Le trio californien composé des emcees Blu et Med et du beatmaker Madlib nous avait déjà bien fait salivé avec The Burgundy EP et The Buzz EP. Enfin tout ça c’était il y à déjà plus de deux ans. Avec un peu de retard sur le planning, l’équipe de choc rend enfin sa copie. Bad Neighbor est un album de bonne stature, qui marque le retour de Madlib à une prod très lo-fi. Med et Blu parviennent sans trop de difficulté à poser leur voix sur les instrus parfois un peu chaotiques du Loop Digga.
En 2014, Madlib avait eu le courage de sortir de sa zone de confort en s’associant avec Freddie Gibbs pour sortir un album de thug rap diablement efficace. L’expérience avait marqué les esprits et Piñata s’était hissé au rang de potentiel album de l’année. Ceux qui ont découvert Madlib avec Piñata (il n’y a pas de honte à ça) risquent d’être un peu déroutés. Bad Neighbor est pour Otis Jackson Jr. (son vrai nom) un retour aux sources. Ce nouvel opus est plus proche du travail qu’il avait effectué avec Guilty Simpson sur The Verdict ou avec Frank Nitt sur Nittyville. Le son est parfois un peu crade et le beat légèrement boiteux, mais c’est ce qui a fait l’identité de Madlib en tant que producteur.
Retour aux sources n’est pas nécessairement synonyme de répétition. Madlib conserve sa « patte », mais il reste à la page. Les instrus qu’il a concoctées pour Bad Neighbor s’inscrivent dans la tendance, on ne peut pas l’accuser de passéisme. La fraîcheur de la prod s’illustre tout particulièrement sur « The Strip », « Finer Things » et « Drive In ». Avec ces morceaux, le producteur californien peut même espérer atteindre un public plus large. En rendant l’album un peu plus accessible, il sort de l’underground à proprement parler. Que les fans hardcore du Beat Konducta se rassurent, ses quelques embardées vers le rap mainstream sont largement contrebalancées par des instrus plus rugueuses et syncopées dans le style qu’on lui connait (« Peroxyde », « Belly Full » …).
Bad Neighbor est la première collaboration entre Med, Blu et Madlib. Le producteur est celui qui constitue le lien entre les trois artistes, lui qui a déjà travaillé séparément avec les deux emcees (sur No York! de Blu et Classic de Med). Leurs univers étant assez proches, on imaginait mal un échec total pour cette belle brochette de rappeurs originaires de la côte ouest. Les flows de Blu et de Med se fondent parfaitement dans les collages de samples de Madlib. C’est d’ailleurs ce qui dessert le disque à la longue. L’ensemble manque parfois un peu de relief, ce qui n’était pas le cas lors de la rencontre de Otis Jackson et de Freddie Gibbs par exemple. À y écouter de plus près, le problème ne vient pas de la performance des emcees, mais plutôt du mixage trop plat qui ne rend pas justice à leur voix.
Côté textes, la paire Blu / Med ne réinvente pas la roue. Combines, femmes vénales, weed, tout y passe. Fort heureusement, ils ont fait l’effort de rapper avec un flow pêchu (même si la diction de Blu est parfois difficile à comprendre) et ils ont bien bossé leurs rimes. Les paroles de « Peroxyde » sont truffées de jeux de mots et de rimes internes, et on peut dire la même chose d’une bonne partie des morceaux de l’album. Bad Neighbor est aussi enrichi par la participation d’une pléthore d’autres rappeurs de la west coast. MF DOOM est sans doute celui dont l’apparition est la plus remarquée. Le morceau « Knock Knock » sur lequel il pose sa voix rocailleuse est plutôt insolite. DOOM s’invite chez Med pendant son absence, fouille un peu partout et ramasse au passage quelques bières, de la vitamine D et le DVD de la série Scandal. Pour le beat, Madlib a utilisé un sample pompé sur un morceau de Bernie Worrell, le claviériste de Parliament-Funkadelic à la grande époque. Ce n’est pas pour rien que « Knock Knock » figure parmi les morceaux les plus entraînants de Bad Neighbor.
« Knock Knock / Menacing cousin Villain, let myself in / Only need a stick of butter, cheese / And some vitamin D / Double O-M, as in ‘mescaline’. »
Inviter DOOM sur un album produit par Madlib, c’est du vu et revu. Mais Bad Neighbor compte aussi quelques bonnes surprises. Si vous avez été des lecteurs assidus de TheBackPackerz, il ne vous aura pas échappé qu’on parle beaucoup ces derniers temps de Anderson .Paak, rappeur au timbre de velours qu’on a pu voir à l’oeuvre sur Compton, le dernier album en date de Dr. Dre. Il délivre sur « The Strip » un de ces superbes refrains chantés dont il a le secret. Il n’est pas le seul à s’essayer au chant sur l’album, puisque l’on retrouve les voix de Mayer Hawthorne, Aloe Blacc, Phonte et Jimetta Rose. La contribution de tous ces chanteurs donne un côté soul très agréable, tout a fait approprié la prod de Madlib, nourrie de samples organiques et chaleureux.
Les copains Dam-Funk et Oh No de chez Stones Throw sont là aussi, tout le monde est passé en studio histoire de checker l’avancement du projet et de poser un petit couplet par ci, un petit refrain par là. On aurait presque envie de se chauffer aussi et de lâcher un petit freestyle. Bref, Med et Blu sont rarement seuls au micro. Le tout ressemble parfois plus à une mixtape réalisée entre potes qu’à un album, mais le rap c’est ça aussi. Trop de formalisme peut aboutir à des disques aseptisés et fades, et Madlib et sa bande ont le mérite de sortir un album au son brute et parfois brouillon, mais avec une authentique énergie proche du « live ».
Que retient-on de Bad Neighbor? Le retour aux instrus artisanales de l’ami Madlib, quelques bons couplets de Blu et de Med et un paquet de featurings bien sentis. Ce n’est certainement pas l’album de l’année mais on ne se lasse pas des pépites comme « The Strip », « Finer Things », « Belly Full » et « Drive In ». Ceux qui ont aimé Channel 85 Presents Nittyville devraient être séduit par ce nouvel opus. On se pose désormais une question. Qui seront les prochains? Avec qui Madlib va-t-il s’associer pour succéder à Bad Neighbor? MF DOOM semble maintenant être hors-course, mais la côte ouest ne manque certainement pas de emcees qui rêveraient de bosser avec le Beat Konducta…