
t’as rien à regretter si t’as fait ton possible, mais parfois c’est pas suffisant
Jeu d’échecs.
Cet outro (particulièrement réussi) aborde le sujet de la réussite avec un angle diamétralement opposé à celui que l’on a l’habitude d’entendre chez les rappeurs, là où où les succès fulgurants ne laissent que peu de place aux réussites plus lentement bâties.
Pour son 2ème album solo, Deen nous livre ainsi un album accompli, bien produit et bien pensé. Il aura su, durant ces 3 ans, gommer les défauts de son rap pour n’en garder que les qualités, tout en trouvant une ligne artistique qui lui est propre. Il a récemment dit vouloir désormais s’essayer à des formats plus courts; nous y prêterons une oreille attentive!
En lui souhaitant de poursuivre son évolution sur cette voie.
Cette chronique est une contribution libre de Rémy Bagnères que nous avons choisi de publier. Si vous aussi vous voulez tenter d’être publié sur BACKPACKERZ, n’hésitez pas à nous envoyer vos articles via notre page de contact.
