Azaia, fédérateur du beatmaking à la française
On a voulu rencontrer le producteur Azaia et lui poser quelques questions. Il affiche une ambition claire : fédérer un noyau dur de beatmakers français issus de l’underground. Sur ses albums studio, il aime inviter ceux qu’ils considère comme la crème du beatmaking à la française. Le 10 mars prochain, à l’occasion d’une soirée unique, il entend regrouper autour de lui six d’entre eux sur une scène bordelaise.
Tout d’abord, à ceux qui ne te connaissent pas, que dirais-tu pour leur donner envie d’écouter ta musique ?
Je les inviterais juste à être curieux, c’est la base de tout. J’ai quand même conscience que la musique que je fais ne correspond pas au goût de tout le monde. Surtout en 2018, avec l’évolution du Hip-Hop vers les sonorités trap, qui ont pris le dessus. Pour se faire leur propre idée de mon travail, je leur conseillerais d’écouter quelques morceaux que j’ai produit comme « Joker » de Jazzy Bazz, « Tout de Noir Vêtu » de Espiiem ou « Move On » de Bankai Fam.
Comment est-tu arrivé dans le beatmaking ?
J’y suis arrivé par un coup du destin. J’ai découvert la culture Hip Hop vers le milieu des années 80 mais je n’ai commencé à produire que vers le début des années 2000. À la base j’étais juste un passionné de musique, j’achetais des disques, j’ai posé quelques rimes sur des instrus dans les années 90 avec mes potes du Blanc Mesnil (Asco et P.C.) mais rien de sérieux. Je jouais beaucoup au basket à cette époque de ma vie et ça prenait toute mon énergie.
En fait, vers 2001 j’ai eu une blessure au dos qui m’a cloué au lit en anéantissant par la même occasion mes ambitions sportives. À cette période, mon meilleur pote s’est acheté une MPC. Un jour il m’a proposé de la tester, et j’ai eu le coup de coeur. Peu de temps après j’ai pu avoir la mienne, depuis ce jour je n’ai plus arrêté. Au début c’était très flou, faire la part des choses entre ce que j’aimais et ce que j’étais capable de faire. J’ai commencé par copier un peu bêtement ce que j’aimais, puis je me suis rendu compte que ce n’était pas la voie qu’il fallait emprunter. Mon truc c’est le boom bap, c’est de là que je viens mais je pense avoir réussi à me défaire de la marque de mes pères spirituels. Avec le temps, j’ai construit ma propre vision du sampling.
Brain Tests, qu’est-ce que c’est ?
C’est le nom que j’ai donné à la partie live du projet dans lequel je me suis lancé il y a deux ans. J’ai créé mon propre label, Brain Connection 1978, où ne sont signés ou mis en avant que des producteurs français. La première pierre a été posée en juin 2017 avec la sortie du Projet Jupiter A.K.A. : The Great Red Spot. Jupiter A.K.A. est le groupe que je forme avec les beatmakers Astronote et Kyo Itachi. La suite est sur le point d’arriver avec un album instrumental intitulé Translating The Zone* où j’ai invité 17 producteurs.
Brain Tests sera le premier concert officiel de cette aventure à l’occasion d’une soirée Life Boom Bap & Death Party à Bordeaux. Les organisateurs m’avaient proposé de faire un live de Jupiter A.K.A. et comme j’étais déjà passé à la suite, je leur ai proposé le plateau et le concept Brain Tests avec cette belle affiche dessinée par Jilva The Maker.
* Mise à jour : depuis notre entretien fin février, le projet est sorti sur Bandcamp, iTunes, et chez Gibert Joseph en vinyle et CD.
L’idée des soirées Brain Tests, ça t’es venu comment ?
J’ai été inspiré par un live de la Beat Society, au cours duquel plusieurs beatmakers sont venus avec leurs sampleurs sur scène balancer des prods chacun leur tour. Le public n’avait plus qu’à ouvrir les oreilles et bouger la tête. Si mes souvenirs sont bons, il s’agissait d’!llmind, Fel Sweetenberg, Roddy Rod, Oddisee et 9th Wonder. Il y a plusieurs éditions par la suite avec Nottz, Marco Polo, Krysis et beaucoup d’autres.
Comment les autres producteurs / beatmakers ont-il accueilli le projet ?
Avec enthousiasme ! Aayhasis, Cris Prolific, Yann Kesz, Dusty ont tout de suite été séduits par l’idée. Kyo Itachi & Venom tournent déjà depuis quelques temps ensemble. Leur duo s’appelle Ninjustice. Ils ont joué à Lyon en septembre avec Pete Rock & C.L. Smooth. En janvier dernier ils se sont rendus à New York pour un showcase pour assurer la promo de leurs projets solos respectifs : Genkidama et Ruff N Tuff.
Tu vois ça comme une grande compétition en arène, ou comme un grand bouillon de culture ou chacun s’inspire réciproquement ?
Chacun de nous propose un univers qui lui est propre. On en ressortira grandis avec probablement une idée un peu plus précise de ce qu’on pourra faire à l’avenir. L’élément compétition sera lui aussi présent quoi qu’il arrive, puisque chacun va balancer des morceaux secrets.
Hier j’étais avec Dusty du groupe Jazz Liberatorz. On était posé tranquillement dans son studio il me faisait écouter quelques unes de ses prods et je prenais des gifles à chaque fois. Je lui disais : « mais mec ! Il faut que les gens soient au courant ! » (rires). On a tous des instrus plein les tiroirs. Certaines voient le jour officiellement, mais la majorité d’entre elles restent secrètes.
Quels sont tes autres projets en cours ?
Pour l’heure il y a le projet instrumental qui arrive. J’en ai commencé un second avec d’autres participants, il y aura des solos. J’arriverai du jour au lendemain avec de nouvelles idées et prendrai les gens qui nous suivent par surprise, parce que je n’aime pas tellement les « coming soon ». De nos jours on oublie vite un projet, il peut passer à la trappe après un mois ou deux, donc j’évite de consommer mon énergie en promo inutile.
Quel est ton meilleur souvenir en concert ? En studio ?
Sans hésiter, la première partie du Boot Camp qu’on a assuré avec Venom, Felicia et Zombi à la Bellevilloise il y a quelques années. C’est difficile de faire des premières parties à Paris, surtout quand c’est des artistes américains. Le public sait te faire sentir qu’il n’est pas venu te voir. Il te regarde comme si tu étais de la m****. Quand j’ai appuyé sur play ils ont commencé à hocher la tête en cadence, ça m’a fait plutôt sourire.
En studio, mon meilleur souvenir remonte au jour où on a fait le mastering de Musikyo, l’album de Kyo Itachi sur lequel j’ai co-produit cinq beats. On faisait ce qu’on aimait peut-être pour la première fois à 100%. Ça a marqué le début d’une nouvelle ère pour nous. À chaque morceau qu’on travaillait je lui disais : « Ça le fait bro ! Tu vas voir, il va se passer un truc pour toi ».
Si tu avais l’opportunité de faire une collab’ avec le rappeur américain ou français de ton choix, qui choisirais-tu ?
Pharohae Monch sans hésiter, j’ai toujours été fan de son groupe Organized Konfusion. Et pour la France je dirais Oxmo Puccino. Opera Puccino est un des albums qui m’ont le plus touché. Le temps est passé depuis mais j’aimerais beaucoup produire un morceau organique (i.e. enregistrer avec des instruments, sans avoir recours à un logiciel de beatmaking) avec lui.
Si tu devais nous conseiller un producteur encore méconnu dans le beatmaking français, qui choisirais-tu ?
Un seul ? Il y en a des tonnes sous les radars mais je recommande particulièrement Astronote, car tout le monde le connait et personne ne le connait en même temps. C’est un des mecs les plus humbles que je connaisse, je ne sais même pas si il se rend compte de son niveau, il est effrayant de technicité et de musicalité.
Il a produit dans l’underground et le mainstream. Il a bossé avec Disiz La Peste, Ali, Kendrick Lamar, Black Opera, Big Pooh, et dernièrement Little Simz, une artiste anglaise très talentueuse. Son succès nous ramène à l’importance de ces hommes de l’ombre, et de la considération qu’on leur doit.
Comment imagines-tu le beat français dans 10 ans ?
De nouvelles machines, une nouvelle tendance, de nouveaux jeunes passionnés qui amènent un nouveau souffle au Hip Hop et toujours un noyau dur de mec qui font du boom bap traditionnel.
Informations complémentaires et billetterie sur la page Facebook de l’événement :
Brain Tests / Life, Boom Bap & Death Party 2