JGRREY nous ouvre les portes de North London
Ce cru 2020 aura définitivement chamboulé les projets de nombreux artistes. JGGREY y compris. Cet été, alors que les frontières entre le Royaume-Uni et la France rouvraient tout juste, on a enfilé nos masques, puis on a sauté dans le premier Eurostar, direction le nord de Londres, pour nous entretenir avec la chanteuse.
JGRREY est l’une des nouvelles sensations R&B made in UK. Un timbre de voix reconnaissable, une personnalité plus terre à terre qu’il n’y parait et une histoire personnelle forte ont enfanté ses deux premiers Ep Grreydaze et Ugh, sortis en 2019. Plutôt bien reçus par la critique, ils nous ont donné envie d’aller à la rencontre de l’artiste, alors que la date de sortie de son premier album se fait attendre, et qu’elle sort aujourd’hui un nouveau morceau : « Doubts Nothing ».
COVID 19 oblige, comme pour beaucoup, cette année ne ressemble à aucune autre pour JGRREY. Heureusement pour la chanteuse, elle semble aborder la situation avec flegme : « Franchement, ça va plutôt bien. C’est l’été, il fait beau. Mais beaucoup de choses se sont passées depuis janvier avec le COVID. Beaucoup de shows ont été annulés, en Allemagne, en France. J’avais un super show prévu à Paris. J’ai dû changer mes plans, écrire plus, faire du studio, et j’ai aussi sorti un morceau au début de l’été ». Ce morceau, c’est « Ain’t So ». Ballade estivale de belle facture, elle fut ironiquement nommée « An quarantine visual by JGRREY ».
Néanmoins, force est de reconnaître qu’auprès du public français, à l’inverse des Mahalia, Jorja Smith, ou autres Little Simz, JGRREY n’est pas encore identifiée. Une petite présentation est donc nécessaire : « Je pense que si tu m’avais demandé de me présenter il y a trois ans, je t’aurais répondu être JGRREY, une fille qui chante, qui écrit, et rien d’autre. Aujourd’hui, je suis toujours JGRREY, je chante toujours, j’écris toujours, mais j’ai la sensation d’avoir beaucoup grandi et appris. Les choses se sont accélérées. Mon identité musicale s’est affirmée, j’essaie beaucoup de nouvelles choses, des bangers, des sons pour chiller. »
Cette identité, contrairement à d’autres d’artistes, ne s’est pas construite au sein d’un environnement où la musique était favorisée. Savoir comment tout cela avait commencé était une nécessité pour nous : « Mon père était Dj. Concernant mes débuts dans la musique, si je dois être honnête, je n’avais pas vraiment de plan. Beaucoup d’artistes ont ce truc en eux où depuis toujours, ils ont rêvé, travaillé dur pour devenir ce qu’ils sont devenus. Ce n’est pas mon cas. J’ai toujours aimé le son. J’ai toujours aimé chanter. Etant petite, j’en faisais avec mes amis à l’école, on allait au studio, sans se prendre la tête, ni faire des plans sur la comète. Quand j’y repense, c’était des moments vraiment cools. »
Une première expérience qui a semble t-il aiguisé le côté perfectionniste de l’artiste, alors uniquement connue sous le nom de Jennifer Clarke : « J’écrivais beaucoup pour les autres, mais en chantant, je me suis rendue compte que je cherchais constamment à faire mieux, mieux gérer mon souffle, mes placements, avoir plus de contrôle sur ma voix. J’avais de bons retours sur ce que je faisais. Puis, je me suis dit qu’il y avait vraiment quelque chose de plus grand à faire. Certaines personnes me reconnaissaient, on commençait à me proposer des collaborations, j’avais toujours plus de retours sur ce que je faisais… Donc ce n’est pas quelque chose pour lequel je me suis préparée. »
En lisant bon nombre d’articles ou d’interviews au sujet de JGRREY sur le web, on peut remarquer qu’elle est souvent cataloguée chanteuse de South London. Ce qui n’est pas tout à fait vrai, vu son parcours personnel : « Je suis née à Lambeth, dans le sud de Londres. Mais, quand j’étais plus jeune, à cause de divers problèmes, j’ai dû déménager de nombreuses fois. Cela m’a apporté car je pense être devenue quelqu’un qui s’adapte facilement au mouvement perpétuel, aux nouvelles personnes, et aux nouveaux lieux. J’ai aussi vécu un temps dans la région de Manchester, et je vis aujourd’hui dans le nord de Londres. »
La connexion émotionnelle est importante pour moi.
Une localisation que l’intéressée semble apprécier : « Je pense que tu as pu le voir en arrivant, je suis dans une ville nouvelle, un endroit totalement différent de ce que tu peux trouver à Londres, beaucoup plus calme, verdoyant, je peux m’occuper tranquillement de mes plantes ici. Même différemment, cela me nourrit aussi. Cette accalmie me fait du bien, et me permet de créer en toute sérénité. Aussi, pour en revenir à ce que je te disais à propos des nombreux changements pendant ma jeunesse, cela m’a aidé jusqu’au niveau des sessions studio. Aujourd’hui, travailler avec de nouveaux artistes, de nouveaux collaborateurs est quelque chose de normal pour moi, la nouveauté ne me fait pas peur. »
Grreydaze et Ugh constituent les deux premiers projets de JGRREY, deux EP. Mais elle avait également sorti quelques morceaux ici et là. L’artiste semble vouloir prendre son temps, alors que l’on vit dans une époque où la surproductivité est mise en avant. Forcément, on a voulu en savoir davantage sur son process : « Prendre mon temps et avoir le contrôle sur la diffusion de ma musique est un choix, à 100%. Je suis hyper perfectionniste. Pour être honnête avec toi, si j’avais été satisfaite de ce que j’avais déjà, j’aurais déjà sorti plusieurs projets. J’ai une tonne de sons qui dorment, que je perfectionne constamment, qu’on réarrange avec mon équipe, sur lesquels je retravaille mes voix. Pour en tirer le meilleur, j’essaie toujours de connecter le plus possible mes morceaux à la réalité à laquelle je dois faire face au moment venu. Cela peut-être des émotions fortes, joyeuses, tristes, ou mêmes vides. La connexion émotionnelle est importante pour moi. »
La mort n’est-elle juste pas un repos salutaire après tout ce qu’on endure pendant notre vie ?
Il est aussi intéressant d’avoir le regard de l’artiste sur ces deux projets : « Je les vois comme des EP. Des projets courts où j’ai pu montrer ce que j’avais dans le ventre, tout en continuant à définir mon univers artistique. Aujourd’hui, je suis à 100% sur mon premier album. Mais il sortira uniquement quand je m’estimerais prête, quand j’estimerais le projet assez abouti pour le proposer au public. Je ne peux pas dire actuellement quand est-ce qu’il va sortir, je n’ai pas de date à t’annoncer, mais je peux juste te dire qu’on travaille dur là-dessus, et qu’on est déterminé à en faire quelque chose de grand. Je bosse avec de nouveaux musiciens, l’énergie qui découle de ces sessions studio est super, et j’espère qu’elle va se ressentir dans l’album. »
Dans nombre de morceaux de JGRREY, on peut observer que la notion d’acceptation de la mort y est très présente. On a évidemment cherché à comprendre pourquoi :« »Ready To Die », le premier single que j’ai écrit, a été conçu alors que j’étais dans un état émotionnel triste. C’était à la base un freestyle, j’y couchais des pensées noires sur papier, notamment en m’interrogeant sur des questions existentielles. Quelle est la meilleure voie pour mourir ? La moins pire ? Existe t-il un bon moment ? Devrais-je dormir ou mourir actuellement ? »
« Ready To Die ». Un mantra, mais aussi un morceau qui aurait très bien pu s’appeler « Born Ready », si l’on suit l’état d’esprit de la native de Lambeth. « Ready To Die est aussi mon album favori de Biggie, qui est presque mon rappeur favori. « Suicide Thoughts » est mon morceau préféré de l’album. Mais, pour répondre à ce que tu dis, il est vrai que beaucoup de gens adoptent cette posture, vraie ou non, je ne suis évidemment pas dans la tête des gens, de vouloir être jeune éternellement, de vivre chaque instant comme si c’était le dernier, de voir la mort comme quelque chose de forcément effrayant. J’essaie de voir ce qui se passe de l’autre côté. Est-ce que la mort n’est-elle juste pas un repos salutaire après tout ce qu’on endure pendant notre vie ? Le travail, la maladie, voir ses proches disparaître les uns après les autres sans pouvoir rien y faire. Sans avoir de position arrêtée, c’est sûr que je me pose beaucoup de questions sur le sujet, et c’est normal que cela se ressente dans mes chansons. »
Eté 2019, JGRREY connait une expérience unique. De celles qui marquent une artiste en développement, une personne. Elle a joué, en première partie de Billie Eilish, devant 18 000 personnes à l’O2 Arena de Prague. Quand on lui demande ce qu’elle retire de cette aventure, sa réponse est sans équivoque : « Je vais être honnête, avec le recul, je n’ai pas spécialement profité du moment. Car performer devant 18 000 personnes me fait moins peur que devoir performer dans une salle intimiste avec peu de personnes dans le public. Prague, c’était quand même une expérience, un truc à vivre. Ma première scène avec une jauge aussi élevée, même si bien sûr je faisais la première partie de Billie Eilish, première fois dans une salle aussi élaborée, une scénographie de malade, c’était la folie. »
La chanteuse a malgré tout un vrai penchant pour les salles plus intimistes, ce qu’elle détaille : « Un show dans une petite salle, devant peu de personnes, m’aurait rendue beaucoup plus nerveuse. Dans cette configuration là du live, déjà, tu entends tout ce qui se passe, ensuite tu peux voir les réactions de chacun, leur body langage. Je peux lire sur leurs lèvres, voir quels morceaux marchent le mieux, je peux aussi voir si ces morceaux de ma discographie qui me touchent le plus sont ceux qui vont toucher le public ou non. L’interaction avec le public est infiniment supérieure, mais c’est une configuration qui va me demander d’être encore plus focus sur ma prestation. Si on revient sur l’exemple de Prague, l’architecture de la salle, ainsi que les lumières me donnaient presque l’impression d’être seule. Je ne voyais personne, j’étais un peu seule avec moi-même au final. »
JGRREY avait connu une autre expérience importante pour son développement en tant qu’artiste. Trois années en arrière, elle était sur la scène de Colors, pour un résultat là-aussi mitigé pour l’artiste : « Quand j’ai fait Colors, je n’avais jamais performé avant. Tu sais que les studios sont à Berlin, une ville que j’adore, avec des gens fous, et j’étais super nerveuse. C’était genre intimiste, à part moi il y avait seulement deux personnes dans la room qui me regardaient faire… Je n’ai pas assez apprécié l’expérience. Colors n’était pas aussi gros que maintenant, quand j’y étais, le studio était encore en développement, la room était toute petite, tu peux voir sur ma tête que je ne suis pas hyper à l’aise. Mais comme pour Prague, c’était une expérience. Je ne me disais pas que ce moment allait me faire en tant qu’artiste, dans ma tête je n’étais même pas vraiment chanteuse pour te dire. Tu vas trouver cela fou, mais c’était encore un hobby pour moi. J’essayais des choses, que je mettais ensuite sur Soundcloud, je n’avais aucun morceau sur Spotify à cette époque. Mais cette expérience a vraiment participé à l’essor de ma carrière, je mentirais si je disais le contraire. Même si c’est assez drôle de repenser à celle que j’étais à ce moment là. »
De là à se considérer comme une artiste de studio ? La réponse est, une nouvelle fois, sans équivoque : « Totalement, mais sur scène, j’aime avant tout performer avec mon band. Pour être honnête, dans ma position, ce n’est pas possible d’avoir mon band avec moi sur toutes mes dates. Je suis encore une artiste en devenir. Donc je fais des compromis. Il m’arrive de ne jouer qu’avec une partie du band, ou bien de faire carrément sans quand la situation m’y oblige. L’énergie est différente quand je suis sur scène avec mon band. Etre au studio, c’est définitivement autre chose. Quand je suis avec des gens comme Kadiata, ou Ed Thomas, on est en famille, on se connait bien, j’écris beaucoup dans ces moments là. Sur scène, il y a Chris, que j’adore, qui est bassiste, et qui est assurément l’un des meilleurs à Londres. Il y a aussi Matt Davies, qui s’occupe des drums en live pour moi, et je suis parfois accompagnée sur scène par Tongz. Avec eux, c’est naturel, la spontanéité est totale. »
Interview réalisée avec l’aide de Kpssou.
Remerciements : Ludivine Grétéré, la team The Orchard.