Slug (Atmosphere) : « La musique est mon obsession »
A l’occasion du concert d’Atmosphere, mi-octobre à la Machine du Moulin rouge, on a rencontré la moitié du groupe en la personne de Slug. Rappeur, co-fondateur du label Rhymesayers (Brother Ali, Dilated Peoples…) et père de famille, le gars semble avoir le don d’ubiquité et a surtout réussi le tour de force de rester une valeur sûre de la scène rap indé depuis près de 25 ans.
The BackPackerz : ça fait quoi d’être un groupe de rap du Midwest ?
Slug : quand j’étais jeune, j’avais l’impression que c’était un inconvénient car tout se passait soit à L.A. soit à NYC. Quand tu veux devenir rappeur tu te dis “OK je dois faire une démo et l’envoyer à des labels”. Mais il n’y avait pas de labels à Mineapolis ! C’est pourquoi on a monté notre propre label. Plus le temps passait, plus le fait de venir du Midwest devenait un avantage, parce qu’il y avait une vraie énergie là-bas. En voyageant, j’ai réalisé que les côtes étaient pleines de mecs qui tentent de se faire signer depuis 15 ans et sont ainsi devenus blasé, amers, qui ne s’aiment pas entre eux, qui créent des groupes entre lesquels règnent l’animosité. Alors que moi, venant du Midwest, je peux aller à NYC et m’entendre avec tout le monde car je n’ai aucun historique avec eux.
C’est aussi devenu un truc pour la presse. Les lecteurs étaient très intrigués par notre histoire, et maintenant on accepte plus facilement l’idée qu’il puisse y avoir des rappeurs originaires du Midwest. On entend parler de Dessa, POS, Brother Ali, Allan Kingdom, Mally alors qu’il y a 10 ans cela se résumait à Atmosphere et Brother Ali.
Tu viens de mentionner quelques-uns de tes partenaires de label. Peux-tu nous rappeler le genèse de Rhymesayers ?
On a commencé Rhymesayers accidentellement en 1995. Avant, ce n’était qu’un groupe de rappeurs et de DJs, on se faisait appeler “Headshots” mais on n’était juste un crew. On allait juste de soirée en soirée, on prenait le micro et on retournait tout, les gens commençaient à nous connaître mais cela restait à l’échelle locale. Puis, en 1995, l’un d’entre nous a eu l’idée de presser nos propres cassettes, qu’on allait vendre aux concerts d’autres groupes qui passaient en ville à l’époque, comme The Roots ou The Fugees. Les cassettes se vendaient très bien et commençaient à circuler dans la région, ce qui nous a rapidement permis de faire des concerts en dehors de Mineapolis. Un moment, on a décidé d’utiliser tout l’argent récolté pour presser nos propres CDs et vinyles, et c’est là que Rhymesayers est vraiment né.
Ce qui est marrant, c’est que je n’ai jamais vraiment voulu posséder un label. Petit, je voulais juste être comme LL Cool J. Je voulais une chaîne en or et une limousine avec trois filles dedans. Parfois, je me dis que posséder un label est vraiment un fardeau mais je suis heureux qu’on l’ait fait. J’ai la chance d’avoir des partenaires qui me permettent de me concentrer uniquement sur la partie artistique. Ce n’est même pas la peine de me demander combien d’argent il faut mettre pour le marketing du nouvel album de Brother Ali, par contre, si vous me demandez mon avis sur la cover, je vais savoir répondre, car c’est lié à l’art.
Revenons à Atmosphere : on se demandait comment vous faisiez toi et Ant pour être si prolifiques. Il y a pratiquement un projet à vous par an qui sort !
En effet, ça commence à faire beaucoup ! On a arrêté de compter après le septième album en fait. Ça doit faire 5 ans que, quand on sort un nouvel album, on dit qu’il s’agit de notre septième ! Plus sérieusement, faire de la musique est ce que j’aime plus que tout au monde. Quand j’étais petit, j’étais à fond dans les voitures parce que mon père était garagiste. Mais ensuite je suis tombé dans la musique et c’est devenu une obsession. J’ai par exemple une énorme collection d’albums que je range méticuleusement par ordre alphabétique. J’aurais pu être passionné par plein de choses car c’est ainsi que mes parents m’ont élevé et il parait que c’est quelque chose de caractéristique chez les Vierges, mais voilà, j’ai choisi la musique.
En parlant de collection d’albums, on a appris que tu avais par le passé travaillé chez un disquaire. Que penses-tu donc de l’essor de la musique digitale (Spotify, Soundcloud…) ?
Ça me va. Tant que les supports physiques ne disparaissent pas pour autant, il n’y a aucune raison de se plaindre. L’ère digitale de la musique correspond parfaitement à ce que les auditeurs attendent de la musique en digital. Vous savez, il faut garder en tête que la musique pop a été conçue pour donner envie aux jeunes de baiser. Si tu arrives à faire une chanson qui donne envie à un gamine de 19 ans de baiser, c’est un tube. Donc, peut importe ce que ce jeune de 19 ans souhaite, tu dois laisser de la place pour cela. Tu ne peux pas être ce vieil aigri qui dit “ah, ces jeunes ne savent pas ce qu’ils font”. Ils savent exactement ce qu’ils font et maintenant ils ont toute leur musique dans leur putain de téléphone. Qui suis-je pour me mettre en travers de leur futur ? laissons-les tranquilles !
Je n’ai pas un avis négatif sur ce sujet mais en même temps je suis heureux d’avoir été jeune à mon époque, je suis heureux d’avoir collectionné tous ces artefacts. Parce que justement, ce sont des choses que tu peux transmettre ou donner à quelqu’un. Pour moi, c’est aussi important que la musique qu’ils contiennent : la cover, les crédits, les photos, les paroles…tout ceci est aussi important que la musique.
En France, les fans de Hip-Hop apprécient vraiment ce rap alternatif du début des années 2000, avec vous, CunninLynguists, Doom, Del…). As-tu l’impression que vous appartenez tous à ce même genre ou sous-genre ?
Eh bien, je suis pote avec tous ces gars. Musicalement, on est tous différents. Del (ndlr: Del The Funky Homosapien) a cette idiosyncrasie qui le distingue de ce qu’un Doom peut faire. Et Doom ne fait pas la même chose que moi. Mais ce qui nous relie tous je pense, c’est qu’on rappe tous pour nous-même. Si d’autres gens aiment ce que l’on fait tant mieux, mais si tu n’aimes pas, c’est cool aussi ! Cela change de d’autres genres qui font de la musique pour les clubs, pour les radios, pour que les gens dansent. Si vous regardez notre musique, il ne s’agit pas de ça. Vous savez, Doom écrit des chansons pour faire marrer ses potes. Il essaie de trouver des choses à dire qui font en sorte que ses potes répondent “Putain, j’arrive pas à croire qu’il ait dit ça !”. Pareil pour Del ou moi. On fait de la musique pour les gens comme nous.
Le fait que tu aies maintenant la quarantaine et des enfants change-t-il la façon dont tu fais de la musique ?
Pas consciemment, mais je suis sûr que mes enfants, ma femme, mon âge influencent tout ça. Par exemple, un critique a écrit sur mon dernier album : “dans cette chanson, il parle de bébés oiseaux, dans celle-ci il se compare à un ours polaire…C’est quoi ce délire avec les références animales ?” Oui ! J’ai des références animales d’un gamin de 4 ans dans mon monde à présent, et ça s’intègre jusque dans mes paroles ! Si vous écoutez mes albums, du premier au dernier, ils sont toujours influencés par l’environnement dans lequel je me trouve au moment où j’écris. C’est peut-être une des forces de notre musique : je n’ai jamais eu besoin de mentir, de faire semblant d’être quelqu’un d’autre. Je ne peux même pas imaginer à quel point cela doit être difficile d’écrire en jouant un rôle, ou pire, écrire sur les mêmes choses sans cesse, comme certains de mes rappeurs préférés qui rappent sur les mêmes sujets qu’il y a 20 ans. Mec, tu rappes toujours sur le fait que tu vends de la drogue ? Tu vends de la drogue depuis 20 ans et personne ne t’a donné un meilleur poste ? Tu dois être le pire vendeur de drogue du monde mec ! Tu devrais être le boss et pas au coin de la rue en train de vendre du crack de mauvaise qualité !
Évidemment ils ne vendent pas réellement de la drogue. Ils pensent juste “oh, mon public m’a aimé grâce à cette chanson donc je vais continuer à faire ce style-là”. Parfois nous, public, empêchons les artistes d’évoluer…Moi j’ai été influencé par Prince, Tom Waits et d’autres mecs en dehors du rap qui m’ont montré que je devais grandir. Il peut y avoir des mecs qui disent “j’étais un fan d’Atmosphere quand ils ont sorti God Loves Ugly, c’est ce que j’aimais” et tu sais quoi ? Ça me va ! Il y a plein de groupes de rap qui font du God Loves Ugly en 2014. Ce n’est pas parce que j’ai évolué que tu dois évoluer aussi. Honnêtement, je préfère avoir une pure connection de mes fans avec ce que je fais actuellement plutôt que de me soucier de comment je dois agir pour conserver mon public.
Bonus : Ci-dessous, jetez un oeil aux superbes clichés de Slug et Ant pris par notre photographe officiel:© Antoine Monégier