L’album ‘Tha Last Meal’ de Snoop Dogg fête ses 20 ans
20 ans après sa sortie, retour sur ce 5ème album de Snoop Dogg qui aura marqué le début d’une certaine indépendance artistique pour le rappeur de Long Beach et surtout un nouveau projet référence après plusieurs désillusions.
Si les débuts de Snoop Dogg ont été tonitruants avec Doggystyle en 1993, la suite fût beaucoup plus compliquée… Son album suivant Tha Doggfather ne connait pas, lui, le même succès que son prédécesseur. Les années galères commencent alors pour le dogg qui prend en 1998 la décision de quitter Death Row dans des conditions rocambolesques, deux ans après le départ de Dr. Dre et le décès de Tupac.
En prison, Suge Knight assiste impuissant à cette fuite dans le sud des États-Unis où Snoop, craignant pour sa vie, trouve refuge sur le label No Limit Records de Master P. Un mariage surprenant pour beaucoup d’observateurs qui accouche sur un premier projet mitigé, Da Game Is to Be Sold, Not to Be Told, qui divise les fans mais rencontre toutefois un véritable succès commercial.
Sur sa sortie suivante No Limit Top Dogg, Snoop Dogg essaye ensuite de trouver un compromis entre le type de son revendiqué par son nouveau label et ses racines Californiennes. Un nouvel opus qui rassure certains, sans convaincre totalement, avec des retrouvailles tant attendues avec Dr. Dre, mais le meilleur reste encore à venir pour les deux artistes… Au moment de passer dans le nouveau millénaire, le bilan est donc plutôt moyen, voire chaotique, pour ce début de carrière de Snoop qui cherche toujours désespérément un digne successeur à son premier album référence.
Doggystyle Records, la voie de la liberté
Arrivé bientôt en fin de contrat chez No Limit, le rappeur de Long Beach réussit à convaincre Master P de lui laisser une liberté artistique quasi-totale sur ce qui sera son dernier album sur ce label. En parallèle, Snoop lance sa propre structure musicale avec Dogghouse Records qui sera vite renommée ensuite Doggystyle Records. C’est donc avec les logos des deux labels que paraît Tha Last Meal, un projet pivot dans sa discographie et synonyme pour beaucoup de renaissance artistique.
Avant d’aborder le côté musical de ce projet sorti le 19 décembre 2000, arrêtons-nous un instant sur cette pochette réalisée par Darryl « Joe Cool » Daniel. Auteur déjà de l’iconique et polémique cover de Doggystyle, le cousin de Snoop est une nouvelle fois sollicité pour cet artwork, ainsi que la mini-BD qui accompagne le livret de cet album. Des illustrations qui mettent en scène le rappeur dans le couloir de la mort fasse à un choix crucial, celui de désigner son mode d’exécution. Trois solutions lui sont présentées : l’injection mortelle de chronic, la chambre à gaz(z) et la chaise électrique (dont la représentation est une référence directe au logo de son ex-label Death Row). Sans grande surprise, c’est donc la solution à base de chronic qui est choisie, signe d’un retour aux sources annoncé pour cet album.
The Next Episode
En intitulant ce projet Tha Last Meal, Snoop veut faire comprendre au monde entier qu’il souhaite dorénavant être aux commandes et ne plus dépendre de ce qu’il appelle « these redneck label executives » en visant directement Priority Records (distributeur du label No Limit). Une volonté comprise par Master P qui va choisir de lui laisser carte blanche dans la réalisation de cet album. Suite au succès planétaire du 2001 de Dr. Dre et ses différentes collaborations gagnantes avec le Doc, le rappeur de LBC décide de jouer la continuité en impliquant totalement son mentor dans la conception de ce projet.
Si officiellement Master P reste le producteur exécutif de ce nouvel opus dans les crédits, la patte de Dre est flagrante et ne se résume pas à seulement quelques productions. La légende de Compton mixe la moitié des titres et diffuse avec Snoop un parfum de « chronic » sur l’ensemble de l’album, dans la lignée de leur tournée commune estivale Up In Smoke Tour avec Ice Cube et Eminem. Les deux amis retrouvés, une nouvelle page de leur histoire commune peut s’ouvrir.
L’univers général de ce projet est bien évidemment très typé West Coast et même le premier single officiel « Snoop Dogg (What’s My Name Pt. 2) » produit par Timbaland s’accroche à ce crédo. Pour l’occasion, le beatmaker de Virginie, qui aux côtés de Missy Elliott et Aaliyah est au top de sa popularité, offre à Snoop un morceau accrocheur qui remplit bien son rôle. Derrière les mastodontes Dre et Timbo, on retrouve dans le casting de producteurs ce qui fera également le succès de Tha Last Meal avec Scott Storch, Jelly Roll, Battlecat, Meech Wells, Soopafly et Carlos Stephens. Des beats sélectionnés habillements qui tirent quasiment tous dans le même sens pour mettre en valeur les différents intervenants de cette œuvre.
Snoop, Kokane et le reste de la meute
Un dogg n’est jamais aussi à l’aise qu’au sein de sa meute. Pour ce disque, Snoop décide donc de s’entourer d’un noyau dur de proches dont la colonne vertébrale est incarnée par quatre crooners West Coast qui apportent un véritable cachet à cet album. En fil rouge, un Kokane au sommet de son art présent sur la moitié des morceaux et véritable acteur essentiel du succès de ce LP. Auteur d’un sans-faute, sa relation artistique avec Snoop Dogg est une évidence comme sur ces collaborations « Hennesey N Buddah », « Stacey Adams », « Brake Fluid (Biiittch Pump Yo Brakes) » ou encore « Y’all Gone Miss Me ».
Le chanteur n’est pas tout seul à assurer les refrains et autres bridges marquants, il est secondé avec talent par les fidèles Nate Dogg, Butch Cassidy et Suga Free. Autant de valeurs sûres au micro pour une continuité parfaite de cette vibe West Coast si particulière. Les autres intervenants sont regroupés principalement sur deux titres phares. Tout d’abord, « Set It Off » avec Ice Cube, Kurupt, The Lady of Rage, MC Ren et Nate Dogg qui respire l’ère N.W.A. et Death Row. Et ensuite, le fameux « Lay Low » en compagnie de Butch Cassidy, Tha Eastsidaz, Master P et Nate Dogg. Produit respectivement par Timbaland et le duo gagnant Dr. Dre et Mike Elizondo, c’est ce dernier morceau qui est sélectionné comme nouveau single. Un choix pertinent étant donné l’impact énorme de cette prod du D.R.E. qui installe avec son équipe proche de nouveaux standards dans l’industrie.
Les autres invités qui n’ont pas encore été cités se nomment Bad Azz, Soopafly et Eve. Une évidence pour les deux premiers cités qui se distinguent sur les singles clipés « Wrong Idea » et « Loosen’ Control », tandis que la first lady du collectif Ruff Ryders fait office de bonne surprise sur le duet amoureux « Ready 2 Ryde » concocté par Scott Storch.
Et pour finir cette revue d’effectif, un petit mot également sur le morceau « Back Up Off Me » sur lequel on retrouve une seconde fois Master P, ainsi que Mr. Magic. Un titre qui tranche avec le reste de l’album car totalement dans l’esprit No Limit Soldiers (produit par Carlos Stephens aka C-Los). Une sorte d’au revoir pour Snoop à son ancien label avec en fin de titre un P qui arbore un accent du sud très prononcé, voire cliché, pour remercier son bientôt ex-artiste : « You been good to me. Now it’s time for me to be good to you. I’m bout to give you your own blocks wodie ».
It’s motherfuckin’ Snoop Dogg
Présentation faite de la tracklist, attaquons-nous maintenant plus particulièrement au contenu de l’album et notamment à la performance de son auteur. Revanchard comme jamais et apercevant enfin le bout du tunnel d’une période compliquée, Snoop Dogg parait totalement libéré dans un univers sonore qui lui convient à merveille. Réconcilié avec un son G-Funk qui a su évoluer et se projeter dans le nouveau millénaire, son flow se veut tout de suite plus tranchant. Les bons réflexes reviennent comme par magie et à certains moments on retrouve même le Snoop de ses débuts avec un delivery des plus laid-back.
Sur fond de gangsta rap toujours assumé, les thèmes abordés sont ce qu’il y a de plus commun mais c’est bien dans l’interprétation que les choses ont évolué. Plus confiant et avec un goût de l’amusement retrouvé, Snoop y apparaît plus piquant avec une réelle envie de convaincre. Le lancinant et chantonnant « Leave Me Alone » en est le parfait symbole. Sous-estimés, les morceaux « Issues », « I Can’t Swim » et « Y’all Gone Miss Me » restent, eux, encore aujourd’hui, ce que le rappeur de Long Beach a fait de plus personnel et sincère dans sa discographie. Ce dernier titre reprenant à sa sauce le grandiose « Miss You » des Rolling Stones pour un bilan honnête et touchant de ses 10 premières années d’artiste.
Dans le deuxième couplet, il constate : « It’s evident, shit I’m doin good / I moved out the hood like I should / And then they had the nerve to call me Hollywood / But I don’t give a fuck, if I’m misunderstood ». Pour finir plus tard le morceau par ces rimes : « Remember my name and remember my face / Remember these words, and remember the taste / And remember, we all gotta leave this place / I’m tryin to stay focused, I’m the loc’est in the game / The Rap Prime Minister, Mr. G Thang ».
Digne successeur de Doggystyle
Après l’album No Limit Top Dogg qui était déjà un premier pas intéressant vers la rédemption, Tha Last Meal achève le retour au top de Snoop Dogg. Et ce n’est pas un énième coup de Trafalgar de Suge Knight, avec la mise à disposition gratuite d’une bonne partie de ce projet sur le site de Death Row plus de deux semaines avant sa sortie, qui va perturber ce succès. Les ventes sont aux rendez-vous et l’accueil des fans est dithyrambique.
Derrières les noms clinquants que sont Dr. Dre, Timbaland ou encore Scott Storch, ce sont bien les Jelly Roll, Meech Wells et Battlecat qui permettent à ce projet d’atteindre une réelle identité cohérente de bout en bout. Un liant indispensable qui est de loin le plus grand atout de cet opus avec un Snoop redynamisé et bien épaulé par Kokane. Avec le recul, il est intéressant également de noter que l’enchainement des projets 2001 et Tha Last Meal n’est pas sans rappeler celui de The Chronic et Doggystyle, comme si Dre et Snoop étaient à jamais connectés musicalement.
Si Doggystyle reste le meilleur album de Snoop Dogg, il ne fait aucun doute que Tha Last Meal peut, lui, être considéré comme l’autre projet référence d’un rappeur qui a décidé de basculer dans le nouveau millénaire de la plus belle des façons.