VanJess, le duo qui réinvente le R&B des nineties

Aussi douces et majestueuses que le nom de leur album Silk Canvas, les deux sœurs, Ivana et Jessica Nwokike sont une seule âme en deux corps à l’image de leur nom de scène, né de la contraction de leurs deux prénoms respectifs. Voix langoureuses, corps reptiliens, déhanché mesuré, elles chantent aussi bien qu’elles dansent et envoûtent avec elles un conglomérat de fans, à la fois rêveurs et nostalgiques d’un certain âge d’or du R&B.

Une adolescence sous influence

Nées au Nigéria, Ivana et Jessica n’étaient pas prédestinées à la musique. Même si l’attraction ne s’est jamais démentie, l’idée d’un jour y faire carrière relevait bien plus d’une fantaisie enfantine que d’un projet de vie. À l’âge de 7 ans, l’expérience éprouvée de la musique n’est circonscrite qu’à des chants de célébration lors des grandes réunions de famille ou des prestations d’enfants de chœur. Ironie de l’histoire, c’est sur le banc d’une église, qu’elles trouveront leur actuel nom de scène qui servira à baptiser leur chaîne YouTube.

À 10 et 8 ans, Ivana et Jessica arrivent aux États-Unis à Fontana (Californie) avec leurs parents. Elles découvrent un inventaire musical redoutable, et fourbissent leurs premières armes. Des heures durant, elles écoutent et éduquent leur oreille à une série d’influences qui constitueront leur ADN.

Elles trouvent l’inspiration dans des bêtes de scène que sont Michael Jackson, et sa sœur Janet Jackson. Elles reprennent à leur compte, et en boucle les classiques des TLC, de Toni Braxton, et de Brandy et Monica, jusqu’à adopter un style approchant. Lèvres pulpeuses et glossées, crop top ajusté, et cheveux tressés, autant pour la technique que pour les codes vestimentaires, elles s’inspireront d’Aaliyah et de son fameux combo baggy / lunettes noires, comme sur la pochette de l’album Age Ain’t Nothing But A Number. 

Aujourd’hui, Ivana et Jessica avouent être inspirées par M.I.A ou encore Rihanna, et ne tarissent pas d’éloges à propos d’artistes comme GoldLink, Daniel Caesar, Jorja Smith ou encore H.E.R et rêvent en secret d’un titre avec Drake.

Le succès sera viral ou ne sera pas

Ados, même si les deux sœurs sont encore loin du succès, Ivana et Jessica se donnent les moyens de réussir et savent profiter des ressorts de leur génération. Dès lors, elles lancent leur propre chaîne YouTube « VanJess », réinterprètent à loisir les grands succès du moment dès la fin des cours.

Quand bien même le dispositif relève de la débrouillardise, leur énergie farouche et leur talent indiscutable suffisent à séduire et à fédérer un lot d’abonnés conséquent en très peu de temps. Aussi, le duo multiplie les sessions de covers sur YouTube, interprète « Thinking About You » de Frank Ocean, « Obsessed » de Mariah Carey, « Work Out » de J. Cole, et se lancent parfois à pleins poumons dans des sessions de beatboxing comme pour « Bad Romance » de Lady Gaga.

Rapidement, la reconnaissance fait son chemin et les deux sœurs sont adoubées par la communauté YouTube. Enfin certaines célébrités américaines se font l’écho de cette petite entreprise à succès, à l’image de la présentatrice et productrice américaine, Rosie O’Donnell ou encore l’acteur Ashton Kuchter qui n’hésitent pas à relayer les prestations des deux soeurs sur les réseaux sociaux.

En 2015, elles sortent l’EP 00 till Escape, véritable coup d’accélérateur à leur carrière. L’EP est alors propulsé en tête des charts sur iTunes ; le virus VanJess mondialisé.

Loin de se laisser porter aveuglément par la célébrité, les deux sœurs savent aussi gérer leur carrière d’une main de maître et sont de fins stratèges. Aussi, elles s’adressent à des professionnels incontournables et s’orientent alors vers le Truth Studios pour les enregistrements de leurs morceaux. Situé à Hollywood (Californie), Truth Studio, a vu se succéder les plus grands succès Rap US d’aujourd’hui, à commencer par Dom Kennedy, Freddie Gibbs, Kendrick Lamar ou encore Joey Bada$$. Ivana et Jessica sont donc conscientes de ce qu’elles sont à la profession et marchent sur les traces des plus grands.

Silk Canvas et la professionnalisation

Sorti fin juillet, Silk Canvas atteste du professionnalisme de VanJess. Terminé donc, l’amateurisme depuis la chambre d’ados ; les deux sœurs ont gagné en charisme et en technique et réalisent les premières parties d’artistes dont la critique s’ammourache, à l’image de Little Simz.

Sur le fond, Silk Canvas renferme des productions léchées et une série de collaborations savamment choisies, avec des invités de choix, à commencer par GoldLink sur « Through Enough », « Touch The Floor » avec Masego – rencontré sur le tournage de la vidéo de Goldlink « Palm Trees » – ou encore « Rewind Time » avec la participation de l’artiste britannique Little Simz.

Si ce professionnalisme s’affirme dans le grain de voix des deux artistes, il est aussi remarqué dans la qualité des clips réalisés. Il en est ainsi du morceau « Addicted » ou encore « Control Me » où l’on retrouve l’extraordinaire Nicholas Slick Stewart, break-dancer qui figurait sur la cover de l’album de Beyoncé et Jay-Z (The Carters), Everything Is Love, ou encore dans la vidéo du titre « Apeshit » tournée au Louvre. Sur le clip « Control Me », la métaphore devient alors visuelle, hautement artistique et excessivement sensuelle, avec pour seule toile de fond les abords d’une route déserte où les ondulations des corps poussent à l’étourdissement.

Enfin, autre coup de cœur et incontournable titre de l’album, on retiendra « Addicted », produit par IAMNOBODI. Véritable invitation dans l’univers feutré des années 90, ode à la sensualité, entre R&B et Soul, c’est l’un des titres phares des deux soeurs et le premier à avoir été produit sur l’album.

Plus généralement Ivana et Jessica parviennent à mêler des mélodies sensuelles et douces, mais savent surtout sortir de l’attendu. Ainsi, elles sont à la fois dans un registre futuriste et surfent parfois sur des influences hybrides proches de la trap music comme sur « Another Lover » titre produit par Kaytranada, ou s’inspirent de titres de leur panthéon musical, comme sur « Best Believe » sur lequel certaines inflexions rappellent « Rock The Boat » d’Aalyiah.

Même si le tandem accorde un point d’honneur à apporter un second souffle aux R&B tel qu’il était dans les nineties, il reste à l’écart du recyclage ou de la réductrice copie. À mi-chemin entre la soulful music et la feel-good music, Silk Canvas est un cocktail détonnant de sensualisme et de positivisme. VanJess réinvente un genre nouveau « limiteless », et il y a fort à parier que les deux soeurs ont de beaux jours devant elles.