Santi repousse les limites de l’Afrofusion nigériane
Ces deux dernières années, la planète hip-hop a eu le regard braqué sur le Nigéria. Pour cause, des artistes remarqués se sont imposés progressivement par l’originalité et la puissance de leurs flows, à commencer par Santi, dont on vous brosse aujourd’hui le portrait.
L’anecdote remonte à 2018, mais elle interpelle et permet de comprendre en partie le phénomène Santi et plus largement les mouvements sur la scène nigériane. En juin 2018, la toile a été une énorme caisse de résonance pour le rappeur nigérian Falz The Bahd Guy. Il est rappeur, nigérian, et dévoile son titre politique « This Is Nigeria » dont l’objectif principal est de provoquer une onde de choc auprès de la jeunesse, en vue des élections nationales prévues en 2019. Bien que sa verve soit une force sans commune mesure pour dénoncer la corruption chronique de son pays, le fléau Boko Haram, ainsi que les discriminations subies par les minorités religieuses au sein du pays, Falz a su donner un écho international à une cause nationale, en produisant l’exacte réplique d’un clip américain bien connu.
Dans son clip qui cumule environ 4 millions de vues en moins de 15 jours – un vrai raz-de-marée pour un artiste peu connu – Falz reprend in extenso les codes du célèbre titre « This Is America » de l’artiste africain-américain Childish Gambino. Une mise en scène et des références qui contribuèrent à propulser à l’international ce jeune artiste.
Cette réappropriation, qui fut un franc succès pour Falz, est un exemple clé de la force de l’hybridation culturelle que l’on devine aussi chez Santi. Mais aujourd’hui, le constat n’est plus tout à fait le même, et l’hybridation culturelle est plus discrète, plus insidieuse. Bien qu’elle soit une une rampe de lancement pour un retentissement planétaire, elle n’est pas appréhendée comme une fin, mais bien plus comme un moyen. Car les artistes nigérians restent fidèles à une forme d’authenticité et ne sont plus dans le simple mimétisme grossier des artistes américains.
Santi, le caméléon nigérian
À 27 ans, Osayaba Andrew Ize-Iyamu connu sous le nom d’artiste Santi, peut être considéré comme l’un des futurs chefs de file de l’afrofusion nigérian. En 2016, son premier titre « Gangsta Fear », en featuring avec Odunsi (The Engine) – consacré comme l’une des figures de l’afrofusion – marqua très certainement le début de sa carrière et son adhésion symbolique à ce genre musical, fondé sur l’hybridation. Mais Santi, n’a pas toujours été Santi. Il a commencé sa carrière sous le nom d’Ozzy B sur SoundCloud et à cette époque, son style était encore en gestation. À 18 ans, il réalise une première mixtape Diaries Of A Loner produite par BankyOnDBeatz, dans laquelle il accorde une place de choix à des artistes comme Michael Jackson ou encore Lil Wayne. Premier constat : son début de carrière est résolument rap. Rétrospectivement, Santi reconnait par ailleurs que cette période artistique était une parenthèse.
I was on an unclear road using a very rough map to navigate
Nourri d’influences telles que le R&B, l’indie, la pop ou l’afrobeat, son style est protéiforme. C’est très progressivement qu’il s’oriente vers un style musical « glocal » où se conjuguent l’influence des hits des années 90 et 2000 et la musique traditionnelle africaine qui n’est pas uniquement nigériane. Car à cette même époque, le métissage musical africain a déjà été largement soutenu par le développement du câble et en particulier de la chaîne Channel O, qui diffusait sur un même canal et en continu, tous les sons du continent africain. Lui succède ensuite la célèbre chaîne MTV Base (Groupe Viacom), qui ébranle le paysage artistique avec sa diversité, son ancrage afro-pop et l’essor du clip. Loin d’y être insensible, ce nouveau média a joué dans le positionnement artistique de Santi, par les perspectives de développement qu’elle offrait.
Cependant, les choix artistiques de Santi ne sont pas sans conséquence. Dans un pays comme le Nigéria, les coutumes et traditions sont très enracinées, aussi ce parti-pris musical est parfois considéré comme un acte de rébellion fort et un affront aux yeux de générations plus conservatrices. Mais il y a une volonté pour Santi de s’affranchir des normes sociales, religieuses, et de lutter pour une liberté d’expression totale.
La philosophie de Santi est claire. La création est un impératif et celle-ci ne doit avoir aucune limite, qu’elle soit créative ou territoriale. S’il se sent investi d’une mission, dans laquelle la survie de la culture nigériane est une composante essentielle et l’une de ses motivations, il ne nie pas que les artistes de son pays ont un devoir impérieux de se réinventer à l’envi. De fait, Santi fait partie de cette nouvelle scène alternative ou « alté » qui se dessine au Nigéria, et où certains artistes comme Burna Boy, Wizkid, Odunsi (The Engine), ou encore Mr Eazi, s’activent avec énergie.
Suzie & Mandy, les muses inconnues de Santi
Le 30 juin 2016, il sort Suzie’s Funeral, produit par le collectif Monster Boyzs. Ce collectif nigérian dont faisait partie Santi à sa création, est alors composé de BankyOnDBeatz, GMK et Genio Bambino. Comme Mandy & The Jungle, Suzie est également un personnage de fiction, que Santi présente comme une guerrière qui se sacrifie au combat pour lui permettre de réaliser ses rêves. Si l’histoire peut paraître mièvre, elle raconte d’une manière détournée les difficultés rencontrées par Santi pour percer aux côtés d’un entourage parfois toxique.
Car dans Suzie’s Funeral, les démons, les monstres, les diables se succèdent en abondance comme sur le titre rappé « Demon Flow » ou « 2 Sipping », dans lequel les références à l’esprit et à la superstition sont nombreuses. Mais s’il y a bien un titre qui est la parfaite illustration de l’ambition de Santi, c’est définitivement « Purple Juice ». Les couplets rappés y font l’effet de percussions et incarnent bien l’esprit hip hop et afrofusion.
L’étape clé de Suzie’s Feneral, c’est bien évidemment la collaboration entre Odunsi et Santi sur l’excellent titre « Gangsta Fear », où les influences afro-caribéennes se mêlent à la musique électronique.
Sur tous ses projets confondus, Santi s’inspire d’artistes locaux comme Baba Fryo, connu au Nigéria pour sa musique de rue, très reggae / dancehall ou encore Lagbaja, saxophoniste et percussionniste dont les rythmiques jazz et afrobeat sont à l’origine de sa célébrité nationale. Côté artistes internationaux, il compte parmi ses modèles Davido, Runtown, Wizkid, et comme pour trouver un compromis, il rappe en pidgin english, un anglais « cassé » dont la base est le créole.
Dans son dernier album studio Mandy & The Jungle, de près de 16 titres et sorti en mai 2019, Santi marque des points parce qu’il parvient à se roder. Il arrive à créer un univers autour de son album, des atmosphères, et un personnage de fiction symbolique. Car même s’il prétexte que cet album a été conçu alors que son esprit était une véritable forêt dense ; une première écoute laisse plutôt suggérer que le projet est un jardin à la française. Bien plus qu’une jungle, tout est travaillé, précis et sans fausse note.
Dans Mandy & the Jungle, Mandy est un personnage fictif, apathique, qui s’interroge sur sa raison d’être au monde. Bien que sommeille en elle un génie créateur et une capacité à influencer, elle n’a pas le courage d’oser. Représentée sans visage sur la cover de l’album, elle peut être interprétée comme la personnification de ces artistes nigérians, encore inconnus, qui constitueront demain la scène alternative du pays, capable de secouer une scène hip hop mondiale.
Les 16 sons sont émaillés de références nombreuses. D’autres influences sont plus insidieuses, c’est le cas de l’excellent titre « Rapid Fire » feat. Shane Eagle, Tomi Agape et Amaarae où Santi déverse son flow reggae / dancehall, accompagné par la voix sirupeuse et sensuelle de la chanteuse nigériane Amaarae. Une intervention dans laquelle, Amaarae, reprend à son compte le flow du titre « I’m Real » de Jennifer Lopez et Ja Rule et plus particulièrement ce couplet « I met so many men and, It’s like their all the same, my appetite for lovin is now my hunger pain and when I’m feelin sexy who’s gonna come for me (…) » qu’elle modifie à la marge. Enfin deuxième titre incontournable et coup de cœur de l’album, « Sparky », produit par Odunsi.
Sur d’autres titres comme « Turn Down Mami » et « DSM » l’univers est quant à lui résolument pop. Santi reprend des parties explicites de « Remember The Time » de Michael Jackson sur « DSM ». À l’inverse, des morceaux comme « Monte Claire » ou « Raining Outside » sont plus calmes et mesurés mais tout aussi addictifs. Enfin, « Maria » vaut bien quelques minutes d’attention, puisqu’il convoque GoldLink et la performance des guitares est assez impressionnante. Bien que Suzie et Mandy soient différentes, certaines productions se font écho, c’est le cas pour le titre « Freaky », qui fonctionne comme le pendant de « Purple Juice » présent sur Suzie’s Funeral.
À ce stade, Santi est un artiste prometteur à l’univers très intéressant. En plus de s’inscrire dans un genre musical qui a la cote actuellement, il sait s’entourer. Avec à ses côtés Monster Boyz et le brillant Odunsi, qui fut producteur exécutif de son projet Mandy & The Jungle, la prestation devait être de qualité. Même s’il ne se produira pas en concert tout de suite, Santi assurera la première partie du concert de GoldLink à Paris courant novembre. Pour ses futurs projets, c’est désormais sur le label américain Love Renaissance (LVRN), où figure également Summer Walker, qu’il poursuivra son odyssée musicale.