Dans l’univers décalé de Chris Crack
Chris Crack a déjà quelques années de carrière derrière lui, mais en 2019, il semble plus que jamais avoir le vent en poupe pour s’imposer plus largement dans le paysage rap américain.
Au cours des années 2010, la ville de Chicago a vu émerger un grand nombre de musiciens de talents, underground ou mainstream. De Vic Mensa à Chance The Rapper en passant par Chief Keef, le spectre musical de Chi-town s’est élargi et s’est affranchi des légendes Common ou Kanye West (pour ne citer qu’eux). Parmi la multitude d’artistes talentueux, Chris Crack a su se frayer un chemin en proposant une musique décalée et décomplexée, qui font sa force et son originalité.
Se forger une personnalité à Chicago
C’est dans la partie ouest de Chicago que Chris Crack grandit. Élevé par une mère enseignante célibataire et un père peu présent, il en vient très vite à aduler son frère, gangbanger et dealer de drogue, qu’il voit comme un modèle. « My big brother went to jail when I needed him » dira-t-il sur « The Last Blockbuster ». Dès l’âge de 13 ans, Christopher J. Harris (de son vrai nom) commence donc à vendre de la drogue dans les rues de la Windy City afin de s’acheter ce que sa mère ne pouvait pas se permettre de lui payer (même s’il n’a jamais vécu dans le besoin). Peu à peu, il se rend compte des problèmes de la société américaine en constatant que sa famille paternelle, d’origine afro-américaine, est bien plus en proie aux incarcérations et aux problèmes financiers que ses proches du côté maternel (d’origine canadienne). Ces différents constats vont peu à peu éveiller une conscience chez le rappeur, jusqu’à motiver la critique du déterminisme social qu’on retrouve parfois dans ses textes.
Alors qu’il alterne entre scolarité et deal de drogues, Chris Crack se plonge peu à peu dans la musique. C’est au lycée qu’il récite ses premiers textes de rap. Du moins, il fait croire à ses camarades qu’il s’agit de ses textes, quand il récite en fait les chansons de Missy Eliott, jusqu’au jour où la supercherie éclata au grand jour.
Au lycée, il rencontre alors Cutta, jeune blanc issu d’une famille de musiciens, avec qui il se lie d’amitié. C’est ce dernier qui aidera Chris a se lancer dans le rap en l’invitant à enregistrer dans le studio de ses parents et en le conseillant sur ses créations musicales. Au fil des années, le jeune rappeur devient plus mature et change certains aspects de sa musique selon ses prises de conscience. Cutta va notamment l’aider à se développer sur le plan artistique et à adopter un style, une personnalité qui lui est propre.
Who the F- is Chris $pencer?
Petit à petit, Chris Crack parvient à se faire une place dans la scène underground de Chicago et il côtoie alors certains de ses pairs tels que Tree et Vic Spencer. C’est avec ce dernier que Chris fondera d’ailleurs un duo, bien que leurs amis respectifs leur aient toujours dit qu’ils ne s’entendraient pas.
Ainsi naît l’étrange duo Chris $pencer. Les deux compères semblent diamétralement opposés et pourtant, une grande alchimie opère. On retrouve dans ce duo le meilleur de chacun des artistes. La voix grave et profonde de Vic Spencer vient balancer le ton nasillard de Chris Crack dans une parfaite synergie. Mais ce qui regroupe les deux collaborateurs, c’est le ton de l’humour, très présent dans leur musique. Chacun y va de sa punchline délirante, tout en véhiculant un discours empreint de réalité, inspiré de leurs expériences. Leurs albums sont marqués par une certaine spontanéité, dans le flow et dans les enchaînements de couplets, un naturel qui témoigne de la symbiose entre les deux artistes.
Une alchimie résumée à la perfection par la phrase de Chris Crack sur Numb : « Me and Vic: the new Shaq and P ». Référence au duo de basketteurs Shaquille O’Neal et Penny Hardaway qui faisait fureur sur les parquets du Magic dans les années 90. Les deux talents de Chicago sortent leur premier opus Who The Fuck is Chris Spencer en 2016 qui sera suivi de Blessed en 2017. Malheureusement, comme pour le duo de la balle orange, toute bonne chose a une fin et il est très peu probable que Vic Spencer et Chris Crack s’associent de nouveau.
Productivité et indépendance
Chris Crack met vite en avant sa personnalité déjantée dans sa musique. On perçoit ce goût du second degré jusque dans les titres de ses albums ou de ses morceaux, comme en témoignent les intitulés Crackheads Live Longer Than Vegans, « Masturbate Before Making Decisions », « New Dick, Who Dis? » ou « Gluten-Free Condoms ». La voix si particulière de Chris vient appuyer son personnage extravagant, qui oscille entre histoires de proxénétisme, drogues ou conquêtes sexuelles. Il n’hésite pas à diversifier sa musique en se laisser aller au chant sur quelques morceaux, tels que « Turning Down Pussy Builds Character » ou « The Past Was Practice ». Tout ce mélange de styles vient du fait qu’il enregistre ses morceaux sur l’instant, sans planifier les choses, afin que sa musique sonne la plus naturelle possible.
Bien que l’aspect décalé des textes de Chris Crack soit ce qui marque avant tout sa musique, le rappeur de Chicago insère également dans ses textes des pans de sa vie, des sujets plus sérieux ou même des critiques sociales, qui viennent contrebalancer tout le côté clownesque évoqué précédemment. Cela passe de nouveau par des titres de morceaux à l’image de « Teach Kids Black History », « Joy More Important Than Success », « Explanation Kills Art ». Ces titres sont l’expression de son ressenti lorsqu’il entend les morceaux finis. Une façon pour le moins originale et spontanée de nommer ses tracks.
Chris Crack délivre ces récits d’une part hilarants et décomplexés et d’autre part teintés de réalité et de critique sur des boucles soulful et funk, même si le rappeur a montré qu’il pouvait s’illustrer sur tout type de beats. Il n’hésite pas à aller digger dans des musiques du monde entier pour créer sa musique. Il auto-produit une grande partie de ses albums à l’instar de Just Gimme A Minute, qu’il dit avoir produit à 85 %. Les morceaux sont généralement très courts (moins de deux minutes). Lorsque Chris Crack sort 20 titres, le projet ne dure que 25 minutes, il est donc facile de survoler son catalogue sans se lasser. Il choisit volontairement de faire des morceaux plus courts pour entraîner une meilleur replay value : un auditeur ira plus facilement réécouter un morceau très court qu’il a apprécié.
Aujourd’hui âgé d’une trentaine d’années, Chris Crack a déjà près d’une trentaine de projets à son actif, sortis en 8 ans. Le chicagoan se vend peut-être comme un rappeur déjanté, mais cela ne l’empêche pas de prendre le rap très au sérieux. Il s’efforce de travailler pour proposer les meilleurs projets possibles, passant parfois plusieurs mois sur un même morceau ou même une année entière pour assembler ses projets, en pariant à la fois sur la quantité et la qualité.
Il a récemment reçu des soutiens de Earl Sweatshirt, Freddie Gibbs, Black Thought ou encore Madlib (qui a émis l’idée de faire un album avec lui), mais Chris Crack n’est pas intéressé par l’idée de signer sur un label. Il n’a pas l’intention de devenir une superstar. Le rappeur de Chicago préfère garder sa liberté artistique et continuer de sortir des albums au rythme qui lui convient, sans parler de la question du clearing des samples, qui deviendrait source de problèmes au sein d’un label.
New MED and Guilty Simpson album on the way…
Jackson Brothers coming soon….
Thinking about an album with @chriscrackndc. What do you guys think?
— Madlib (@madlib) March 21, 2019
Il semblerait que la grande productivité de Chris Crack ait porté ses fruits et que le rappeur soit sur le point d’élargir ses collaborations à de plus gros artistes, et ainsi voir son public grandir. Une récompense méritée pour un rappeur original et décomplexé qu’il faudra surveiller dans les mois et années à venir.