Le sampling est un élément central de la culture Hip-Hop. Pour autant, cette pratique est rarement considérée comme un acte créatif et pose régulièrement des problèmes juridiques aux producteurs. Pour ce dossier, nous avons travaillé avec Chilly Jay, DJ et conférencier sur le sampling. Nous avons sélectionné ensemble quelques procès pour atteinte aux droits d’auteurs qui ont marqué l’histoire du Hip-Hop. Parfois symboliques, souvent surprenants, ces cas mettent en lumière les différentes problématiques liées à l’utilisation de sample et à la paternité des oeuvres.
En 1991, le titre “Alone Again” tiré de l’album I Need A Haircut de Biz Markie, va faire date dans l’histoire du sampling. Jusqu’alors, cette technique était utilisée en toute quiétude. Mais cette fois, Gilbert O’Sullivan sera fâché de reconnaître l’emprunt qui lui aura été fait à tel point qu’il intente un procès au MC du Juice Crew. Le juge conservateur Kevin Mc Duffy lui donnera gain de cause en invoquant le 7ème pêché capital “tu ne voleras point”. L’album est retiré des bacs, et l’industrie va désormais demander à chaque groupe de déclarer tous les samples utilisés pour obtenir des accords avec les ayant droits. Ce que fera -non sans humour- le gros Biz sur son album suivant All Samples Cleared remettant en scène cette séquence judiciaire.
Mac Miller fait parti de cette jeune génération de rappeurs ayant rencontrés le succès grâce des mixtapes de qualité. Pour Mac, c’est sans doute K.I.D.S. (‘Kickin’ Incredibly Dope Shit) qui l’a révélé. Sur cette mixtape gratuite, le gamin de Pittsbugh reprend notamment l’instrumentale de “Hip 2 Da Game” de Lord Finesse. Si certains y verront un hommage au talentueux producteur, celui-ci se retournera contre Mac Miller et lui demandera pas moins de 10 millions de dollars pour s’être approprié l’un de ses titres. Ce sera bien la somme que paiera Mac pour l’utilisation de ce beat sur lequel il ne s’est pas fait un centime. Pour autant, les deux rappeurs sont restés en bon terme et seraient même prêts à travailler ensemble. Si tout finit bien, cette affaire prouve que les mixtapes, ce format si cher au Hip-Hop, n’échappent pas à la législation sur les droits d’auteurs, qu’elles soient payantes ou non.
« Planet Rock » est le titre qui a créé un pont entre Hip-Hop et Musiques Electroniques et ouvrira la voie à d’autres producteurs pour créer la House, la Techno, le G-Funk… Pourtant, si ce morceau marque un tournant indiscutable dans l’histoire de la musique, c’est avant tout un assemblage de multiples influences. Certes, tous les samples furent rejoués par Arthur Baker et Afrika Bambaataa en studio, mais « Planet Rock » reprend directement les titres “Numbers” et “Trans Europe Express” de Kraftwerk. Les avocats du groupe allemand, déjà experts des problèmes de droits d’auteurs, ont alors attaqué violemment le jeune label Tommy Boy Record. Ils ont négocié 27,5 centimes de dollar par single vendu. En comparaison, les royalties des artistes étaient en général de 4 centimes de dollar soit 6 fois moins cher. Afrika Bambaataa expliquera que l’influence de Kraftwerk est très surestimée et que « Planet Rock » s’inspire tout autant de Yellow Magic Orchestra pour leur utilisation de la Roland TR-808 et sample également David Vorhaus, Babe Ruth et même Ennio Morricone. Bien qu’étant l’une des compositions les plus innovantes du siècle passé, « Planet Rock » est donc un travail d’assemblage dont il est bien compliqué d’attribuer la paternité de l’oeuvre.
Bob James fait parti de ces artistes qui ont marqué le Hip-Hop. Rien que son morceau “Nautilus” a été samplé plus de 200 fois. Mais le virtuose du jazz n’est pas très ouvert à la réutilisation de ses oeuvres et les défend. Il avait attaqué DJ Jazzy Jeff & The Fresh Prince pour l’utilisation d’un sample non déclaré sur “A Touch Of Jazz” et attaque aujourd’hui Madlib pour la même raison sur son titre “Sparkdala”. Mais si le pianiste n’est pas un fervent défenseur du sampling, il a lui aussi utilisé cette technique sur l’un de ses morceaux les plus connus: “Take Me To The Mardi Gras”. Ce fameux break de batterie utilisé notamment sur “Peter Piper” de Run-DMC, a toujours intrigué les producteurs de Hip-Hop pour son mastering. Au delà de la batterie et de ce son de cloche si particulier, on distingue un léger grésillement qui semble venir d’une radio. En 2014, le site WhoSampled a découvert qu’il s’agissait d’un morceau de country de Tommy Cash. Celui-ci aurait été rajouté par inadvertance au mastering. Toujours est-il que le sample n’a jamais été déclaré par monsieur James…
L’histoire de “Rapper’s Delight” mériterait un dossier à elle seule. C’est à la fois le premier tube Hip-Hop, un coup de génie d’un jeune label totalement extérieur à cette culture naissante et une pure imposture finement organisée.“Rapper’s Delight”, c’est la rencontre du groove imparable du “Good Times” de Chic et de l’enregistrement, en une prise, de jeunes rappeurs amateurs, inconnus de leurs pairs et jamais encore montés sur scène. Ne s’attendant pas à un tel succès, le jeune label Sugar hill Record ne s’inquiète même pas du problème des droits d’auteurs. En soit, il ne s’agit pas d’un sample puisque tous les instruments ont été rejoué en studio. Pour autant, quand Nile Rodgers, le guitariste de Chic entendra en club “Rapper’s Delight”, il ne mettra pas longtemps à reconnaître son propre riff et portera plainte dès le lendemain. Nile Rodgers et Bernard Edwards, les deux créateurs de “Good Times”, obtiendront le statut de co-auteur de ce hit mondial (un de plus pour eux) et les royalties allant avec bien sûr. Mais Nile Rodgers n’est pas rancunier. Il aurait donné une partie de ses royalties aux rappeurs de The Sugarhill Gang qui avait alors été payé une misère lors de l’enregistrement
“Big Pimpin” est le grand succès commercial du 4ème album de Jay-Z. Mais ce tube, produit par Timbaland en 1999, fut un odyssée administratif (de plus) pour le patron de Tidal. Le titre est basé sur un sample de Baligh Hamdi, un chanteur traditionnel égyptien. Enregistré en 1957, “Khosara Khosara”, le morceau en question, est d’abord samplé de manière illégale. Le rappeur sera donc rappelé à l’ordre et versera 100000$ à EMI Music Arabia. Mais alors que cette histoire aurait pu en rester là, Osama Fahmy, le neveu du compositeur égyptien, porte plainte contre Jay-Z en 2007. Il plaidera que l’américain aurait dû demander la permission à la famille de Baligh Hamdi car les paroles de “Big Pimpin” sont “vulgaires et violent les droits moraux du compositeur défunt”. Il faut reconnaître que le titre est particulièrement misogynes. Mais il est surprenant que le problème soit finalement plus lié à la sensibilité culturelle qu’à la paternité de l’oeuvre. C’est sans doute l’un des problèmes posés par le sampling. Alors que les beatmakers vont chercher des pépites de plus en plus loin, il devient également de plus en plus difficile de traiter avec les ayants droit. Dans le cas de “Big Pimpin”, la justice a donné raison à l’homme d’affaire américain. Mais ce genre de cas est sans aucun doute voué à se répéter.
Les Beastie Boys sont réputés pour leur faculté à réinterpréter la musique populaire américaine et en faire des hits. Pourtant, ce sont des bons élèves du sampling. Avant d’emprunter 3 notes au flûtiste James Newton pour leur titre “Pass The Mic”, les Beasties ont proposé un joli chèque pour acheter les droits d’utilisation. Mais le compositeur a refusé cet arrangement et a préféré envoyer le groupe au tribunal. Malheureusement pour lui, les juges ont considéré que les 3 notes (Do, Ré et Do bémol) utilisés par les Beastie Boys « ne sont pas sensiblement similaires et ne pourraient être reconnues par un auditeur lambda”. James Newton n’a donc finalement rien touché pour l’utilisation de ce sample. Il semblerait même que les Beastie Boys aient ensuite voulu se faire rembourser le demi-million de frais d’avocats investi dans cette affaire, ce qui aurait mis Newton en difficulté financière. Le flûtiste ne doit pas être un grand fan de Hip-Hop.
Whodini est un groupe un peu oublié, comme beaucoup du Hip-Hop des 80’s. Il a pourtant influencé de nombreux rappeurs et producteurs de la décennie à suivre. 2pac, Outkast, Public Enemy, NWA et même Kanye West sur son nouvel album The Life Of Pablo, tous ces artistes ont samplé le groupe new-yorkais. Pour autant, Jalil Hutchi, le rappeur de Whodini, n’a pas apprécié ces réutilisations de son oeuvre. Il explique dans une interview que c’est pour lui “à la fois une bénédiction et un fardeau.” En effet, le sampling a permis à sa musique de traverser les âges. Mais c’est également dur d’accepter que quelqu’un d’autre touche à son travail. Il ajoute même que s’il avait les droits de ses musiques à la place de son label, il n’aurait jamais accepter l’utilisation de tous ces samples, notamment celui de 2pac pour son titre “Fuck Friends”. Le seul titre où le rappeur est heureux d’avoir été samplé est le tube “If I Ruled The World” de Nas. Jalil Hutchi n’a jamais vraiment porté plainte contre son label. Mais il garde un goût amer de l’utilisation de sa musique. Comme de nombreux artistes, il aurait souhaité conserver l’authenticité de son oeuvre. Mais celle-ci s’appuie également sur l’oeuvre d’autres artistes puisque les titres de Whodini sont également presque tous créés à base de samples.
Faire oeuvre en partant d’une oeuvre. Tel est le credo du sampling, qui s’évertue à couper ici et là des échantillons pour les réinscrire dans une nouvelle composition. Oeuvrant comme des chefs d’orchestres autonomes, capables de convoquer la batterie de Clyde Stubberfield, le saxophone de John Coltrane, et la contrebasse de Ron Carter, les beatmakers assemblent leurs influences afin de matérialiser leurs idées. Mais cette pratique n’a pourtant pas toujours été légitimée, en atteste ce florilège de procès ayant eu lieu au cours de ces 30 dernières années.
Bien que la pratique du sampling ne se limite désormais plus au Hip-Hop, les beatmakers demeurent bien souvent considérés comme des voleurs. L’avocat de Bob James a déclaré lors du procès contre Madlib que « l’un des problèmes des artistes Hip-Hop, c’est qu’ils ne savent pas créer des enregistrements instrumentaux de bonne qualité. C’est pourquoi ils sont obligés d’en emprunter à d’autres artistes ». Connaissant l’appétit du Beat Konducta pour les productions lo-fi, l’argument semble peu pertinent. Mais il souligne le manque de compréhension de certains artistes face à cette pratique de découpage, qui est pourtant inhérente au XXème siècle.
En effet, la pratique du sampling s’inscrit dans la lignée des collages dada, du cut-up littéraire ou encore du found footage cinématographique. Toutes ces disciplines ont soulevé des problématiques artistiques, éthiques et juridiques concernant la paternité de l’oeuvre.
“Je suis l’organisateur conscient d’un film. Toutes les citations- qu’elles soient picturales, musicales, littéraires – appartiennent à l’humanité. Je suis simplement celui qui les met en relation.”
(J.L. Godard)
Ce processus de ré-appropriation artistique, c’est la spécialité de Chilly Jay, DJ et conférencier qui a accepté de nous aider dans l’écriture de ce dossier.
A l’occasion du Hip Opsession, il présentera à Nantes sa conférence Coupé/Collé qui retrace l’histoire du sampling, des techniques ancestrales de réemploi en architecture à celles du sampling des home studios au XXIème siècle. Nous en tout cas, on y sera.
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