Limsa d’Aulnay : « J’ai plus écrit cette année que dans toute ma vie »
Limsa vient d’Aulnay-sous-bois. On le sait tous d’ailleurs, comme il s’amuse à nous le rappeler dans l’intro mémorable du projet : “Je sais que tu le sais connard je le répète dans chaque chanson”.
Limsa est un rappeur que le public a découvert dans les Grünt où il sut à plusieurs reprises réaliser de véritables démonstrations derrière son micro. Limsa c’est aussi beaucoup d’humour mais aussi une capacité à ne rien offrir de neuf à son public pendant longtemps, trop longtemps. Limsa c’est toutes ces choses à la fois. Limsa c’est surtout bien plus encore. Car s’arrêter à cette description serait bien trop réducteur face à l’étendue des capacités de cet artiste à nul autre pareil. Un artiste qui a su se rendre indispensable dans le paysage français, sans que l’on sache vraiment pourquoi, un peu comme une évidence. Un artiste qui a retourné d’innombrables scènes et plateaux freestyles, sans que jusqu’alors, il en soit le personnage principal, mais avec une maîtrise de la rime et du bon mot qui donne le tournis et qui rend chacune de ses apparitions mémorables .
A la veille de la sortie de son nouveau projet intitulé Logique Part 1, référence à l’une des ses gimmicks, nous nous sommes entretenus avec Limsa, pour essayer de comprendre son cheminement créatif et pour qu’il puisse nous apporter son regard sur les 5 titres composant ce projet. Rencontre.
En 2018, Limsa semble revenir plus fort et déterminé que jamais avec trois singles sortis coup sur coup : “FF”, Lolita” et “Woof”. Une dynamique qui au final ne semble pas se confirmer et qui voit le rappeur redevenir silencieux jusqu’à début 2020: “Je n’ai plus trop fait de musique en 2019, je continuais toujours à écrire mais je ne posais rien et ce que j’écris je ne savais alors même pas pourquoi j’écrivais. Sûrement qu’inconsciemment je préparais mon projet mais sans plus ». Une période de flottement donc mais qui n’est heureusement que provisoire, avec plusieurs éléments poussant Limsa à se remettre au travail : “Déjà un moment je me suis dit que cela faisait longtemps que je n’avais rien sorti. “FF” est un titre qui m’avait valu beaucoup d’amour de la part des gens et à chaque fois que ces mêmes personnes me rappellent que je suis un rappeur, j’ai envie de leur envoyer de nouveaux titres. Toutes ces personnes qui me soutiennent alors que j’ai sorti 3 titres en 3 ans méritent cela. Il y a aussi eu la volonté de sortir un projet dont je pourrais être fier plus tard, je ne sais pas combien de temps je vais encore rapper et Les Fleurs De Limsa comportent un certain nombre de morceaux un peu obsolète. Le rap est une musique qui évolue super vite, ce projet sorti en 2015 est composé de titres datant de 2013 pour certains… Dans ma tête je préfère me dire que Logique est mon premier projet.”
Ce nouveau projet est donc composé de titres dont l’écriture et l’enregistrement sont beaucoup plus récents : “Le plus vieux titre date de 2018, sinon tout le reste c’est dans les six derniers mois. Cette année j’ai plus écrit que dans tout le reste de ma vie.”
Un autre événement qui semble pousser Salim un peu plus vers la lumière est la participation à sa propre Grünt, sortie début 2020 et qui sonne comme une véritable reconnaissance pour cet artiste : “Ce serait mentir de dire que cela ne m’a rien fait. Ma première apparition sur YouTube c’est sur la Grünt de Georgio en 2013.
Souvent, quand ça parlait de moi, c’était au sujet d’une de mes apparitions dans une Grünt. On a un peu une histoire en commun, on m’affilie beaucoup à eux et c’est assez logique. Je kiffe ce délire, des prods, des micros, personne ne peut tricher, il y a une certaine électricité pendant le freestyle et ça je kiffe vraiment! Quelques-uns de mes plus beaux moments de rap ont eu lieu lors d’une Grünt, c’est une belle émotion. La Grünt de Georgio, puis celle de Sopico et enfin la mienne…J’estimais que je ne la méritais pas vraiment, j’avais sorti peu de choses face à d’autres rappeurs qui ont eu leur Grünt après avoir sorti plusieurs projets, donc c’est un véritable honneur.”
Difficile de ne pas imaginer que placer l’artiste en tête d’affiche de cette émission est une manière aussi pour l’équipe de pousser un peu Limsa vers la lumière, ce que l’artiste semble reconnaître : “Franchement, ça leur ressemble de faire ça, qu’ils aient eu envie de me donner un petit coup de pouce. C’est vrai que cette Grünt est comme un nouveau départ, je suis presque un nouveau dans ce game alors que je suis là depuis longtemps. Il y a pleins de types comme PNL ou Hugo TSR qui peuvent disparaître pendant des années et revenir et faire un carton. A ma modeste échelle, je ne pense pas être dans cette situation même s’il y a en effet un peu d’attente autour de mes sons car les gens ont envie d’autres choses que de me voir faire des blagues derrière un micro.”
Limsa revient donc nous apporter du nouveau mais à son rythme et toujours avec son sens de l’humour : “Ce projet c’est la première partie du volume 1. A la rentrée il y aura donc la seconde partie du volume 1. Logique ! J’ai maquetté mon projet chez Lacraps l’été dernier puis pendant le confinement et les versions définitives ont été enregistrées au Dojo et au studio de Waxx et le master on le doit à Shien.”
Limsa nous parle des 5 titres de Logique Part 1 :
“4 Décembre” (prod. Mani Deïz)
Ce titre qui fait office d’intro du projet est en deux temps puisque l’instru met du temps à démarrer. On peut y entendre le MC clamer à plusieurs reprises : “Hier ressemble à demain ».
“Cette phrase fait référence au titre d’un morceau de Nysay, le groupe de Salif, c’est un petit clin d’oeil, j’adorais ce morceau étant petit. C’est une phrase qui rappel les “Demain C’est Loin” et autres et qui en effet évoque le fait que les jours et les situations se ressemblent malheureusement beaucoup et n’évoluent pas.
Ce titre s’appelle “4 Décembre” car c’est le jour de ma naissance dont déjà c’est plutôt logique. C’est également le premier morceau que j’ai contextualisé comme étant partie intégrante du projet et que ça serait l’intro. Ça fait deux ans que je sais que ça sera l’intro, c’est donc le morceau le plus vieux. C’est un texte que j’ai balancé au Planète Rap de Lomepal, les gens m’avaient fait de bons retours, ça m’avait rassuré sur le texte.
Sur la forme musicale, mon inspiration c’est l’intro de LVA 1 de Isha, où il y a deux couplets sans beat et je cherchais un délire d’intro pour aller avec ce texte. Je trouvais ça fort de rien mettre sur assez longtemps avant que la prod ne parte.”
“Attiré Par La Night” (Prod. Zek)
“Ce morceau je l’ai écrit il y a deux mois chez Lacraps pendant le confinement. C’est un morceau de gogole on ne va pas se mentir, il faut se divertir. Le secret, c’est de trouver le flow le plus con du monde, de le répéter à l’infini et puisqu’il est bête tu le rends encore plus bête avec des paroles débiles.
Zek c’est avant tout un super pote. Professionnellement, il m’envoie des prods, il me donne son avis, je lui fait écouter mon taffe mais c’est surtout un honneur qu’un artiste comme lui aime ce que je fais, je suis grave content de le connaître. »
“Lost Highway” (Prod. GooMar)
« Quand j’ai reçu la prod j’ai failli foutre le feu chez moi tellement elle est folle donc j’ai eu beaucoup de pression pour écrire un bon texte car si ça foirait c’était uniquement à cause de moi. J’ai commencé à me prendre la tête sur le thème, fallait que je trouve un délire. J’ai d’abord écrit un 16 dessus, en laissant respirer mon cerveau deux jours puis je refais un autre couplet qui n’a strictement rien à voir avec le premier. Un couplet qui parle d’une aventure avec une meuf, l’autre qui est plus en mode rap conscient. Du coup j’ai eu l’idée de couper chaque couplet en deux et de les croiser entre chaque 8, comme un flash. Je trouvais ça cinématographique, c’est pour ça que j’ai appelé le morceau comme le film de David Lynch dont le scénario est un peu zinzin aussi. »
“Avec Moi” (Prod. Yung Cœur)
Sans doute le morceau le plus marquant du projet où l’artiste se dévoile d’une manière extrêmement intelligente et avec une sensibilité déconcertante: “C’est mon morceau préféré pour être honnête. Je suis de cette génération où même dire je t’aime à sa mère ça ne se disait pas, où la pudeur faisait l’homme. Tout le rap que j’ai écouté petit, c’était toujours des mecs qui ne parlaient jamais d’eux-mêmes en des termes subversifs puisque la sensibilité est devenue une subversion. Un de mes rappeurs préférés, c’est Salif, qui incarnait la méga caillera mais qui était écouté par des cailleras et je le trouvais super intelligent de pouvoir dire des choses très sensibles au travers de sa posture.
Souvent aujourd’hui dans la musique, les personnes qui ont des postures de force ne l’utilisent pas pour autre chose que pour nourrir leur image. Jamais on entendra une caillera dire que sa meuf l’a trompé, même si ce sont des choses réelles de la vie qui n’arrivent pas qu’aux autres. En réécoutant Salif en grandissant, j’ai su capter cette subversion. Dire “Nique la Police” ce n’est pas être subversif, tu parles à un public convaincu, en réalité tu ne dis rien.
Du coup moi j’essaie d’inclure cette subversion dans mes propos. Je ne te dis pas que tout le monde bicrave au quartier, ni que tout le monde est gentil je te dis juste que c’est comme ça. Le rap c’est souvent une histoire de posture avec la rappeuse féministe, le rappeur qui bicrave des tonnes, celui qui gobe des pilules… Tu as très peu de rappeurs qui sont eux-même. Je rap comme je vois la vie: avec des nuances. Je suis donc de plus en plus à l’aise de parler de moi-même. Le rap est hyper codifié et super facile à assimiler. Le seul truc qu’on ne peut pas me voler c’est d’être moi-même, personne ne peut me voler cela”.
“Duper” (Prod. Zek)
“Encore Zek à la prod, c’est le boss ! Pour ce titre, j’étais justement chez Zek, il me faisait écouter des prods. Ça faisait longtemps que je n’avais pas rapper sur un BPM boom-bap, j’ai kiffé la prod, je me la suis écoutée en boucle dans les transports, sur tous mes trajets et j’ai écrit dessus petit à petit. Je fonctionne beaucoup au dosage dans mon écriture. Sur un 16, si mon premier 12 est orienté conscient, je mets une petite goutte golri pour équilibrer. J’ai trouvé ici le délire du refrain qui revient dès le début et après j’ai tourné autour.”
Au final, cinq titres qui sauront confirmer les énormes attentes du public envers Limsa et qui laissent entrevoir tout le potentiel de ce MC hors norme. La part 2 devrait sans aucun doute voir apparaître des collaborations attendues avec Georgio ou encore Isha et aussi confirmer tout le bien que le rap français pense de Limsa. Une chose est certaine: Limsa est aujourd’hui bel et bien lancé et la suite permettra ainsi de confirmer le nouveau statut de l’artiste. Logique.