Rencontre avec Murs, le samouraï du rap jeu
Quelques heures avant son concert fou au Batofar, et juste après une partie endiablée de Mario Kart 64, Murs a pris la peine de nous accorder une petite heure pour répondre à nos questions. Extrêmement abordable et particulièrement loquace, le rappeur de L.A est revenu avec nous sur sa carrière, de LA à Kansas City en passant par la Caroline du Nord, nous gratifiant au passage de traits d’esprit comme lui seul en est capable.
The BackPackerz : Tu as fait des albums en communs avec entre autres Slug, 9th Wonder, Terrace Martin et Fashawn. Il semble que tu apprécies énormément ce type de collaborations exclusives n’est-ce pas ?
Murs : J’aime rencontrer des gens, me lier d’amitié avec eux. J’adore aussi apprendre, c’est comme ça que je m’améliore. Je dis souvent que je suis comme un samouraï qui va apprendre plein de styles de différentes personnes afin de perfectionner son art. Mon art à moi, c’est le rap. Et j’ai appris de tout le monde : Fashawn est vraiment bon pour les refrains, Slug m’a appris à compter les mesures, 9th à être plus instinctif…Avec Terrace, je n’ai pas tant appris sur le plan purement musical mais plutôt sur le business de la musique, ses rouages. Collaborer avec lui m’a permis d’être vraiment moi-même. Tu sais, Terrace et moi, on est comme jumeaux, et Melrose (leur album collaboratif) est mon projet préféré: ce n’est pas celui qui a eu le plus de succès et mes fans le détestent, mais moi je l’adore, car c’est juste deux gars qui s’entendent parfaitement et prennent du bon temps ensemble.
Donc oui, j’adore apprendre et c’est pour ça que j’ai effectué tant de collaborations par le passé. Mais je suis maintenant à un stade de ma carrière où je ne veux plus en faire. J’ai appris tout ce dont j’avais besoin, et je dois maintenant me focaliser sur le fait d’être le meilleur rappeur.
Tu es enfin un maître dans ton domaine et tu traces ton chemin en solitaire.
Exactement.
Avec 9th Wonder, vous avez fait 5 albums. Le dernier a ce titre assez explicite The Final Adventure. C’est assez rare de voir des artistes marquer la fin de leur collaboration par un album. En général, soit ils se séparent brutalement entre deux albums, soit ils ne font plus rien ensemble et leur prochain album reste une arlésienne pour leurs fans. Comment en êtes-vous venu à décider que ce 5e opus allait mettre un terme définitif à votre collaboration ?
9th est comme mon frère ! Quand on s’est fiancé avec ma femme, on a décidé de parcourir tout le pays, afin de rencontrer toutes les personnes qui comptaient à nos yeux. On a naturellement atterri à un moment en Caroline du Nord pour voir 9th et sa famille. Une fois là-bas, j’ai eu la sensation qu’on avait fait le tour de notre collaboration et qu’il était temps d’y mettre un point final. Mais je ne savais pas comment aborder le sujet avec lui. Et c’est là qu’il me dit « mec, tu sais quoi ? Je pense que notre prochain projet devrait être le dernier ! » Je lui ai répondu « je pensais exactement la même chose ! ». Ça a été super, car il n’y a eu aucun malaise. Il était juste temps d’arrêter. 9th ne se rappelle pas ainsi ce moment et te racontera une autre histoire, en te disant que c’est venu de moi. Mais je sais comment ça s’est passé et ma femme pourra le confirmer.
Tu sais, 9th se concentre maintenant sur son label, Jamla Records, qui marche vraiment bien, et moi je me concentre sur ma carrière solo. Je n’ai pas envie que des gens viennent sans arrêt le voir et lui demander « au fait, à quand le prochain Little Brother » ou « quand sort votre prochain album avec Murs ? ». Il a clairement signifié que Little Brother était terminé et on a dit que nous deux c’était fini. The Final Adventure, c’était la meilleure des manières de le faire comprendre aux gens. On n’a plus à répondre à ce genre de question et on peut maintenant se concentrer sur notre avenir.
Oui je comprends parfaitement. Et tu sais quoi, tu as parfaitement raison: si vous n’aviez pas fait quelque chose du genre, je t’aurais sûrement demandé durant l’interview « au fait, c’est pour quand le prochain Murs & 9th Wonder ? »
Tu vois, qu’est-ce que je te disais !
« Je veux faire des choses que mon fils apprécie et dont il puisse être fier »
Slug, avec qui tu formes le duo Felt, nous a expliqué que le fait de vieillir et d’être devenu un père avait eu une grosse influence sur sa musique. Est-ce la même pour toi ?
Je ne pense pas non. Bon, en fait, j’aimerais faire un peu plus de pop à cause de mon fils, car je vois bien qu’il veut juste une chose: danser. Il s’en fout du reste ! On pourrait faire un titre qui ne dit que « Jambon-Fromage ! Jambon-Fromage ! », du moment que ça bouge bien, il kifferait le morceau. Ça m’a vraiment appris que la musicalité est bien plus importante que ce que j’ai à dire. Ça me fait me sentir moins important.
Finalement, en y pensant, je pense qu’être un père a bel et bien eu une influence sur moi et ma musique. La parenté te rend humble. Tu n’es plus si important. Tout ce qui compte c’est ce gamin. Et je veux faire des choses qu’il apprécie et dont il puisse être fier. Je continuerais malgré tout à jurer, à dire « bitch, fuck, dick ». Je dirais toujours à mes gosses « t’es un putain de trou du cul » ou « ferme-là », parce que c’est comme ça que je parle naturellement. On a adopté, ma famille et moi, un adolescent pendant quelque temps. Au final ça n’a pas marché, mais il a eu le temps de venir vivre avec nous pendant un bout de temps. Je me rappelle qu’une fois, alors qu’il mentait à propos de ses devoirs, je lui ai dit « come on, motherfucker ! ». Il s’est vraiment énervé. Il a jeté son iPad et m’a crié « ne m’insulte pas ! ». Je me suis dans un premier temps excusé. Puis je lui ai dit « premièrement, rappelle-toi que tu écoutes Wiz Khalifa à longueur de temps et qu’il dit « motherfucker » dans quasiment toutes ses chansons. Ensuite, c’est grâce aux insultes que la maison dans laquelle tu vis a été bâtie. Alors « fuck you, and shut the fuck up ! ».
Donc oui, je ne changerai jamais le contenu de ma musique. J’ai toujours fait de la musique honnête et je continuerai ainsi. Il n’y a rien dont je puisse avoir honte. Je peux parler de sexe anal ou de fellation parce que de toute façon ce sont des choses avec lesquelles mon fils va grandir et sans doute expérimenter plus tard. De plus, ce sont des choses que tout le monde, ses parents inclus, a faites. C’est lorsque l’on a des tabous avec ses enfants que ça devient des problèmes. Je veux donc que mon fils puisse venir me voir et parler, je ne sais pas, de fellation par exemple, et ce, même si ça sera bizarre. Et puis, une fois qu’il aura écouté ma musique, ça ne pourra que rendre les choses plus faciles, car il se dire sûrement « wow ! Putain, en fait, mon père ne fait que parler de ça ! »
Dans de nombreux clips comme « Yesterday and Today » ou encore « What’up tho », tu sembles vraiment t’amuser à être devant la caméra. Tu aimerais devenir acteur ?
Oui, carrément ! J’adore faire l’acteur. J’ai fait un film l’été dernier qui va probablement sortir cet été. Et j’ai vraiment envie d’en faire d’autres. Ça me ferait vraiment kiffer, et je pense qu’il y a un réel besoin. C’est marrant que tu me parles de ça, parce que j’ai une histoire intéressante à ce sujet: j’ai fait du théâtre quand j’étais jeune, bien avant de rapper. J’étais dans une troupe et un jour on m’a demandé de préparer une parodie de « Vanilla Ice ». C’est comme ça que j’ai commencé à rapper, en sixième ou cinquième.
« Mon taf, en tant que chanteur, c’est de parler pour l’ensemble des membres du groupe »
Tu es aussi chanteur dans un groupe de rock qui s’appelle The White Mandingos. Comment en es-tu arrivé au rock ? Ça te plaisait déjà avant ? Et était-ce vraiment différent de faire un album de rock ?
Ça fait un bout de temps que j’écoute du rock. J’écoutais un peu Greenday à une époque. Mais cela a vraiment commencé quand j’ai fait une tournée mondiale avec Atmosphere en 2003. J’ai eu l’occasion de voir pas mal de punk-rock, et j’ai vraiment adoré ça. Atmosphere m’a donc filé pas mal de musique à écouter, des trucs comme Radiohead, The Strokes, ou encore Queens of The Stone Age. C’est là que je m’y suis vraiment intéressé au genre, et j’ai vraiment aimé ça.
Un jour, Ted Bawno, le co-fondateur d’Egotrip, m’a contacté sur Internet pour savoir s’il pouvait donner mon numéro à Sasha Jenkins. Sasha est un journaliste hip-hop extrêmement connu, donc j’ai accepté avec plaisir. Plus tard, Sasha m’a donc appelé pour me dire qu’il voulait former un groupe de rock avec Darrel Jennyfer, le bassiste de Bad Brains, et qu’ils me voulaient comme chanteur. Je suis un gros fan de Sasha, et Bad Brains fait probablement parti du Top 5 de mes groupes préférés donc j’étais vraiment super intéressé par le projet et j’ai accepté avec plaisir. C’est comme ça que The White Mandingos a vu le jour.
Sasha, Darrel et moi on a beaucoup en commun, par exemple le fait qu’être Afro-Américain et membre d’un groupe de rock n’est pas très cool. On a donc mis toutes ces expériences communes dans notre musique. Mon taf, en tant que chanteur, c’est de parler pour l’ensemble des membres du groupe. Un bon leader de groupe, il ne parle pas seulement pour lui-même, mais aussi pour les gens avec qui il collabore musicalement. C’était le cas avec 9th par exemple. Il n’est vraiment pas loquace et n’extériorise pas trop. Donc c’était mon rôle de le faire à sa place. C’est pour ça que je parle du fait qu’il fasse ses beats sur Fruity Loops ou qu’il a été mis à l’écart de Little Brother. Ce sont des choses dont on parlait ensemble, mais qu’il n’est pas capable d’évoquer publiquement. J’ai donc essayé d’en parler dans nos albums. Et c’est la même chose avec The White Mandingos.
Reverie nous a dit que tu étais son rappeur préféré.
Whoa ! C’est vrai ?
Ouais ! Ça te fait quoi d’être pris comme modèle par des jeunes MCs comme elle ?
J’adore ça mec ! J’aime quand des jeunes rappeurs parlent de moi de cette manière. Tu sais, Reverie c’est un peu comme ma sœur. Ça fait des années que je la vois traîner dans mes concerts. À l’époque, elle avait fait une vidéo où elle portait un de mes t-shirts. Je l’avais vu et donc j’en ai discuté avec elle une fois à la fin d’un concert. On a sympathisé par la suite. J’essaye d’être un mentor pour elle parce que je sais qu’être une rappeuse est super difficile. Et puis un tas de personnes, quand t’es jolie et talentueuse comme elle, vont juste essayer de profiter de toi. Donc j’ai toujours essayé d’être au maximum présent pour elle. Je connais aussi très bien son frère, Louden. C’est lui qui produit la quasi-totalité de ses morceaux et c’est aussi son DJ. Et ils ont un autre frère qui est un bon ami à moi. Pour te dire, même leur mère vient à mes concerts !
Plus globalement, j’adore que quelqu’un que je respecte, en tant que personne et pour sa musique, puisse dire que je suis son rappeur préféré. Donc, merci à elle. Je suis un gros fan, et je ne la laisserais jamais tomber. J’espère que l’on pourra bosser à nouveau ensemble très prochainement.
En parlant de rappeuses, tu as aussi eu l’occasion de faire un feat avec Rapsody. Tu en penses quoi de cette nouvelle génération de rappeuses ?
Il y a énormément de rappeuses super talentueuses en ce moment: Rapsody, Reverie, Nitty Scott MC, Fluffy, sans compter celles qui sont la depuis longtemps comme Jean Grae. Je soutiens à fond la présence de rappeuses et j’essaye d’y contribuer du mieux que je peux, avec comme objectif que ça ne soit plus important que ce soit des filles. Le truc positif en ce moment, c’est que les rappeuses ont le vent en poupe. Tu sais, je crois qu’on a besoin d’une grande diversité de rappeuses pour faire bouger les choses, car plus il y aura de rappeuses différentes, moins cela sera important que ce soit des filles. Elles seront juste considérées comme des MCs. Je voudrais aussi voir plus de rappeurs gay, de rappeurs latinos, de rappeurs français. Je veux que le hip-hop soit plus que des rappeurs afro-américains en colère. Donc j’essaye d’y contribuer dès que j’en ai la possibilité.
T’as fait une chanson appelée « Animal Style ». Elle parle d’une histoire d’amour au dénouement tragique entre deux gays, John et Roderick. Dans le clip, tu joues Roderick et à un moment tu embrasses l’acteur qui joue John. Ça a fait beaucoup de bruit et c’était sacrément couillu de ta part de le faire, d’autant plus dans un milieu comme le hip-hop ou l’homosexualité est taboue. Qu’est-ce qui t’a poussé à le faire ?
Tout est parti d’une situation à laquelle j’étais confronté: je sentais qu’un de mes amis était gay, et je ne savais pas comment lui en parler et lui expliquer que ce n’était pas un souci. Des amis qui avaient déjà fait leur coming-out m’ont expliqué que je ne pouvais pas lui dire de but en blanc « hey ! Je sais que t’es gay. Ça ne me pose pas de problème et je t’aime quand même ». Il faut leur laisser l’initiative. Donc j’ai commencé à me demander de quelle manière je pourrais lui faire savoir indirectement. Et j’en suis venu à la conclusion que faire une chanson à ce sujet serait idéal. Donc je l’ai en quelque sorte écrite pour lui.
Je dois dire cependant que ça faisait des années que je voulais écrire quelque chose dans le genre. Mais chaque producteur avec qui j’ai tenté de le faire m’a dit « nan ! Pas avec un de mes beats ». Un jour, mon cousin Embassy m’a donné un beat, et il était à mes yeux parfaitement adapté. Donc je lui ai demandé ainsi qu’à Ski (Beatz) si je pouvais faire la chanson sur l’album qui devait paraître sur leur label. Les deux m’ont dit « aucun problème ! Vas-y ! » Je voulais vraiment en faire un clip où j’embrasserais un gars. Ma femme m’a dit « aucune chance, tu n’en seras pas capable ». Elle me connaît bien, elle sait que je ne me suis déjà pas à l’aise quand je vois des gars s’embrasser dans un film. Mais ça me semblait essentiel de le faire pour marquer le coup. Tu as dit que c’était couillu de le faire. Ouais c’était le cas, notamment de par le fait que je ne suis pas intéressé par les hommes. Mais il fallait que je le fasse, pour que mon action ait un impact fort.
« Si tu veux dire de la merde sur moi, fais-le en face de moi, et sois prêt à te battre »
Je connais bien le gars que j’embrasse dans la vidéo, c’est l’entraîneur de boxe de ma femme. Il est gay et passer du temps avec lui quand on tournait les différentes scènes du clip m’a permis de réaliser comment les gens pouvaient réagir. Certains éloignaient leurs enfants, d’autres nous dévisageaient. Je lui ai dit « putain ! Et tu dois vivre avec ça quotidiennement ? C’est dingue ! » Après notre baiser, j’ai dit « j’espère que la prise est bonne, car je ne le referais plus jamais ! ». En fait, j’appréhendais bien plus de faire le baiser en lui-même que les réactions qui en découleraient. Je m’attendais à ça. Je les voulais même. Je voulais qu’on me traite de tafiole, je voulais que les gens s’offusquent, parce que ce sont des réactions inacceptables et je voulais que tout le monde le réalise.
Au final, personne ne s’en est pris directement à moi, personne n’est venu faire du « gay bashing » durant mes concerts. Qu’ils essayent donc ! Ce n’est pas que je le veuille, mais ça ne me fait pas peur du tout. Tu sais, je fais de musique posée et calme, mais en réalité j’adore me battre, vraiment. Donc si quelqu’un faisait quelque chose comme ça, ou si un rappeur disait de la merde à mon sujet dans une de ses chansons, je me ruerais sur lui et je lui dirais « si tu veux dire de la merde sur moi, fais-le en face de moi, et sois prêt à te battre pour ça ». Personne n’est venu. Mais tu sais comment ça se passe, j’entendais les gens dire « y’a untel qui dit ça ou ça sur toi » et puis les commentaires sur la vidéo ont été assez violents parfois.
Et comment ton entourage a réagi ?
Ils étaient surtout inquiets vis-à-vis des conséquences, qu’on puisse me faire du mal. Certains ont aussi été en colère. J’ai ainsi l’exemple d’un ami qui m’a dit « je crois que ceci est contre ma religion ». Je ne peux rien rétorquer à ça, car c’est quelque chose je respecte. Si selon les mots de ton dieu quelque chose est interdit, tu dois t’y astreindre. Et ça n’a rien changé entre nous, il est resté mon ami. Il n’a pas tenu de propos haineux. Il a juste affirmé ceci : « je ne soutiens pas ce que tu as fait, je ne l’approuve pas, mais je sais que c’est important pour toi ».
« Je veux être aussi versatile qu’Elton John »
Tu es capable de morceaux pas sérieux et marrants, comme par exemple « Freak These Tales », mais dans le même temps tu peux comme on vient de le voir faire des choses assez conscientes. Comment es-tu capable de jongler avec ses deux facettes de ta musique ?
Mec, c’est dur, car…(Il marque une pause et fixe la table de la pièce où se trouve le repas qui lui a été fourni avant le concert) Excuse-moi d’avance pour ce que je vais dire, je sais que je suis un peu fou parfois…(Il montre la bouteille de ketchup sur la table) Alors, le ketchup ! Aux États-Unis, Heinz, la marque de ketchup mondialement connue, a produit pendant un temps une bouteille de ketchup bleue. Et ça n’a pas du tout marché. C’était pourtant bel et bien du ketchup. Mais pour nous, êtres humains, le ketchup doit ressembler à quelque chose de bien précis. Un autre exemple un peu différent: Heinz fait aussi de la moutarde. Celle-ci se vend beaucoup moins bien. Tu sais pourquoi. Parce que Heinz est reconnu uniquement pour son ketchup. C’est la même chose dans le rap. Les gens veulent du rap conscient de la part de Common ou Talib Kweli, du rap marrant de la part d’Afroman et du gangsta rap de la part d’Ice Cube.
On a besoin de catégoriser distinctement les gens, de les mettre dans des cases ?
Exactement. Et c’est probablement l’inconvénient de ma musique: les gens ne peuvent pas me mettre dans une case.
L’avantage, c’est que ça tend à être de moins en moins un problème. Et ça, c’est grâce à des gens comme Kendrick, tu ne peux pas le mettre dans une seule case. C’est aussi le cas de Macklemore. Il peut te faire une chanson hyper consciente et dans la foulée un truc plus futile et superficiel, comme « Thrift Shop ». Je le connais bien, car il a souvent fait les premières de Living Legends. Et ce qu’il fait m’inspire beaucoup, car c’est ce à quoi j’aspire: j’aimerais pouvoir faire une chanson sur laquelle les gens puissent danser, une chanson sur le fait de s’envoyer en l’air et aussi une chanson contre l’homophobie. Je veux que tous ses thèmes puissent se retrouver dans ma musique, et je ne pense pas que ça ne puisse pas être parce que les gens seraient étroits d’esprit. Tout est question d’être suffisamment créatif et de bien enrober cela. Si l’on prend l’exemple d’Elton John, je ne pense pas qu’il se soit fixé de limite. Il est gay, mais ça ne l’empêche pas de faire une chanson sur le fait d’aimer une femme. Il fait aussi des chansons enjouées et bien fun. Et elles marchent toutes. Je veux être aussi versatile. Mais dans le hip-hop, c’est malheureusement quelque peu compliqué.
À la suite des évènements de Ferguson, des artistes comme Talib Kweli ou Killer Mike ont fait entendre leur voix et ont fait des apparitions très marquantes sur des chaînes nationales, étant ainsi vraiment influents. Dans le même temps, durant une interview et alors qu’une journaliste lui demandait, son opinion sur les évènements récents Young Thug a répondu « ce n’est pas le rôle d’un artiste de s’exprimer sur les questions sociales ». Selon toi, est-ce un artiste noir, tout particulièrement un rappeur, se doit de s’exprimer dans de tels cas ?
Je ne pense pas. Je suis d’accord avec Young Thug, car je n’ai pas envie d’entendre quoi que ce soit de sa part si ce n’est sa musique. Et c’est seulement parce qu’il n’est pas assez informé. Je n’ai pas envie qu’on vienne interroger des gars comme Young Thug ou Lil Wayne sur de tels sujets, car je n’ai vraiment pas envie qu’ils puissent me représenter. Si je dois choisir un représentant, alors j’aimerais quelqu’un comme Killer Mike. Je suis d’accord avec lui sur de nombreux sujets et je sais qu’il s’est suffisamment informé pour être pertinent. Je suis donc content que CNN soit allée le chercher lui plutôt que Young Thug. Et je suis content que Young Thug ait choisi de dire ce qu’il a dit, car son opinion pourrait être plus de dégâts qu’elle serait utile.
Avant de conclure, parlons un peu de ton actualité récente: tu as signé il y a peu sur Strange Music, le label de Tech Nine et ton prochain album sera le premier sur ce label. Comment as-tu rencontré Tech et décidé de signé sur Strange Music ?
Je suis un fan de Tech depuis des années. Je l’ai entendu pour la première fois sur la B.O de Gang Related. « Questions », un bête de morceau. Je fais un festival qui s’appelle Paid Dues et je me devais de l’y faire se produire un jour. Après son concert, il m’a demandé de venir voir leurs installations à Kansas City. C’était formidable. Il m’a alors offert de partir en tournée avec lui. Elle a été géniale. J’ai aussi adoré la manière dont il gérait leur business, le fait qu’ils paient bien et toujours à temps ! On a donc fait beaucoup de choses ensemble après ça: on a ramené d’autres artistes à Paid Dues, amené Tech à Rock The Bells, des choses comme ça quoi.
Pour la dernière partie de ma carrière, je voulais vraiment me poser, dans un seul lieu et être lié à un seul label, qui serait une « bonne maison ». Je sais qu’ils ne veulent pas se contenter d’être indépendants, qu’ils veulent aussi conquérir le mainstream. C’est aussi mon objectif. Et comme moi, ils ne veulent pas avoir à se fondre dans le moule, ils veulent le faire à leur façon. Strange Music était donc la bonne maison et c’est tout naturellement que j’ai signé chez eux.
Tech est vraiment connu et respecté aux États-Unis en tant qu’artiste indépendant et il a beaucoup de succès, d’estime et commercial. Il n’est pourtant pas énormément connu en France. Tu pourrais nous en dire un peu plus à son sujet pour ceux qui ne le connaissent pas ?
Si je devais dire quelque chose à propos de Tech, c’est qu’il a toujours fait les choses à sa façon et qu’il est vachement respecté pour cela. Techniquement, c’est un super rappeur. Il rappe si vite et de manière si complexe, un peu comme Kendrick ou Eminem. Et puis surtout, c’est une bête de scène, le meilleur que je n’ai jamais vu. Et pas seulement dans le milieu du rap. J’ai vu Prince, Jack White, les Spice Girls, Vampire Weekend, j’ai vraiment vu un tas de trucs. Et Tech est définitivement le meilleur. Si tu assistes à un de ses concerts, que tu aimes le rap ou non, tu seras bluffé. Si jamais tu as l’opportunité de le voir, ne rate surtout pas l’occasion.
Le prochain album de Murs, Have a Nice Life sera disponible le 19 mai.
En bonus, notre sélection spéciale Murs, for the good of your ears.
Un grand merci à Antoine Monégier pour les photos. Retrouvez l’album complet sur son portfolio behance @Antmo.