Tengo John, le soleil après la pluie
Tengo John est un caméléon, qui se métamorphose pour offrir à chaque titre une couleur différente. La mixtape Multicolore rend justice à sa versatilité et à l’étendue de son talent. Un univers coloré nourri par l’orient, la culture pop et la synesthésie, qui n’a de limite que son imaginaire.
John Rainbow
Tel un arc en ciel, Théophile Grandadam trouve son équilibre entre le soleil et la pluie. En une poignée de secondes, il passe d’un hit nerveux à une douce balade. Lui n’y voit pas de schizophrénie, plutôt une volonté d’être exhaustif lorsqu’il conte ses sentiments. « Les quatre saisons me conviennent et ma musique reflète les quatre. Entre mes peines et mes joies, je cherche à être vrai, et c’est de là que ça vient. » Trop sérieux, comme il le dit lui-même, l’angoissé de nature laisse la lumière le traverser, maintenant que les choses commencent à marcher pour lui.
Parlez du rôle de la musique avec lui, vous constaterez la même dualité. Quand on lui demande d’où vient sa fureur sur « Collision », « Interphone » ou « Trois Sabres Pt. III », il répond : « La souffrance est un des grands ressorts de mon inspiration. Il vaut mieux l’extérioriser dans l’art que la garder pour soi et se renfermer. » Il calme le jeu sur « Bulle », « Printemps » et « La Vie est belle. » Des moments de calme opportuns, qui invitent à respirer. « La musique, c’est pas que pour turn up, ça doit adoucir les moeurs. » Le temps se suspend alors quelques minutes, avant que la rage ne reprenne le dessus.
Chi va piano va sano
Lui qui compose avec toutes les touches, noires et blanches, démontre par ailleurs un éclectisme troublant. Éclectisme qu’il explique par ses idoles juvéniles. « Mon premier contact avec le rap, c’est Gorillaz. Ma mère m’avait acheté les deux albums et je les ai saignés sur l’autoroute lors d’un départ en vacances. » Souvent liés à la figure maternelle, dont il est très proche, ses modèles remontent plus loin que le rap. « Barbara, ma mère adore. J’ai écouté toute mon enfance et je suis amoureux de la façon qu’elle a de retranscrire sa vie, d’être une artiste totale, entière. »
Ouvert d’esprit, il l’est enfin par le langage. L’anglais et l’italien viennent habiller son oeuvre par petites touches, comme la cerise sur le gâteau. « La langue anglaise est très belle musicalement, et ma mère parle italien, donc je l’ai pratiqué vite fait. » La mamma, encore elle. À propos, que signifie le titre du morceau « Negli Occhi Dell’Altro » ? Il traduit : « Dans les yeux de l’autre. La fille dont je parle sur le refrain se sent toujours plus belle dans le regard d’un autre que dans le mien. » Sensible sous la carapace, Tengo John accorde une grande importance à ses muses, et ce depuis longtemps.
En deux mille seize, le banlieusard dévoile presque coup sur coup les projets Près Qu’Elle et Tortue de Jade. Le premier s’inspire d’une histoire amoureuse forte avec l’allégorique Xristina. Le second emprunte à l’imaginaire du porte-bonheur chinois et inclue le titre « Trois Sabre », qui lui a valu ses premiers lauriers. Depuis, tout va très vite. « En ce moment, j’ai plutôt l’impression d’être dans la peau du lièvre, mais je reste une tortue. Mes amis me le reprochent parfois. » Doucement mais sûrement, c’est selon lui la meilleure façon de gagner la course.
Petit frère
L’enfant du jazzy, très influencé par Espiiem et la Scred Connexion, a tôt fait de se convertir à la trap sombre du mage Ocho. Le nécromancien encapsule sa noirceur sur l’EP N+UV. « L’un des premiers sons trap sur lesquels j’ai kické, c’est une instu de Three Six Mafia. Ensuite, avec « Trois Sabres », je me suis dit que je pouvais rapper sur des instrus plus rapides. » S’il n’a pas plongé dans la vague dirty south à l’adolescence, son entourage lui a depuis révélé ce typhon musical. « Toutes ces vibes plus sombres, underground américaines, c’est par des potes que je me les suis prises. »
Un de ces potes est central dans son parcours : Prince Waly. Frères d’armes au sein du label Chez Ace, les deux complices chantent en duo sur « Fayette Mafia Crew » et « Cityzen Spleen, » extrait de Multicolore. Le lien qui les unit comble leurs quelques années d’écart : « J’adore faire des morceaux avec Waly. C’est un mec en or, la crème en personne. Grosse dédicace au Prince. » Sans oublier le clan du Dojo, qui l’a beaucoup soutenu. « Pareil, c’est des amis. Surtout FA2L, qui est un frère avant même de parler rap. Pendant longtemps, je l’ai backé en concert. »
Culture geek
Facile d’imaginer ce qui lie Tengo John à quelqu’un comme Sheldon, de la 75ème Session. Entre mangas, séries, jeux vidéos, les références en commun fusent. « La culture, c’est ce qui nous constitue. Tout le monde aime la culture à sa façon, écoute de la musique ou va au ciné de temps en temps. » Un langage universel, qui lui permet de se connecter à sa génération. Si l’on gratte encore, on remarque son intérêt pour la philosophie de Sartre, Camus ou Nietzsche. « Le Gai savoir, c’est un savoir heureux. Accepter que la vie est dure et qu’on va mourir. Parce que quand on rejette les choses et qu’on les enfouit, c’est là qu’on crée les plus grandes névroses. »
Son château ambulant, ce graal inspiré de Miyazaki qu’il recherche avec fougue, Tengo John en parle depuis des lustres. Aujourd’hui, il commence à l’apercevoir. « Une belle petite maison au bord de l’eau. Près du lac de Côme en Italie. Loin de la ville, mais pas trop. Et assez d’argent pour être autosuffisant, faire pousser des légumes dans mon jardin. » Le rap est loin d’être une fin en soi pour qui rêve de dolce vita loin des rumeurs de la ville. En attendant, la musique reste son quotidien. Il ajoute même de nouvelles teintes à sa palette, dans un neuf titres prévu à la rentrée. Prêts à en voir de toutes les couleurs ?