EARTHGANG, la plus grande promesse de l’écurie Dreamville, vient de sortir Mirrorland, leur premier LP depuis qu’ils ont rejoint la machine à succès de J. Cole. Un album où l’hommage à la musique d’Atlanta s’inscrit plus qu’en filigrane et dans lequel ils l’affirment : ils ont pris leur envol.
Atlanta, legs et héritage
Commençons par une devinette. Quel duo originaire de la capitale de la Géorgie a déjà tourné les projecteurs de la renommée sur la vitalité artistique de sa ville d’origine ? En a profité pour polir la gemme du hip-hop de son talent et offrir à des générations (au moins deux à date, et c’est déjà un bel exploit) une musique profonde, légère, inspirée, décalée, énergique, parfois angoissée mais toujours renouvelée ? Aucune raison de jouer avec les nerfs des plus sagaces : il s’agit d’OutKast, dont les légendes Big Boi et André 3000 peuvent se targuer d’avoir transmis un héritage reçu 5/5 par nos amis d’EARTHGANG.
Si l’héritage de ce groupe qui a donné tellement de frissons et ouvert de nouveaux horizons aux amateurs de rap est difficile à porter, la première écoute de Mirrorland ne peut empêcher de penser à l’oeuvre d’Outkast. Et si la comparaison numéraire est simple à conclure, on distingue à l’écoute de cet opus une aisance et une mise en avant d’une certaine musicalité qui fait écho à la recherche permanente de nouvelles audaces sonores du Duo Originel. La facilité (ou le manque de subtilité au mixage, c’est selon l’angle où on se place) avec laquelle EARTHGANG passe de morceaux comme « Bank » à « Proud of U » ou d' »Avenue » à « Tequila » indique justement qu’ils ont envie d’occuper un terrain musical vaste et aux frontières poreuses.
Avec succès ? Sûrement. Avec la même virtuosité que leurs inspirateurs ? Soyons honnêtes, pas encore. Pourtant, même si la critique pointe du doigt une faiblesse, elle se mesure à la comparaison sur laquelle nous les avons engagé : nul ne pourra égaler OutKast. Les bonnes étoiles qui ont donné la fibre artistique, les personnages et l’histoire de ce duo exceptionnel se sont déjà alignées une fois. Estimons-nous heureux.
Pink Floyd… OutKast… Est ce à croire que les natifs d’Atlanta ne doivent exister que sur l’autel des comparaisons ou des parallèles? Assurément non, nous avons trop de respect pour les artistes pour les « limiter » à cela. Leur liberté de ton, l’énergie qu’ils déploient aussi bien sur scène (recommandation personnelle même pour celui qui n’est que peu réceptif à leur musique) qu’en studio mérite mieux qu’un parallèle fainéant. Il faut dire qu’en sortant un projet relativement long, EARTHGANG prend un certain nombre de risques. Le premier étant la lassitude potentielle de l’auditeur dont il est de plus en plus difficile de retenir l’attention. Le second est la date de release, après les sorties de Bas, de Revenge of the Dreamers III et de l’opus de J.I.D qui ont mis la barre très haut. Enfin le dernier, c’est d’annoncer un chef-d’œuvre dont chaque track représente autant de possibilité d’échec.
Pas le fruit du hasard
Finalement, ce projet annoncé de longue date et avec une pointe d’emphase est, du propre aveu de ses concepteurs, le fruit d’un long travail préparatoire. Travail qui a été engagé voici au moins deux ans avec les sorties successives des EP Rags (été 2017), Robots (automne 2017) et Royalty (hiver 2018). Pour celui qui a été attentif aux remous provoqués par ces opus, on ne peut les réduire à des clins d’œil aguicheurs adressés à Dreamville Records. Les membres du groupe Johnny Venus et Doctur Dot confessent d’ailleurs à Consequence of Sound que ces EP constituent comme des marches vers la rampe de lancement que représente Mirrorland.
La dernière marche, Royalty donc, imprime déjà les tendances qui feront le corpus de Mirrorland. Notamment dans l’équipe de production où l’on retrouve un Childish Major (notamment sur « Nothing but the Best » pour Royalty et « Top Down » pour Mirrorland) qui n’a pas encore arrêté un choix clair entre une carrière de MC et celle de producteur. Comme les membres d’EARTHGANG savent d’où ils viennent et aiment travailler en famille, on retrouve aussi sur Royalty Mereba ou Ari Lennox.
Enfin, si le voyage auquel EARTHGANG nous convie est fait de couleurs vives, de positivisme et finalement, de beaucoup d’humanité, il est aussi fait de phases hallucinées où la réalité est dure à assumer d’où l’ambivalence de vivre au pays du Miroir.
La touche Dreamville aux manettes
Décidément, J. Cole a décidé de se donner les moyens pour mettre les artistes de son label sur orbite. En s’appuyant sur une recette qui a déjà offert le succès qu’on connait à TDE, on retrouve à la production de Mirrorland les têtes pensantes et les mains habiles qui ont conçu les derniers succès des artistes du cru. Ron Gilmore par exemple, qui a permis à Bas de s’exprimer pleinement sur Too High to Riot et Milky Way, est crédité sur quatre morceaux de l’album (« Avenue », le délicieux « Blue Moon », le single « Stuck » et le riche « Fields »).
Soulignons aussi les présences notables à la production de J. Cole en personne (sur le premier morceau « LaLa Challenge »), de DJ Dahi, celle de l’homme à tout faire Elite ou encore de DJ Khalil. Si Dahi et Khalil ne sont pas directement affiliés au label, leur présence a le don de souligner l’attractivité d’une écurie dont les artistes aux inspirations protéiformes et à l’expressivité tellement variée savent convaincre les meilleurs.
En termes de contenu, l’opus se présente comme une ballade en 14 actes (et sans refrain) en hommage à la ville d’Atlanta où toute la puissance de l’héritage musical de cette ville se fait ressentir. Si cette ballade n’offre pas toujours des notes légères et qu’elle se veut parfois un peu grinçante, c’est que le voyage auquel nous convie EARTHGANG dans son miroir n’a pas toujours vocation à montrer de la beauté. Pourtant, ils affirment que même ses pustules de laideur n’empêchent pas Atlanta d’être la plus belle. Situation superbement illustrée par le dernier morceau du projet « Wings ».
Est-ce l’opus de l’envol pour EARTHGANG ? L’avenir le dira. Ce qui est certain, c’est que Mirrorland constitue le projet le plus sophistiqué et le plus argumenté de la discographie du groupe d’Atlanta. La patte de J. Cole sans doute et de son carnet d’adresse, mais aussi le fruit d’un travail préparatoire d’impressionnistes qui avancent par petites touches pour dessiner un Mirrorland mirifique et effrayant.
Un très bon LP qui par sa prise de risque musical et promotionnel ainsi que la qualité de sa production s’inscrit dans la lignée du sans-faute qu’enregistre J. Cole avec ses artistes depuis 2017. Reste à voir ce que le Temps lui offrira comme destin et si Pink Floyd sera imité par ce groupe d’Atltanta. Un bémol pourtant, un seul : l’écriture d’un projet d’une telle richesse musicale devrait être un poil plus soignée pour mettre nos deux protagonistes sur orbite immédiat. Mais c’est aussi une affaire de maturité, et EARTHGANG a montré qu’ils ne manquaient ni d’audace ni d’idées.