Aminé, le rappeur originaire de Portland délivre un troisième album mature et ambitieux, lui permettant d’asseoir sa place parmi les meilleurs MCs du moment.
Le deuxième opus d’Adam Aminé Daniel s’intitule Limbo. Un titre qui se révèle évocateur de la difficile position du rappeur âgé de 26 ans. Après un premier LP remarqué et un single viral, « Caroline » qui se place 11ème au Billboard à sa sortie, Aminé se retrouve propulsé sur le devant de la scène. Il fait partie de la prestigieuse cuvée des XXL Freshman de 2017. Sa mixtape qui suit, ONEPOINTFIVE, s’avèrera moins bien reçue par la critique. Et voilà que se présente le moment difficile de l’album sophomore, celui qui permet de différencier les MC’s qui s’inscrivent dans la durée, des « one hit wonder ». Sorti le 7 août 2020 après quelques vidéos promotionnelles, Limbo tient définitivement ses promesses.
Connu pour son rap un peu fanfaron, faisant appel à de nombreuses références de la culture rap et mainstream, Aminé pouvait faire craindre un essoufflement artistique. Il n’en est rien. Au travers d’un hommage vibrant à Kobe Bryant, Aminé, par l’intermédiaire de son ami et comédien Jak Knight, nous rassure : « It weirdly, like, fast forwarded my maturity ». La disparition du joueur légendaire semble avoir été un électrochoc pour Aminé, une perte de son innocence (« Like, I felt like a piece of my childhood go with that nigga »). L’évènement a même poussé le rappeur à se tatouer le visage de Kobe Bryant le jour même de sa disparition.
Bien qu’il soit attentif à garder le contrôle sur son image (il gère lui-même sa communication sur les réseaux sociaux), Aminé a su s’entourer d’une équipe certes restreinte, mais loyale depuis ses débuts. Côté production, son fidèle acolyte, Pasqué, délivre des compositions trap décalées et mélodieuses, qui apporte beaucoup de fraîcheur à l’album. Le travail du producteur se bonifie avec le temps aux côtés d’Aminé. Le titre « Pressure In My Palms » est un bel exemple de l’alchimie des deux artistes. Débutant par une ligne de basse hypnotique et entêtante, qui permet à Aminé et à ses deux invités, slowthai et Vince Staples, d’exceller en y multipliant les références et les frasques humoristiques, Pasqué opère une transition audacieuse vers des sonorités plus lumineuses et colorées. Les productions sont complexes, prennent des tournures inattendues et Aminé débite un flow calibré qui s’adapte à merveille à la richesse des mélodies.
Les pépites délivrées par T-Minus (producteur fétiche de Drake) et Yung Lan, entre autres, viennent donner une belle cohérence à l’album. Et permettent à Aminé d’exprimer tout son potentiel. Les refrains sont catchy, le flow d’Aminé surfe sur les instrus avec aisance, preuve de sa versatilité. Fidèle à son humour potache, Aminé réussit en plus à nous sensibiliser à son introspection et à ses tergiversations propres. Citant à plusieurs reprises ses origines éthiopiennes, il parvient à faire émerger une réflexion identitaire poignante sur le morceau « Roots » (« These roots made me, I bring my flowers to the world »). JID l’accompagne et appuie son propos, exhortant la jeunesse afro-américaine à se servir de leurs racines, de leurs identités pour s’extirper de la masse.
Get your ass up out that grass and stretch your limbs
Photosynthesis, I see the future picture, take a glimpse
Aminé nous prend par la main pour faire un tour d’horizon de ses questions existentielles : il nous parle de paternité à plusieurs reprises, comme sur l’excellent « Fetus », où il illustre à merveille l’ambiguïté entre l’envie d’être père et la crainte d’élever un enfant dans un contexte sociétal violent et néfaste ( I’m protective ’cause this world has got a evil will / They givin’ guns with every muthafuckin’ Happy Meal).
Parker Corey, producteur prodige du groupe Injury Reserve, lâche une composition touchante pendant que ses acolytes Richie with A T et le défunt Stepa J. Groggs donne la réplique à Aminé. Sur « Becky » comme sur « Burden », Aminé aborde également le racisme ambiant d’une nation au bord de l’implosion.
When your skin darker, shit gets harder
This a black album like Shawn Carter
Il rend un hommage à son quartier de Portland où il a grandi sur « Woodlawn ». Dans une récente interview donnée à Genius, il déplore la gentrification de ce quartier visant à expulser les populations noires et pauvres en périphérie de la ville :
A lot of my friends who lived there with me growin’ up don’t really live ther there anymore
En mêlant avec agilité légèreté, vannes décapantes, finesse et introspection, Aminé avance avec assurance sur le chemin d’une carrière qui s’annonce riche. Limbo est un projet empreint de subjectivité, porté par une production de haut vol (« Beats so cold they made Amine wanna open up ») permettant à l’auditeur de pénétrer au plus près de l’intimité de l’artiste. Pour son plus grand plaisir.