Vald – Ce monde est cruel

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11 octobre 2019

Vald

Ce monde est cruel

Note :

Vald sort son troisième LP Ce Monde est cruel pour offrir une vision aussi mirifique et désillusionnée que le personnage incarné par le rappeur d’Aulnay-sous-bois. Il oscille dans ce projet entre désenchantement et affirmation de nouvelles ambitions personnelles. Décryptons.

« Chacun de nous accepte la réalité du monde auquel il est confronté ». Ce constat particulièrement fataliste sur l’existence humaine tiré du film The Truman Show (1998) aura su trouver dans le rap ses plus fidèles héritiers. En effet, la scène américaine est aujourd’hui prise d’assaut par une musique mélancolique, sombre, pouvant parfois mener jusqu’à l’évocation du suicide.

Il peut être intéressant de s’attarder sur une comparaison entre Vald et la vague dépressive qui déferle sur le rap US depuis quelques années. Le mal-être d’artistes tels que Post Malone ou XXXTentacion entre parfaitement en résonance avec l’univers que le natif d’Aulnay-Sous-Bois (Seine-Saint-Denis) défend depuis ses premiers projets. On se souvient tous du refrain « J’ai envie de me suicider comme Kid Cudi » présent sur l’album Agartha sorti en 2017.

Presque un an après sa dernière sortie officielle – celle de la mixtape NQNT33 – Vald est de retour avec un album long de 16 titres intitulé Ce monde est cruel. Toujours accompagné par le beatmaker Seezy avec qui il semble avoir trouvé une complémentarité tant idéale qu’inédite, il dévoile un disque dans lequel il adopte une double position vis-à-vis du monde qui l’entoure : malgré une description très sombre de sa vie, l’espérance semble faire jeu égal avec le fatalisme qu’on lui connaît.

Noirceur totale

Avis à ceux qui comptaient sur un album de type blockbuster accessible sur le modèle ASTROWORLD (2018) de Travis Scott : Ce monde est cruel vous déroutera. En effet, les ambiances sonores, diamétralement opposées aux titres tels que « Désaccordé » ou « Eurotrap », participent grandement au caractère torturé de l’album. La recherche d’un tube n’est clairement pas la priorité de la direction artistique, en témoigne le premier single dévoilé mi-septembre. Ainsi, « Journal Perso II » est un choix audacieux pour une promotion d’album puisque bâti sur une boucle de piano lente et mélancolique réalisée en co-production par Sofiane Pamart et Seezy.

Les productions du disque forment un parfait écho à la noirceur d’esprit de Vald et permettent à l’artiste d’exprimer au mieux son malaise dans la société, comme lorsqu’il dit « le goût de la merde, c’est le même tous les jours ; si la haine revient, faut que je rallume un oint-j » (« Poches pleines »). La drogue fait toujours l’objet de nombreuses réflexions, notamment dans ce même morceau où il constate aussi que « l’évolution n’aura fait qu’un tour ; alcool et shit, et on redevient des singes ». On retrouve ici ses remords quant à son utilisation de la drogue comme moyen pour trouver une certaine paix intérieure.

L’auteur de XEU exploite cette ambiance sombre pour faire allusion aux traits de sa personnalité qui le rendent encore plus inadapté au monde qui l’entoure. Alors que très peu d’artistes rap abordent le sujet, il n’hésite pas à être direct lorsqu’il évoque sa difficulté à s’intégrer en société : « Tu me connais, je suis un très très grand timide » (« Poches pleines »). Il peint le tableau d’une vie banale, bien loin des stéréotypes liés au luxe dont jouissent les artistes à succès. Ainsi, dans une interview accordée à Clique, Vald explique que son quotidien s’articule seulement autour de deux activités principales : aller au studio et regarder des vidéos sur YouTube.

Une longue réflexion sur l’argent

« La fortune du Qatar pour trouver la paix comme Kurt Cobain ». Cette phrase reflète à merveille le sentiment très présent dans ses textes, c’est-à-dire la nécessité de jouir d’un confort financier pour atteindre le nirvana – d’où l’allusion faite au leader du groupe de rock des années 1990. C’est néanmoins dans le morceau « Dernier retrait » en collaboration avec SCH que Vald évoque l’argent comme étant une fin en soi. Ainsi, il explique avec insolence ses intentions de se jouer de l’industrie musicale pour maximiser ses recettes : « J’arrive pas cagoulé, j’arrive en claquettes / Tout le monde a les mains en l’air, je prends la recette / Sur le retour, on s’arrête en showcase, ça coupe même pas le contact ».

Il dénonce cependant régulièrement l’omniprésence de l’argent dans la société, qui tend à ne reconnaître que la richesse. Lors d’une émission pour la chaîne OKLM TV, il prend l’exemple d’une expérience personnelle – un kebab offert gratuitement par le chef du restaurant grâce à sa notoriété – pour en tirer un paradoxe très pertinent : c’est aux gens les plus riches qu’on offre le plus, les plus démunis étant destinés à l’invisibilité.

Bien qu’il souhaite « louer la Tour Eiffel » pour régner sur le monde à la manière de PNL, Vald est conscient que l’argent ne mène pas forcément tout droit vers le bonheur, à tel point qu’il utilise fréquemment l’image des Enfers pour évoquer les sommes astronomiques qu’il perçoit.

Le sexe et l’argent ça fait tout ; j’ai les deux et pourtant ça fait rien

est assurément l’une des phrases les plus marquantes du disque. Comme si le rappeur avait compris que l’essence même du bonheur se trouvait davantage dans des considérations immatérielles qu’au moyen d’envies presque perverses.

Déjouer les systèmes sociaux établis

« On répond déjà à un algorithme ». Lorsque l’on se penche dans les paroles de ce nouvel album, il n’est pas difficile de déceler l’influence de films comme The Truman Show et Matrix dans l’écriture de Vald. Pour rappel, ces derniers proposent de nombreuses réflexions concernant l’existence humaine et le rôle que chaque individu joue au cœur d’une société établie. L’outro du morceau « No Friends » met en évidence la prétendue matrice qui pourrait régir la vie de chaque Homme, conditionné à agir d’une manière clairement définie par une entité supérieure. Le rappeur essaie de trouver des réponses à ses questionnements, comme lorsqu’il demande « Qui tient le bâton quand c’est toi la carotte ? » (« NQNTMQMQMB »).

Et si les théories du complot disaient donc vrai ? Véritablement obsédé par ce spectre d’une manipulation globale et incontrôlable, Vald essaie de donner des pistes de réflexion à ses auditeurs, afin que ces derniers prennent pleinement connaissance de la complexité du monde dans lequel ils évoluent : « Pans de l’histoire ils ont delete » ou encore « On te donne pas les armes pour voir la magouille / On te donne Chalghoumi et Vincent McDoom, même Sylvain Durif / Du divertissement pour tous les profils ».

Vald se lance également dans une critique acerbe de réalités plus concrètes auxquelles est confrontée la société française. On sent un homme désabusé et incisif, notamment lors du dernier morceau intitulé « Rappel ». Le titre est éloquent et sert de parfaite conclusion au projet tant il regroupe les différentes observations ayant construit les propos du disque. C’est ainsi qu’on y retrouve dans le même couplet des affirmations telles que « Ni se nourrir, ni se loger n’est gratuit, je crois qu’avec ça j’ai tout dit » mais aussi « Pour travailler donc pour manger, on te prend à trois ans, on te lâche à vingt-cinq / Tes meilleures années si tu pars avant, tu démarres en bas de la pyramide ».

Les dernières années ont indéniablement marqué un tournant dans la manière dont la société envisage les relations entre femmes et hommes, avec une vraie réflexion menée sur les privilèges sociaux dont jouissent ces derniers. Vald le reconnaît en se qualifiant lui-même de « mâle-blanc-hétéro-cisgenre-carnivore ». La collaboration avec son ami de longue date Suikon Blaz AD sur le morceau « NQNTMQMQMB » aboutit également à une critique du comportement bestial de certains hommes vis-à-vis des femmes : « Y’a un tas de tonnes de sales cons dans le déni / Pourquoi tu klaxonnes ? Bad boy, sans le faire tu fonds comme calotte / Salope clito-sceptique, que des rapports hardcore ».

L’indépendance pour échapper à la matrice

Vivre muselé, hors de question pour Vald. Il se refuse à toute soumission et se tient le plus fidèlement possible à ses principes, à l’image de son refus de participer à une vie politique qu’il juge trop défaillante pour être légitime : « Jamais je vais voter, la monnaie gouverne ». L’éloignement de ce système est donc pour lui la seule manière de conquérir une certaine liberté. En utilisant la figure du moine tibétain, il montre à quel point sa vie serait meilleure s’il alliait isolement, sagesse et travail. Déjà lancé sur la piste de cet idéal, il « fai[t] bien plus qu’avant-hier, tellement moins qu’après-demain » (« Keskivonfer »).

« VALD, le D c’est pour décalage ». Rien de mieux pour achever son indépendance que s’affranchir des maisons de disques : l’artiste vient d’annoncer le lancement de son propre label, après avoir sorti trois albums studio sous la bannière de Universal Music. Lui aussi originaire de Seine-Saint-Denis et fondateur du label Affranchis Music, Sofiane Zermani (alias Fianso) semble avoir donné l’exemple en matière d’entreprenariat. Ce dernier a développé les carrières d’artistes tels que Heuss l’Enfoiré et Soolking ; Vald essaiera de faire de même pour ses acolytes Suikon Blaz AD et Sirius. Objectif : « produire Suikon Blaz et l’envoyer à ma place ».


Cette chronique est une contribution libre de Pierre Moulineuf que nous avons choisi de publier. Si vous aussi voulez tenter d’être publié sur BACKPACKERZ, n’hésitez pas à nous envoyer vos articles via notre page de contact.

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